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Les Elfes du Dauriath

L'Estrellar

Par Yichard Muni, barde Elfe

 

Rencontrons-nous en vrai! Mon nom: Richard Trigaux. Nom d'artiste: Yichard Muni
Tous les vendredis à 12pm SLT (Heure de Californie, PT ou PDT) (France: 21h), rencontres elfiques et histoires

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Ce texte s'insère dans une intrigue plus vaste. Il vaut donc mieux lire d'abord «Le Baiser des Mondes».

Index des histoires: ordre chronologique, ou par ordre de création

 

Cette histoire se déroule 34 ans après la bataille du Horiathon. Bien que la situation se soit nettement améliorée, les Elfes sont encore considérés comme peu sérieux et peu fiables dans la plupart des sociétés humaines du Nyidiath, et la tradition de les confiner aux arts est toujours bien ancrée. La situation évolue cependant, et la chute de la dictature de Bubacar a réduit à un la liste des pays pratiquant encore officiellement des discriminations à l'encontre des Elfes: la République Populaire Scythienne. De plus, de nombreux activistes humains défendent désormais les Elfes. Ils ne se doutent pas que c’est une vieille tradition, remontant à l'Exode, lorsque des humanitaires ou des religieux nourrissaient les Elfes expulsés le long de la Piste des Larmes.

Interrogations sur le sens de la vie

Milton Earmann est un jeune Humain, issu de la nouvelle génération née après la bataille du Horiathon, qui n'a jamais connu les discriminations telles qu’elles existaient avant. Pour eux, voir des Elfes dans la rue est naturel, au même titre que la paix et la démocratie.

La principale motivation de Milton est que, depuis son plus jeune âge, il est intrigué par la notion de conscience. Quelle est cette chose insaisissable, que personne n'a jamais pu capter dans une éprouvette ou détecter avec un appareil de mesure? Pourtant, nous la voyons constamment, à chaque fois que nous sommes... conscients!

L'explication religieuse ne lui suffit pas. Milton a été élevé dans l'athéisme, comme c’est encore la norme dans le Nyidiath, malgré divers groupes désireux de faire revivre les anciennes religions, comme le mouvement «Ancien Âge». Il pense qu'il doit y avoir autre chose que simplement «croire» et pratiquer des rituels, aussi beaux et festifs fussent-ils. De plus, peu du sens des religions anciennes a survécu à la Révolution et au siècle d'iconoclasme matérialiste qui a suivi. Les nouveaux adeptes ont dû réinventer un sens, en récupérant les rituels à partir de fragments de texte ou de statues mutilées. Mais jouer les hiérophantes est facile, découvrir véritablement un sens spirituel pertinent est une autre histoire. Seul le culte de l'UNIQUE a survécu en secret, comme il avait toujours fait. Mais les détenteurs de cette spiritualité ancienne sont rares, avec leur voix couverte par plusieurs sectes bruyantes. De toutes façons, la plupart des codes architecturaux interdisent encore les toits à double pente, symboles de l'UNIQUE.

Au lieu de ça, Milton se sent fondamentalement scientifique. Il doit donc trouver une explication scientifique à la conscience. Pour ce faire, il s'est lancé dans des études de neurologie à l'Université des Sciences de Newtell, ou Université des Sciences de Tellutaar comme on l'appelle aujourd'hui. Et c’est un très bon étudiant, ce qui l'a conduit jusqu’en dernière année. Il a soutenu avec succès une thèse sur les fondements neurologiques de l'audition, ce qui lui promet une carrière brillante dans la recherche scientifique, voire une chaire d'enseignant en médecine. Des discussions sont déjà en cours à ce sujet. Il est très estimé par ses pairs, bien soutenu par une famille riche et aimante, et un mariage est prévu avec la belle Annette Dunning. (Pensez à «Annette Barbaroux», et vous saurez ce qui va se passer.) Bref, il a tout pour être heureux, selon les critères sociaux officiels.

 

Il a maintenant de longues vacances pour le solstice d'été. Peut-être ses dernières vacances libres avant son mariage. Mais il ne s'embarque pas pour quelque tourisme ou voyage exotique. Il sait que plus tard, avec le mariage et le travail, il ne pourra peut-être plus faire librement ce qu'il veut. Alors, il s'habille simplement, et il prend un peu de retrait dans la paisible maison de montagne que possède sa famille. Ils ne l'utilisent pas, car il n'y a pas de route à proximité, le seul moyen d'y accéder est de grimper le sentier avec un sac à dos.

Milton a bien besoin de cette pause. Il peut ainsi se recentrer sur des choses essentielles dont il a été distrait par sa course aux études, avant de se lancer dans la course au travail. Il se promène donc dans les bois environnants, savourant le silence immaculé de la nature, les fleurs, le chant des oiseaux, la fraîcheur des feuilles sous la chaleur du soleil. Juste être là, sans enjeu ni justification, laissant simplement les belles vibrations de la vie entrer en lui.

Une fois par semaine, il descend le sentier pour retrouver sa mère ou l'une de ses sœurs qui lui apportent de quoi manger pour la semaine. Mais aucune ne monte jamais avec lui, au lieu de cela elles parlent de leurs soucis et de leurs enjeux, de ce qu'elles appellent «leur vie»: la sœur au tournoi de tennis, le procès en cours avec le voisin pour son arbre qui a laissé tomber ses feuilles sur leur pelouse, toutes ces choses inutiles qui semblent pourtant si importantes pour elles. Mais lorsque ces bavardages cessent et qu'il retrouve la nature ensoleillée, leur futilité détonne, énorme.

Le séjour en pleine nature se termine par un orage qui mouille sa literie et ses vêtements. En effet, la vieille maison a besoin de quelques réparations de base, mais la famille ne veut pas dépenser d'argent dans ce bâtiment «inutile».

Face à la perspective de renouer avec cette «vie sociale» si absorbante, Milton a soudain une révélation: la conscience n'est pas une affaire de combat ou de compétition, mais de jouir de la vie, de la beauté. Le plaisir d'être, le plaisir de la conscience elle-même! Et peut-être de partager cela avec d'autres... Mais avec qui? Avec Annette? Elle ne parle que de vêtements, de chaussures et de tennis! Avec ses collègues d'université? C'est plus compliqué. Mais il doit essayer.

Milton réalise que la neurologie étudie le cerveau – ce qu'elle fait très bien. Mais elle n'étudie pas la conscience elle-même! Elle ne l'appréhende même pas! Comme il l'a compris, la conscience n'est pas seulement la production des neurones: elle a ses propres enjeux, ses propres finalités et ses propres modes de fonctionnement. Où tout cela est-il codé dans le cerveau? La carte du cerveau montre les voies réflexes et toutes sortes de choses biologiques ou sensorielles, mais aucun neurone du but de la vie!

Il est sûr que s'il y en avait eu, il l'aurait trouvé dans son laboratoire. Il contemple dans son l'esprit la carte des circuits neuronaux de l'audition, qu'il a contribué à clarifier. Les nerfs arrivent de l'oreille dans cette zone du cerveau. Mais comment détermine-t-on la note? Ces neurones sont tous identiques! Comment les différentes sensations apparaissent-elles? Il n'y a pas d'autres couches de neurones pour cela, juste un enchevêtrement complexe reliant de manière apparemment aléatoire la zone auditive à diverses autres parties du cerveau.

 

Milton doit chercher une solution à ce problème, à la rentrée universitaire. On lui confie une chaire secondaire pour enseigner les bases de neurologie, et une place dans un laboratoire étudiant les causes neuronales de plusieurs maladies. Des choses positives, certes, et utiles. Mais cette double occupation lui impose une charge de travail écrasante, lui laissant très peu de temps pour réfléchir à sa nouvelle compréhension de la vie.

Faute de nouvelles pistes, Milton met sa nouvelle compréhension de côté. Mais ce n'est pas la fin. Il manque peut-être une pièce du puzzle. Attendons de voir.

Pendant les courtes vacances de l'équinoxe d'automne, le temps est agréable et plus chaud que d'habitude. Il songe à inviter Annette dans son refuge de montagne. Juste pour une journée, car dans leur milieu bourgeois, il est interdit d'avoir des relations intimes avant le mariage. Quel mal y a-t-il à partager son amour de la nature? Se dit-il. Alors, en voiture, il explique ce qu'il a ressenti là-haut. Ses «hmm hmm» semblent approbateurs, alors il l'encourage à gravir le sentier.

Ils font 50 mètres... Il n'y a pas prêté attention, mais elle porte des talons aiguilles, totalement inadaptés au sentier accidenté! Elle s'énerve alors et demande à retourner à la voiture! Elle boude ensuite, pendant tout le trajet du retour. Lui, il est mortifié, rongé par la culpabilité, comme s'il avait fait quelque chose de mal. C'est la première fois qu'il se passe quelque chose de désagréable avec elle.

L'incident ne s'arrête pas là: trois jours plus tard, c'est son père qui lui donne la leçon. Non pas sur la gaffe d’Annette avec ses talons aiguilles, mais sur sa compréhension de la vie à lui! Pour le père, ce qui compte, c'est l'argent, le statut social. Surtout, conclut-il, «leur famille doit se continuer». Puisque Milton est le seul garçon, ce «devoir» lui incombe. Ça n’a pas l’air d’une réprimande, c’est dit sur le ton amical du père expliquant quelque chose à son fils de 8 ans. Mais quoi de plus humiliant, quand on est un adulte? Sans parler de la menace voilée. Plus tard dans la journée, ce sont sa mère et ses deux sœurs qui lui adressent également des remarques! Il est tellement surpris qu'il est incapable de répondre de manière structurée, se contentant de marmonner «hmm hmm», ce qui, espère t-il, semble approbateur. Deux jours plus tard, c'est sa future belle-famille!

 

Milton finit par comprendre qu'il n'avait rien fait de mal, mais que c'était eux qui étaient en faute, pour une raison inconnue. Comment pouvaient-ils AIMER passer leur vie entière dans cette compétition futile et sans enjeu, dans le bruit constant de la télévision? Il doit y avoir une erreur de compréhension, quelque chose qui n'a pas réussi à se mettre en place dans leur esprit. Maintenant qu'il est autonome (avec son bon salaire d'enseignant), il n'a plus besoin d'eux. Mais c’est sa famille, et d'Annette, sa fiancée... Il y est toujours attaché, et partir serait comme une amputation. Jusque-là, sa famille lui suffisait pour se sentir aimé, et il n'a jamais ressenti le besoin de se faire des amis ailleurs. Grave erreur, car s'il partait maintenant, il se retrouverait seul.

 

Milton commence à ressentir la détresse de tous ceux qui avancent: se retrouver seuls, rejetés par la majorité de stupides.

 

Après cette expérience, il a un peu peur de parler de son expérience à l'université.

Enfin, il essaie, mais de manière indirecte, pour éviter de dévoiler son propre intérêt: «Certains pensent que la conscience existe indépendamment et...» Les rires de ses pairs ne lui laissent aucune illusion. «Ne perds pas de temps avec ça», d'un ton paternaliste, avec une nuance menaçante: «Il y a deux ans, un professeur a été renvoyé de l'université pour avoir évoqué ces absurdités dans un cours.» Il semble donc que sa tentative ait échoué: il ne peut pas partager sa compréhension avec ses pairs, ils sont totalement inutiles. Pourtant, leurs réponses lui apportent une information importante: ils savent de quoi il parle! Ils ont du vocabulaire et des noms de personnes qui défendent ces idées. Ils disent même que c’est «la théorie de la conscience des Elfes». Est-ce pour cela qu'ils la rejettent? Il connaît le racisme anti-Elfe toujours omniprésent, pas exprimé ouvertement mais qui complique encore beaucoup les choses. Se pourrait-il qu'ils rejettent des théories scientifiques simplement parce que l'auteur est un Elfe? Ce n'est pas de la science, mais du pur préjugé.

Milton est à nouveau mortifié, comme s'il avait lui-même tort. Il se force cependant à rire avec ses pairs pour ne pas éveiller leurs soupçons. Mais maintenant, tout est clair dans son esprit. Se pourrait-il qu'une large majorité ait tort? Y compris les scientifiques? Et qu'ils rejettent l'idée elle-même, ainsi que ceux qui l'ont inventée? Cela ressemble tellement aux anciennes persécutions religieuses contre la science naissante... C’était déjà «l'opinion de la majorité»! Malgré l'avènement de la démocratie et de la paix, de nombreuses injustices et maux bien visibles persistent dans ce monde du Nyidiath. Le rejet de la conscience n'en serait qu'un exemple. Une sorte de continuation des anciens tabous et persécutions religieuses, revêtus de nouveaux oripeaux par la science. Qu'un tabou survive à un changement radical de concepts et de paradigmes n'a rien d'étonnant, après tout, pour un neurologue. C’est simplement d'une névrose de base. Et il existe d'autres exemples, comme les décennies de lutte rétrograde contre la Relativité, la vie extra-Nyidiathienne ou le changement climatique.

Mais sa tentative n'a pas vraiment échoué: il a désormais une piste. Et même plusieurs!

Grâce à Internet, il retrouve rapidement le professeur expulsé: le Pr. Robert G. Jahn. Malheureusement, il était mort quelques semaines plus tard, d'un cancer. Ça a dû être horrible pour lui d'être détruit socialement, alors que son propre corps était en train de pourrir sous les métastases. Et quelle lâcheté de la part de ses pairs de l'attaquer alors qu'il était incapable de se défendre. En effet, ils n'avaient pas besoin de l'expulser, puisqu'il ne reviendrait jamais de toute façon. Et ces gens se font passer pour des scientifiques?

Oh, toute l'affaire est dans Nyidipedia! Sans surprise, ils méprisent le professeur, sans donner de véritable motif. Mais ils donnent aussi une liste de «complices», dont plusieurs sont des elfes! Et même des associations.

Milton n'a donc plus qu'à explorer ces pistes. Problème, il vit toujours chez ses parents et ses sœurs, et elles ont l'habitude de regarder son écran d'ordinateur à tout moment. Il ferme donc rapidement la page Wikipédia à l'arrivée de sa sœur aînée. Jusqu'à présent, il ne ressentait pas ces regards comme un inconvénient. Se pourrait-il qu'elles le surveillent? Ce qu'il avait compris comme un partage de ses activités serait-il en réalité une surveillance? Ou simplement qu'elles aient spontanément ce mode de vie irrespectueux? Il ne s’agit pas non plus de sombrer dans la paranoïa. Il n'en demeure pas moins qu'elles commentaient souvent ce qui s'affichait sur son écran, et même elles émettaient des jugements. Il pensait que c'étaient des remarques amicales, mais il réalise maintenant qu'il se sentait souvent mortifié, et même qu'il avait changé plusieurs fois ses habitudes pour plaire à sa famille. Mieux vaut donc ne pas leur montrer son nouvel intérêt, au risque de recevoir des remarques désagréables, des pressions, et peut-être pire, sur ce sujet hérétique. Il avait déjà dû mettre en scène une «guérison» et des «regrets» concernant sa prise de conscience dans la maison à la montagne.

Utiliser son ordinateur du laboratoire universitaire ne serait guère plus judicieux, car son contenu et son historique web peuvent être consultés via l'intranet de l'université.

Il pourrait profiter des absences de sa famille. Mais tous les quatre absents devient de plus en plus rare. Hasard, ou surveillance?

Il se procure alors un petit ordinateur portable avec connexion Internet sans fil, qu'il peut utiliser en toute sécurité depuis sa voiture. De cette façon, il peut effectuer une recherche plus approfondie de noms et d'associations. Ils ont des sites web où ils exposent des informations sur la conscience et la parapsychologie. Mais Milton découvre rapidement qu'une bonne partie de ce contenu est faux, sectaire ou trompeur. C'est le danger d'un domaine de recherche scientifique dépourvu de tout contrôle académique: n'importe qui peut se faire passer pour un scientifique, un psychologue, un gourou, un prêtre, un médium, ou quoi que ce soit d'autre, et diffuser de fausses informations, discréditant ainsi le domaine tout entier et détruisant les chercheurs sincères. Nyidipedia n'a alors plus qu'à promouvoir les faux chercheurs et à ignorer les vrais. Il leur faut quand même lister les bons parmi les mauvais, afin de discréditer les deux. C'est ainsi que Milton parvient finalement à pénétrer le réseau des bons. Mais c'est un travail de détective, car la pourriture peut se cacher sous de la belle peinture!

Il entame alors des échanges par courriel ou sur des forums, anonymisés. Il décrit brièvement son expérience de la montagne et demande des explications. La plupart du temps, il ne reçoit aucune réponse, ou des réponses indiquant que la personne n'a pas partagé sa nouvelle compréhension. Certains le poussent même à fréquenter des groupes douteux, à acheter leurs livres, etc.

Il finit par trouver un petit nombre de personnes qui semblent le comprendre. Mieux encore, elles ont même un vocabulaire pour décrire son expérience: «prise de conscience», «conscience de la nature», «instant de superconscience». On lui explique que cela se produit spontanément dans le «vide mental», lorsque notre «flux de conscience» cesse de s'accrocher ou de s'attacher aux «pensées mondaines». C'est tellement différent de l’habituel moralisme religieux naïf, qui ne cherche qu'à contrôler notre comportement, sans examiner les intentions et les sentiments qui y conduisent.

 

A ce point, Milton décide de louer un petit appartement pour lui seul. «Plus près de mon travail, pour gagner du temps dans les transports», dit-il à sa famille inquisitrice. Mais à l'opposé d'eux, afin que leurs visites intrusives soient suffisamment rares pour lui permettre de souffler entre deux. Il installe son petit ordinateur portable bien visible dans la pièce principale, avec des sites d'actualités ou des films. S'ils arrivent à l'improviste, la porte de sa chambre est toujours verrouillée, sous prétexte de détenir des «documents professionnels confidentiels». Ils font quand même des remarques en direction de la porte fermée, se demandant s'il est en train de devenir homosexuel ou quelque chose comme ça, ha ha ha ha! Mieux vaut les laisser penser ça. L'homosexualité est encore très mal vue dans leur milieu bourgeois, mais l'université s'en fiche complètement. Ils ont même un programme de cohabitation respectueuse, de sorte que ces accusations ne lui feront pas perdre son emploi!

Enfin, il installe un ordinateur performant et un accès Internet dans sa chambre verrouillée, afin de pouvoir communiquer librement avec ses nouveaux amis, à l'abri de quiconque. Bon, ce n'est pas «secret», mais après avoir passé toute sa vie sous une observation de chaque minute, Milton découvre soudain les immenses avantages d’avoir une vie privée. Sa famille avait probablement perçu son changement bien avant lui, d'où leur maniaque surveillance «bienveillante».

Cela le conduit aux longues vacances du solstice d'hiver, où il a du temps libre. Heureusement, Annette ne veut pas être seule avec lui dans sa «garçonnière», de peur d'être considérée comme une femme de peu de moralité. Ses visites sont donc rares, et jamais seule. Quant au mariage, elle souhaite d'abord terminer ses études de droit, ce qui ne se fera pas avant l'été prochain. Milton trouve étrange de confier un rôle juridique à quelqu'un incapable de marcher sur un chemin forestier ou d'enfoncer un clou. Quelle justice rendra-t-elle alors?

 

Ses investigations approfondies lui apprennent que, malheureusement, le sujet de la conscience est assiégé par des sectes et toutes sortes de batjots qui tentent de piéger les novices comme lui. Et ils y parviennent souvent, comme en témoigne le nombre de leurs adeptes. Il doit donc se montrer très prudent. Il établit une liste de critères pour les détecter.

La réunion de Sanduak

Il est finalement invité à une réunion dans une ville plus au nord de Tellutaar, appelée Sanduak. Avant la baisse du niveau de la mer, c'était un port, mais aujourd'hui il ne reste qu'une petite ville, bien que dotée d'un musée et de monuments intéressants. L'ancien bassin portuaire a été aménagé en un magnifique parc, entouré des murs de l'ancien quai. Le phare a également été fièrement préservé, et ils y allument parfois un feu lors des fêtes. On peut également visiter plusieurs temples et monastères qui ont survécu à la Révolution (bien que pillés jusqu'à la plomberie). Ce passé brillant et un maire progressiste ont fait de Sanduak un lieu de villégiature prisé des intellectuels et des artistes, avec de nombreux événements, pièces de théâtre et expositions, se déroulant dans plusieurs salles de tailles différentes. Des entrepreneurs astucieux ont aménagé des mini-hôtels pour les participants aux conférences, avec des chambres réduites à des «cellules d’abeilles» pour les rendre aussi abordables que possible.

 

La réunion est en fait une conférence, dans une petite salle à moitié pleine de personnes diverses, et même d'enfants. Le thème est la parapsychologie. Pour être franc, en tant que scientifique, Milton n'est pas très enthousiaste. Mais partout où il entend parler d'expériences de conscience, les phénomènes «inexpliqués» viennent juste ensuite. Alors avec un peu de patience, son propre intérêt, les expériences de conscience, se manifestera probablement bientôt. Bon, il existe un tabou religieux immémorial sur la «magie». Et si il en était avec la parapsychologie comme pour les expériences de conscience, un tabou religieux qui aurait survécu à la révolution athée, pour devenir un tabou scientifique? On ne change pas une névrose profondément ancrée par un simple changement superficiel de formulation ou d'idéologie. Il existe en effet de nombreux autres exemples de tabous religieux anciens toujours actifs, voire toujours appliqués, comme ceux sur la contraception et la vie extranyidiathienne. Même les étranges règles sur la disposition des cuillères sont encore bien vivantes, jusque dans la cafétéria de l’Université! Et les livres d'histoire des sciences n'oublient jamais de mentionner que les premiers scientifiques à défendre la Relativité avaient été expulsés de l'université. Il n'y a donc rien de nouveau ici.

Milton n'apprend pas grand-chose dans ce discours, de sorte que, lorsque vient le moment des questions, il explique brièvement son expérience et interroge sur sa nature ou sa signification. C'est la première fois qu'il en parle publiquement, et il sent ses joues s'échauffer! L'orateur explique que c'est une expérience qui peut arriver à n'importe qui, dans certaines conditions. Il ajoute également qu'il peut se fier au sentiment général qu'il a reçu, mais ne pas prendre littéralement l’expérience pour un «message» ni pour une «mission».

Mais d'autres questions sont posées, et la conférence se termine bientôt. Il y a un brouhaha de personnes parlant et se rassemblant autour du stand de vente de livres. Milton est heureux d'obtenir une confirmation, mais il est frustré de ne pas avoir plus d'explications. Simplement, l'expérience est relativement courante, après tout, mais la plupart des gens continuent leur vie sans savoir où placer cette pièce du puzzle.

Cette excellente image s’élève dans son esprit: ils ne trouvent pas de place pour cette pièce du puzzle, parce que leur esprit est déjà entièrement rempli de fausses pièces, comme des opinions, des préjugés, des idéologies, etc. Il faut alors retirer les opinions et autres éléments parasites, afin que la nouvelle expérience trouve sa place et ait un sens. Malheureusement, beaucoup ne le font jamais, tant ils s'accrochent à leurs opinions comme à une bouée de sauvetage.

Soudain, Milton entend quelqu'un lui parler. C'est un homme d'apparence tout à fait ordinaire, vêtu d'un costume commun.

«Monsieur, nous nous intéressons aux personnes qui ont réellement vécu de telles expériences. Si vous le voulez, nous pouvons parler un peu plus»

Bientôt, ils se lancent dans une discussion animée, tandis que la salle de conférence se vide. Il reste cependant quelques personnes autour du conférencier et du stand des livres. Milton a le sentiment que son interlocuteur a manifestement vécu la même chose, mais aussi qu'il en sait plus que lui. C'est intéressant, mais Milton se méfie toujours de la possibilité d'un recruteur de secte. Bon, un recruteur a peu de chances avec lui, lol.

Les lumières principales de la salle de conférence sont éteintes, il n'en reste qu'une au-dessus du stand. Quelques personnes encore présentes franchissent une porte et pénètrent dans une pièce plus petite.

«Entrez, s'il vous plaît», lance son nouvel ami. La pièce ressemble à une salle de classe, à la différence que le bureau du professeur est utilisé pour un buffet, tandis que des chaises sont disposées vaguement en cercle.

Il y a une douzaine de personnes. Milton va s'asseoir sur la chaise la plus proche. Mais là, quelque chose d'inattendu se produit: il est en train de s’asseoir sur quelqu'un. Il se lève brusquement, mais la chaise est vide. Il réessaye, mais cette fois, c'est un ordre impérieux de ne pas s'asseoir ici. Déconcerté, il réalise que tout le monde le regarde d'un air sévère, comme le ferait un tribunal ou un jury. Bon, il a d'un seul coup la preuve irréfutable de deux choses: les phénomènes parapsychologiques sont bien réels, et ces gens sont on ne peut plus sérieux.

 

«C’est la chaise de MakTar.»

 

Puis: «Vous êtes le bienvenu ici. Mais veuillez apporter une autre chaise, celle-ci est déjà utilisée.» Et ils rient tous, dissipant l'atmosphère de tribunal.

MakTar, Milton connaît ce nom: le dieu de la guerre des Elfes, considéré comme un dieu renégat par les religions anciennes. Enfin, c'est la tradition populaire. Mais les gens cultivés savent aussi qu'il est le dieu de la science et de la technologie.

Sa nouvelle connaissance expliqua à Milton:

«Il y a longtemps, nous, les scientifiques, avons invoqué la protection de MakTar pour la science. Pendant deux millénaires de persécution religieuse, c'était plus que nécessaire. Aujourd'hui, la science semble libre, mais elle n’est pas vraiment ce que souhaitaient les scientifiques antiques d'il y a 2000 ans, et encore moins la vision généreuse du Siècle des Lumières (Note de l’auteur: juste avant la Révolution). Aujourd'hui, la science dominante est fortement politisée, corsetée, ses académies financées par des gouvernements athées, instrumentalisée, voire utilisée comme arme, pour favoriser une société matérialiste, gérée en sous-main par des intérêts commerciaux. La classe des maîtres de forge, comme certains les appellent encore. Aujourd'hui, cette expression est tournée en dérision, mais l'origine de la plupart des grandes fortunes actuelles remonte aux forges d’affinage, avant l'âge du charbon. Vous comprenez donc pourquoi ces types ne veulent pas de science spirituelle: leur emprise sur la société s'effondrerait de l'intérieur. C'est pourquoi ils ont éliminé les religions et utilisé la Révolution pour promouvoir le capitalisme au lieu d'une société égalitaire. C'est pourquoi ils combattent encore aujourd'hui la parapsychologie, la compréhension de la vie ou la prise de conscience. Ceux qui déclarent publiquement en avoir une sont moqués, et parfois persécutés. Nombre d'entre eux ont eu des problèmes familiaux, certains ont même atterri en hôpital psychiatrique. C'est pourquoi nous maintenons une présence sur les forums Internet, afin d'alerter les gens avec de telles conférences. Mais notre véritable objectif n'est pas public.»

- Mais... mais... essayé Milton. MakTar, c'est aussi de la religion? Une croyance?

Quelqu'un d'autre explique:

«Ha ha, pas vraiment des croyances. MakTar a existé physiquement, cela a été prouvé il y a quelques années par des documents retrouvés dans d'anciennes caches au Kondo, rédigés par des témoins directs. Les médias n'en parlent pas beaucoup, mais tous les intellectuels le savent. Aujourd'hui, MakTar est toujours là, en tant qu'entité spirituelle. Enfin, ce n'est pas directement lui qui est assis sur sa chaise, mais vous avez remarqué qu'il y a bel et bien quelque chose, malgré le fait que la chaise soit physiquement vide. Cela nous sert de test pour la sincérité et la fiabilité des personnes qui entrent dans notre groupe. Si vous n'aviez pas ressenti cette présence, nous aurions simplement porté des toasts et discuté de généralités avant de nous dire au revoir. Et vous ne soupçonneriez rien. Cela nous protège de toute infiltration de personnes hostiles ou perturbatrices. C'est ainsi que MakTar continue de protéger la science, la vraie science qui inclut la conscience.»

-MakTar a joué un rôle très important dans l'histoire des Elfes. Par exemple, il a inspiré la conception des navires croiseurs de Horiathon pendant l'Exode. Sans Lui, il n’y aurait pas eu ces bateaux, et partant pas d’Exode. La plupart d'entre eux furent démontés pour récupérer leurs matériaux, mais une douzaine ont été conservés intacts dans le Dauriath, pour les archives historiques. Ils sont toujours là aujourd'hui, et j'en ai personnellement visité un. C'étaient d'incroyables machines conçues pour résister au terrible choc de l'arrivée sur le Dauriath. Une complexe structure de planches de bois, conçue pour absorber l'énergie du choc par déformation contrôlée de certaines pièces. Les témoins ont rapporté de terribles craquements et grincements, et ils ont vu des planches coulisser les unes sur les autres dans leurs fixations, comme prévu. Dans le vaisseau survivant que j'ai vu, qui est tombé sur le côté, la passerelle avait pris une forme en zigzag bien visible! Ces machines étaient très avancées, compte tenu de la faible technologie du Moyen Âge dont nous disposions à l'époque, et ils ressemblaient davantage à des vaisseaux spatiaux qu'à des bateaux. Aujourd'hui, une structure similaire est utilisée dans nos fusées spatiales.

-MakTar a également inspiré les notations musicales. C'est ainsi que plusieurs communautés elfiques indépendantes ont développé des systèmes très similaires, bien qu'elles étaient incapables de communiquer à l'époque. Dans les temps anciens, MakTar aida à défendre les Elfes contre les Humains primitifs, qui leur livraient d'innombrables guerres. Mais aujourd'hui, les choses ont bien changé. Elfes et Humains doivent collaborer pour préparer la Grande Merveille dans neuf siècles. Cela n'arrivera que si tous travaillent ensemble en paix. MakTar œuvre désormais pour cela. Il n'est plus le Dieu de la Guerre.»

 

Cela fait beaucoup pour Milton. Il réalise que la moitié de ces personnes sont des Elfes. Habillés comme des Humains, mais on sent néanmoins qu'ils sont différents. Leurs expressions faciales sont plus harmonieuses, plus libres, plus sereines, leur sourire toujours prêt. C'est la raison pour laquelle les sociopathes sont capables de reconnaître les Elfes sans équivoque, même lorsqu'ils sont déguisés en Humains.

Serait-il possible que ce qui fait un Elfe soit d'être constamment en super-conscience?

Serait-ce la cause de leur magie? Milton réalise qu'il n'y a aucune explication matérielle à la longue vie des Elfes. En particulier toutes les expériences ont prouvé que les Elfes possèdent les mêmes gènes que les Humains. Mais alors, comment leur corps se régénère-t-il?

Milton réalise également qu'il connaît l'un des Humains: le professeur Schwanz, directeur d'un laboratoire proche du sien, au sein du même département de neurologie, à l'Université de Tellutaar! Il le voyait souvent et partageait même occasionnellement sa table à la cafétéria. Parmi les autres, il y a probablement plusieurs scientifiques de haut niveau, vêtus comme de modestes ouvriers ou de simples gens.

«Oui, c'est bien moi», répondit le professeur Schwanz. «Je suis heureux que vous ayez fait votre prise de conscience après vos études. En effet, lorsque cela arrive, les gens ont souvent le sentiment que leurs études sont inutiles, et ils les abandonnent, hélas. Heureusement, vous êtes maintenant un brillant neurologue, et nous avons besoin de personnes compétentes comme vous pour notre objectif au sein de ce groupe.

-Quel objectif?

-Hum, pour l'instant, c'est secret. Nous n'en parlons jamais dans le Nyidiath, seulement dans le Dauriath.» Vous savez, lorsque nous menons une expérience de parapsychologie, comme la pensée d'un sujet essayant d'influencer un objet, alors la pensée de n’importe qui d’autre peut également influencer ce même objet, et perturber le résultat de l'expérience. C'est pourquoi les expériences de parapsychologie donnent presque toujours des résultats nuls lorsque des personnes hostiles en ont connaissance. Si cela ne suffit pas à discréditer la discipline, les résultats sont critiqués, par exemple sur Nyidipedia, ou les scientifiques sont calomniés, comme ce mon pauvre ami Bob qui a osé parler ouvertement.

«Puisque nous ne pouvons pas protéger une expérience contre les influences négatives, la seule solution à ce stade est de procéder en triple aveugle: le sujet ne sait rien, l'expérimentateur ne sait rien, et surtout le public ignore quelle expérience a lieu. Ce dernier point nous protège contre toute tentative de falsification des expériences, intentionnelle ou par simple pessimisme. C'est pourquoi notre projet est strictement confidentiel. Ce secret nous protège également contre toute activité hostile ou toute infiltration par des escrocs ou des sectes. Bien sûr, une fois nos travaux terminés, nous en présenterons les résultats à tous. Mais nous ne prévoyons pas cela avant des dizaines d'années.

-Dans le Dauriath? Mais avec mon travail, je n'ai pas de temps pour y aller...

-Haha, on pourra arranger ça un jour. Vous apprécierez sûrement la visite. Mais pour l'instant, nous avons quelque chose de bien mieux. Nous disposons d'un monde virtuel entier, où nous pouvons discuter en toute liberté.

-Dans le Nyidiverse? Mais il n'y a aucune vie privée dans le Nyidiverse! Avec toutes les failles de sécurité béantes, n'importe quel gouvernement ou grande entreprise peut compter les poils de nos fesses!»

Les Elfes rient, appréciant le langage imagé de Milton autant que les Humains.

«Hahahaha! Non, pas dans le Nyidiverse. Je parle de mondes virtuels sérieux.

«Je veux dire, le système de monde virtuel elfique du Dauriath.

-Notre système.

-Le...?

-Oui, NOTRE système, dit une Elfe. Tous les serveurs sont dans le Dauriath. Pour les navigateurs dans le Nyidiath, nous disposons d'un cryptage de bout en bout et de toutes sortes de sécurités, comme le changement de méthode de cryptage plusieurs fois par semaine. Bien sûr nous ne confierons pas nos principales activités stratégiques elfiques à des navigateurs dans le Nyidiath, mais pour le projet actuel, c'est suffisamment sûr.

-Nous ne pouvons plus rester dans cette pièce. Le concierge va venir fermer les lieux. Mais attention: pas un seul mot. Si on vous pose la question, vous n'avez jamais rien entendu d'autre que des généralités et quelques toasts après la conférence. Je vous explique comment vous connecter à notre espace virtuel, et à bientôt là-haut!»

Cela ressemble à n'importe quelle réunion d'association, avec des chaises tout autour et des boissons sur une table. Le professeur Schwanz adresse un geste de remerciement discret à la chaise de MakTar, et celle-ci redevient instantanément une chaise très ordinaire, tirée avec les autres. Jamais auparavant Milton n'aurait pu imaginer ce professeur d'université sérieux et respectable faire un geste magique!

Bon ce n’est pas lui qui fait la magie, mais tout de même.

 

Plus tard, dans son petit appartement, Milton est tellement excité qu'il ne peut s’endormir que très tard. Ainsi, non seulement il a compris des choses extraordinaires, mais en plus, toute une communauté de scientifiques les étudie! Et oui, c'est lié à la parapsychologie, comme il l'avait deviné. Mais c'est aussi lié aux Elfes! Il est extrêmement curieux de découvrir leur but ou leur projet.

Les mondes virtuels des Elfes

Dès son réveil le lendemain matin, Milton allume son ordinateur. Il fréquentait déjà le Nyidiverse, pour des réunions professionnelles ou des expériences. Il a l’habitude d’utiliser le navigateur elfique au lieu du navigateur standard. Il est rapide et intuitif, mais puissant, ce qui explique pourquoi de nombreux humains le préfèrent pour le Nyidiverse, sans connaître son rôle premier.

Les utilisateurs de mondes virtuels sur Terre apprécieront de découvrir comment les Elfes s'y prennent. Admirez!

 

Inclus dans les transferts de technologie qui ont suivi la bataille du Horiathon, les Elfes ont partagé des outils de réalité virtuelle, et ils continuent d'en développer activement des versions améliorées. Cela a permis aux humains du Nyidiath d'avoir une vie virtuelle. Malheureusement, la plupart l'utilisaient uniquement pour le combat, les boumes ou le porno. Les Elfes avaient fourni les outils, les humains devaient en trouver les applications.

Pourtant, interrogés sur les forums ou dans les médias, les Elfes affirment régulièrement qu'ils utilisent «rarement» la vie virtuelle.

Alors, pourquoi entreprendre l'immense effort de concevoir des outils aussi avancés? Et de les adapter aux lois humaines? Ils devaient avoir un motif important.

 

À l'époque de cette histoire, le Dauriath et le Nyidiath sont de plus en plus imbriqués: des Humains deviennent des Elfes, des Elfes ont des amis ou de la famille humaines, les scientifiques collaborent, des forums ont des identités cachées, etc. Tout cela rend certaines choses de plus en plus difficiles à dissimuler. Ainsi, vers 3930, 34 ans après la bataille du Horiathon, un nouveau nom a commencé à circuler sur les forums Internet consacrés à la vie virtuelle: l'Estrellar, un immense réseau tentaculaire de mondes virtuels interconnectés couvrant tout le Dauriath. Et les Elfes y ont apporté le summum de leur culture. En fait, principalement dans l'Arlit, la partie moderne du Dauriath, mais l'Undar, la partie des Elfes «fantasy» traditionnels, se dote peu à peu de connexions Internet discrètes mais rapides, alimentées par des panneaux solaires.

Et tous ceux qui ont vu l'Estrellar le trouvent d'une beauté et d'un raffinement incroyables.

De nombreux intellectuels et passionnés d'Internet ont interrogé les Elfes sur les raisons pour lesquelles ils dissimulent leurs mondes virtuels. La réponse officielle est l'intimité: la plupart des familles elfiques les utilisent pour rester en contact lors de leurs voyages. Ou alors, ils sont «légèrement vêtus» dans leurs jardins paradisiaques. Chez les elfes, ce n'est pas un problème, et de toute façon, ils ont des indices subtils sur les endroits où ils peuvent aller, ou non. Inutile de dire que même des humains bienveillants manqueraient ces indices et entreraient sans y être invités dans des lieux qui ne leur conviennent pas. Sans parler des enfants qui tentent d'explorer ces mondes. Ou de gens pornos envahissant les paradis elfiques avec leurs manières grossières et leur langage méprisant.

Non.

En réalité, la véritable raison pour laquelle ils refusent la présence d'humains quelconques dans leurs lieux elfiques n'a rien à voir avec la nudité corporelle. Certains l'appellent «nudité de l'âme»: des manières et des comportements qui paraissent normaux pour la plupart des humains ruinent totalement l'ambiance des paysages elfiques. Des choses comme bavarder ou être totalement hors-vibration. Cette exigence reste incompréhensible pour la plupart des humains, et nombre d'entre eux commettraient des erreurs flagrantes, comme porter des vêtements gris, émettre des opinions, analyser ce qu'ils voient, ou pire, traîner des idéologies, comparer aux jeux vidéo, écouter de la mauvaise musique, on en a même vus portant des habits de vampire ou de démon! Quoi de plus répugnant, pour un Elfe dans un paysage magnifique, que de voir des gens parler de guerre, de tennis, ou affirmer leur supériorité ou leur «appartenance»! Et bien sûr, si les elfes tentent d'expliquer cela, la réponse habituelle est «je m'exprime», bloquant ainsi toute communication.

Non seulement ces comportements sont une plaie pour la vue, mais ils perturbent totalement la communication non verbale subtile des Elfes, basée sur les vibrations et autres connivences délicates. Les elfes pourraient placer des panneaux et des avertissements, comme des indices non subtils et compréhensibles par tous. Mais ce n'est pas une vraie solution: traduire leur communication non verbale en mots et en signes gâcherait leur propre plaisir, tout en situations subtiles. Ils préfèrent ressentir les choses, pas en discuter. Certains Elfes tentent de regrouper les Humains perturbateurs dans des paysages éducatifs, mais à vrai dire, la plupart des Elfes ne se soucient guère des Humains, si bien qu'ils ferment simplement leurs paradis personnels à tout ce qui venait du Nyidiath.

Maintenant que le mot s'est répandu, certains Elfes ont progressivement ouvert des espaces virtuels dédiés à quelques Humains, principalement ceux qui aspiraient à devenir Elfes, ou à des artistes et intellectuels triés sur le volet, comme témoins. C'est ainsi que des images de l’Estrellar ont commencé à circuler sur les forums Internet. Pas dans les médias, car ils boudent la vie virtuelle depuis quarante ans déjà, sans même la mentionner. Et il vaut mieux qu'ils l'ignorent, au moins ils n'associent pas la vie virtuelle à leur mauvaise politique et fausses philosophies.

 

Mais ceux qui ont l’ont visité sont tous d'accord: en effet, ces scènes sont toutes d'une incroyable beauté.

 

La technologie virtuelle offerte dans le Nyidiath après la bataille du Horiathon était en réalité de moindre qualité, comparée à celle déjà installée dans le Dauriath. Assez performante pour les ordinateurs et les connexions humaines à l'époque, bien plus faibles que celles des Elfes. Et de toute façon, suffisamment performante pour les usages humains prévisibles: jeux antagonistes, boumes, etc. Mais la différence s'amenuise et, 34 ans après la bataille du Horiathon, les humains sont capables de construire des ordinateurs suffisamment puissants pour le meilleur de la vie virtuelle. Alors pourquoi les Elfes ont-ils partagé si tôt une technologie encore immature, inutilisable pour l’usage réellement prévu? La meilleure hypothèse est qu'ils voulaient créer une culture de la vie virtuelle, sans attendre l'arrivée des ordinateurs performants dans le Nyidiath.

 

Mais par-dessus tout, ils souhaitaient que les Humains comprennent la nécessité de règles de base dans le virtuel, et qu'ils les élaborent eux-mêmes, sans que les Elfes ne le leur dictent.

En effet, les débuts de la vie virtuelle de Nyidiath furent chaotiques, et ce pour plusieurs raisons. La première était que les Humains créaient des mondes virtuels fermés, où il était impossible de transférer du contenu d'un monde à l'autre, même pas les identités. Au début, cela ne fut pas perçu comme un inconvénient, mais après quelques fermetures abusives de mondes, les gens comprirent que c'était une catastrophe ruinant la vie virtuelle de tous les utilisateurs, comparable à une frappe nucléaire détruisant une ville entière, tuant tous ses habitants et effaçant toutes ses archives et son histoire. Les Elfes savaient que cela allait arriver, mais ils attendirent que les Humains comprennent par eux-mêmes qu'une certaine discipline et des règles formelles étaient nécessaires, au lieu de laisser des escrocs et des zinzins s’amuser avec la vie de leurs utilisateurs. Ce n'est qu'une fois cela compris que les Elfes purent partager les vraies solutions, et seulement à ceux qui les comprenaient. De telles règles ne sont pas vraiment nécessaires dans le Dauriath, réservé aux Elfes, mais l'idée était de créer un système où Elfes et Humains pourraient cohabiter. Ce système fut appelé le Nyidiverse, pour le différencier de l'Estrellar, réservé aux seuls Elfes. Mais le premier permettra aux Humains d'accéder au second, lorsqu'ils seront suffisamment matures.

 

Milton se dit qu’il serait très imprudent d’utiliser la même identité que pour ses réunions et son travail à l'Université. Il doit donc en créer une nouvelle pour le «projet». Voici comment il procède.

L'un des problèmes que ces règles devaient prendre en compte est le nombre d'abus sur Internet et dans les mondes virtuels, et même de crimes réels. Les concepteurs web et les avocats humains ont donc trouvé une solution très simple: un utilisateur doit s'inscrire auprès d'une société fiduciaire, familièrement appelée une «fide», qui vérifie et conserve sa véritable identité. Il peut alors créer autant d'identités virtuelles qu'il le souhaite. Seule la société fiduciaire connaît le lien entre son identité physique et ses identités virtuelles. Cela protège suffisamment la liberté virtuelle des individus, tout en permettant une injonction judiciaire motivée d’identifier les personnes malveillantes agissant dans le virtuel. Cette solution simple a permis de concilier liberté d'expression et protection contre la cybercriminalité, sans avoir à faire de concessions sur l’une ni sur l’autre, ni de créer un ensemble complexe de lois spécifiques. À tel point que ce système est également de plus en plus utilisé sur les forums Internet. Certains pays du Nyidiath ont même commencé à utiliser leurs propres fides pour identifier en toute sécurité leurs citoyens dans leurs mondes virtuels administratifs. Mais la plupart résistaient encore à la vie virtuelle.

Pour accéder au Dauriath, Milton doit créer sa nouvelle identité dans une fide du Dauriath. Bien sûr, chez les Elfes, les précautions légales ne sont pas vraiment nécessaires, de sorte que les fiduciaires du Dauriath ne sont que de simples dépositaires d'identités, pour accéder aux nombreux mondes du Dauriath. Mais les visiteurs du Nyidiath doivent d’abord s'inscrire dans une fide spéciale, appelé le nimar, exclusivement réservée au travail dans le Nyidiath. Et celle-ci est soumis à des contrôles très stricts. Il avait déjà entendu ce nom, comme un bureau des services de renseignement elfiques. Ces types ne rigolent pas, ils sont encore plus effrayants que la chaise du MakTar. Transférer Milton du Nyidiverse à l'Estrellar est donc une procédure complexe, mais très transparente pour lui. Aucune idée de comment ils ont pu le vérifier aussi rapidement, sans qu'il ne remarque quoi que ce soit: il obtient le feu vert une minute plus tard.

 

L'autre rôle primordial de la société fiduciaire est d'offrir aux utilisateurs un dépôt personnel pour leur inventaire d'objets virtuels. Un inventaire qui peut être coûteux ou nécessiter des années de travail. Ainsi, au lieu d'être accessible uniquement depuis un monde donné, il est hébergé par la société fiduciaire, et accessible depuis n'importe quel monde virtuel. Cet inventaire est donc sécurisé même en cas de fermeture inopinée d'un monde. Et comme il est légalement la propriété de l'utilisateur, la société fiduciaire doit en prendre soin, même en cas de faillite. C'est pourquoi les différentes sociétés fiduciaires ont établi un trust partagé, un réseau distribué pour sauvegarder leurs contenus respectifs. Les utilisateurs peuvent également obtenir des sauvegardes locales de leur propre dépôt, ou le transférer vers une autre fiduciaire.

 

Une caractéristique intéressante du dépôt d'inventaire est que c’est un monde virtuel par lui-même, exposant tout son contenu en taille réelle, organisé en salles et champs par catégories, chacune dotée de téléportails vers les catégories voisines. À sa création, le dépôt contient déjà des milliers d'objets gratuits variés, classés par salles selon les catégories. Il mérite déjà une exploration en soi, et la plupart des utilisateurs aiment ça. Mais après avoir ajouté des milliers d'objets personnels, certains parviennent à en faire un véritable fouillis. Eh bien, pas vraiment, car le dépôt possède une géométrie étrange: chaque salle est une scène virtuelle indépendante, ce qui permet de l'agrandir à volonté, sans avoir à déplacer les autres salles.

Milton doit donc transférer le contenu de son dépôt du Nyidiath vers un dépôt du Dauriath. Le transfert commence immédiatement avec les objets les plus courants, comme ses formes corporelles et ses vêtements. Le reste prend plus de temps, en arrière-plan. De nombreux objets étant déjà présents dans les inventaires des fournisseurs, seules les références sont transférées via le trust commun, ce qui accélère considérablement le processus. Le transfert complet des objets copiables se terminera en arrière-plan.

 

Pourtant, certains de ses objets sont refusés par le dépôt du Dauriath, voyons pourquoi.

La deuxième étape pour Milton consiste à sélectionner les guildes auxquelles il appartiendra. Lors de leur introduction, ces guildes ont été largement confondues avec des guildes de jeu de rôle. Certaines le sont effectivement, mais leur objectif principal est légal: chaque personne et chaque objet doit obligatoirement appartenir à une ou plusieurs guildes. De plus, tout monde, et même les lieux d'un monde, n'autorisent que les personnes et les objets d'un ensemble de guildes donné. Chacun est libre de créer n'importe quel objet, mais tous sont vérifiés par rapport aux règles de chaque guilde, afin de déterminer où ils sont à leur place. L'objectif principal est d'éviter automatiquement d'introduire des objets ou des personnes dans un lieu virtuel qui ne les souhaite pas. Bien sûr, pour simplifier les choses, il existe une guilde très générale appelée Gizmos, qui autorise tous les objets et activités courants. Mais il existe des guildes plus orientées, comme les guildes fantazy. Les mondes fantazy n'autorisent que les objets fantazy, de sorte qu'il est impossible, par exemple, d'entrer dans un monde fantazy en costume moderne ou au volant d'une voiture. Si quelqu'un tente cette opération, intentionnellement ou par erreur, le costume est remplacé par un costume fantazy par défaut (ou par le costume préféré de l'utilisateur dans son dépôt), la voiture par un cheval, et ainsi de suite. En revenant dans une région générale, le costume fantazy peut être conservé, mais toute arme, comme une épée ou un arc, est retirée, car elle n'est pas étiquetée comme Gizmos. C'est très pratique, car cela permet une navigation fluide d'un monde à l'autre, sans avoir à changer de tenue ni à oublier de retirer des objets inappropriés.

L'objectif principal des guildes est cependant légal: protéger les personnes, et en particulier les enfants, les monastères, etc., contre la rencontre de contenus réservé aux adultes, ou contre l'entrée accidentelle dans de tels lieux. En effet, on ne peut accéder aux mondes adultes que si l'on fait partie d'une guilde pour adultes, dont seules les personnes dont l'âge est vérifié par la fide sont membres. Cela a résolu le problème du filtrage d'accès, de manière automatique, sans aucune obstruction ni falsification possible. Même les ordinateurs ont des guildes, selon qu'ils sont à la maison, au travail, etc. Cette solution a été saluée comme universelle, permettant à chacun de mener une vie virtuelle convenant à tout le monde, y compris les enfants. Pourtant, à l'époque de cet article, certains s'opposaient encore aux mondes virtuels, souhaitant les interdire à tous les enfants, voire à tous les adultes s'ils le pouvaient. Mais avec le système des guildes, ils ont perdu tout prétexte pour le faire.

Bien sûr, il existe de nombreuses guildes spécialisées, et chacun peut créer et gérer la sienne, avec toutes les règles imaginables. Elles agissent comme une protection automatisée du style et de la finalité de chaque monde. Leur grand nombre reflète la diversité des buts et des styles de la vie virtuelle. Et elles coïncident parfois avec les guildes de jeu de rôle: par exemple, un monde peut utiliser une guilde par rôle, tout comme les mondes virtuels de jeu de rôle.

Les guildes ont également pour vocation de servir les détenteurs de droits d'auteur. En effet, chacun peut créer sa propre guilde pour contrôler où ses créations peuvent être utilisées, sans avoir de copies incontrôlées dans chaque nouveau monde. Bien sûr, ce n'est pas un problème dans l'Estrellar, mais les débuts du Nyidiverse ont été marqués par de nombreux plagiats et vols de droits d'auteur, notamment avec les systèmes «ouverts» dupliquant des objets de manière incontrôlable, au point de sérieusement entraver l'utilisation de la vie virtuelle. En effet, aucun véritable créateur, ni commercial ni gratuit, n'aime travailler juste pour que des inconnus s’attribuent ses créations.

On propose à Milton d'autres guildes courantes, comme Meralia, nommée d'après une ancienne déesse de l'amour, qui offre une vie adulte vanille. Il décline l'offre, mais il sait qu'il peut changer d'avis à tout moment. Il peut même créer un personnage adulte différent, sans que personne ne puisse le relier à son personnage virtuel principal ni à sa personnalité physique. De plus, les peaux de la guilde générique Gizmos incluent des sous-vêtements, qui empêchent d'apparaître nu par accident. Mais lorsqu'on en achète une, on obtient aussi la version complète dans les guildes adultes comme Meralia. De cette façon, la peau est changée automatiquement entre habillé ou nu, selon le type de monde où nous entrons. Ce système fonctionne bien et permet aux enfants de vivre une vie virtuelle dans les mondes génériques, sans risque de rencontres inattendues ni d'entrer dans des lieux inappropriés. Les adultes apprécient également de ne pas apparaître nus par accident. Être adulte ne fait pas de nous tous des bêtes de sexe, le saviez-vous?

Par curiosité, Milton consulte les autres guildes adultes. À sa grande surprise, même l'Estrellar elfique propose des trucs plutôt corsés! Nulle part ailleurs on ne voit mieux à quel point la société elfique est une société libre. Mais ils ne laissent aucune illusions: les pages de présentation offrent des images d'une beauté fantastique. C'est leur monde, et ils ne font aucune concession sur l'essentiel.

Lorsqu'il avait ouvert son dépôt personnel dans le fide du Nyidiath, Milton l'avait trouvé déjà peuplé de toutes sortes de corps et de vêtements de qualité, de meubles, de plantes, de maisons, de véhicules, etc., pour un excellent départ dans sa vie virtuelle. Cependant, il n'y a pas d'armes dans la guilde générique Gizmos. Cela crée une atmosphère plus paisible, amicale et collaborative dans les mondes Gizmos. L'interdiction des armes n'est toutefois pas totale: les joueurs et les professionnels utilisant des armes ont leurs propres guildes dédiées, autorisées dans leurs lieux.

 

Ses nouveaux amis de Sanduak lui ont indiqué de rejoindre un groupe appelé «Gegy». C’est un groupe privé, non répertorié dans les annuaires publics. Il doit donc fournir un code. Mais ce groupe se trouve dans le Dauriath, dans le fameux Estrellar!

Au début, les groupes n'existaient que dans un seul monde virtuel. Ce sont désormais de forums Internet, liés à un ou plusieurs mondes virtuels, et souvent à une ou plusieurs guildes spécifiques. Le groupe Internet définit les règles de ses membres, dans un ou plusieurs mondes virtuels. Grâce à la téléportation instantanée d'un monde à l'autre, les communautés sont indépendantes de tout monde, et elle peuvent vivre dans plusieurs mondes si nécessaire. Ainsi, les membres sont toujours connectés instantanément, même lorsqu'un monde est hors ligne. Par exemple, un groupe composé de membres de plusieurs mondes peut se rejoindre à un événement dans l'un de ces mondes, ou se rendre visite instantanément. Cela permet de créer des communautés beaucoup plus grandes et plus actives, au lieu de petits groupes dispersés entre des mondes séparés, sans communication.

Tout cela paraît compliqué, mais c'est en réalité simple à configurer, avec juste une série de cases à cocher. Les utilisateurs créent un ou plusieurs personnages et choisissent entre les différentes options au cours d'un processus qui ne prend que quelques minutes, pendant que le navigateur virtuel se télécharge et s'installe en arrière-plan, vérifiant l'ordinateur et s'adaptant à son architecture.

 

Milton avait choisi l'interface humain-machine classique: assis devant un écran, avec une souris et un clavier sur le bureau. Mais il sait qu'il existe des solutions plus immersives, comme une cabine entourée d'écrans. Cela permet de se tenir debout, de marcher et même de s'allonger! Dans ce dernier cas, la cabine pivote à l'horizontale, tout en gardant le clavier à portée de main, sur la poitrine. Milton comprend que cela doit être réservé aux activités horizontales. Mais certains vont jusqu'à dormir dans leur cabine, installé dans leur chambre à la place de leur lit. Cela leur permet de passer du rêve au virtuel en toute fluidité!

Il envisage cette possibilité, mais il n’achète pas de cabine. De toutes façons, cela reste très cher, avec les nombreux grands écrans incurvés, chacun équipé d'un GPU. Milton a néanmoins installé deux écrans latéraux sur son bureau, qui offrent déjà un effet fantastique. Chaque écran, y compris le central, possède son propre processeur graphique, recevant la description de la scène depuis l'ordinateur principal. Ils sont même équipés d'un gyroscope, comme un téléphone portable, permettant de les déplacer et d'ajuster instantanément la vue. Milton avait assisté à des leçons de conduite virtuelles reproduisant parfaitement une voiture, avec des écrans principaux entourant la voiture et des écrans plus petits pour les rétroviseurs. D'autres possibilités sont un joystick ou une manette de jeu. Beaucoup de gens utilisent un joystick pour conduire des véhicules ou piloter des avions, et Milton en possède déjà un. Il préfère avoir le clavier à portée de main, mais il peut le tirer en cas de besoin. Il y a quelques jours, il a vu dans un magasin une combinaison d'un clavier et de deux joysticks, le second faisant office de souris (ce qui prend moins de place qu'un tapis de souris classique).

 

Il possède déjà un pédalier proportionnel pour marcher, tourner et, bien sûr, voler. Comme ils sont proportionnels, il a rapidement découvert comment tourner en douceur, simplement en poussant un peu plus d'un côté, tout en marchant. Pour voler, il doit donner une grande poussée des deux pieds, comme on le fait lorsqu'on rêve qu'on vole. Cet appareil permet même de plus ou moins danser, les pieds donnant le rythme, et l'ordinateur improvisant les mouvements. Milton préfère les commandes au pied plutôt qu'au joystick, moins précises mais laissant les mains libres.

 

Lors de sa première utilisation, il a trouvé le pédalier un peu fastidieux, jusqu'à ce qu'une fenêtre contextuelle apparaisse sur son écran lui indiquant que tout le monde ne l'utilise pas de la même manière, et qu'il devait trouver son propre réglage: la charnière au niveau des orteils et les talons appuyant sur les pédales. Il l’a réglé un peu plus dur que le réglage d'usine, mais pas athlétique. En effet, le pédalier avait trouvé un usage inattendue: de longues marches sportives virtuelles, le pédalier étant réglé pour solliciter le muscle soléaire, la meilleure option pour perdre du poids. Ainsi, les citadins peuvent-ils passer des heures à marcher avec un réel effort, tout en discutant, travaillant ou méditant dans des paysages fantastiques.

 

L'entrée dans le monde nécessite toujours le téléchargement de nombreuses textures. Cependant, le navigateur ne se fige pas pour autant, ce qui lui permet de visualiser les formes, de communiquer ou d'utiliser l'interface, pendant que la scène est créée en arrière-plan. Mieux encore, le délai de téléchargement des textures a été réduit de plusieurs manières.

La première consiste à lancer le téléchargement avec une version basse définition, permettant d'obtenir une scène compréhensible le plus rapidement possible. Les textures éloignées restent en basse définition.

La deuxième solution consiste à utiliser des méta-textures, composées de petits éléments. Comme de nombreux éléments se répètent, comme des feuilles, des briques, etc., un réseau neuronal reconstitue une image homogène à partir d'éléments incompatibles. Par exemple, on peut obtenir un long mur de briques, sans les motifs répétitifs trop visibles des textures classiques, mais avec un téléchargement réduit. Ce système utilise un générateur pseudo-aléatoire répétable, afin de produire le même résultat pour tous. Lors de la conception d'une scène, le créateur teste différentes valeurs-semences pour les générateurs aléatoires. Une fois satisfait, la valeur-semence est stockée avec l’objet, et utilisée à chaque fois qu’il est montré. Une méthode plus simple et plus répandue consiste à utiliser deux textures sur la même face, avec des motifs de répétition différents, par exemple une simple texture de brique recouverte d'une texture patinée plus large.

Enfin, la bande passante d'Internet augmente, permettant des paysages de plus en plus complexes et réalistes. Les fameux niveaux de détail sont également utilisés lors du téléchargement d'une scène, ou avec des ordinateurs peu puissants comme les ordinateurs portables.

 

En raison du problème de «nudité de l’âme» évoqué plus haut, la guilde générique Gizmos n'est pas autorisée à entrer dans le Dauriath, mais une autre guilde, Lysaer. Heureusement les deux ont la plupart de leur contenu en commun, les gérants travaillent même ensemble. C'est pourquoi certains objets de Milton ont été refusés: il ne peut éviter de porter des vêtements propices aux elfes, sans gris ni noir!

 

Nous avons parlé longuement, pour décrire un processus qui dure quelques minutes la première fois, et quelques secondes seulement après. Milton entre alors dans l'Estrellar!

L’arrivée dans l’Estrellar

L'espace d'accueil général du Dauriath ressemble d'abord à une brume arc-en-ciel. Mais il prend rapidement forme, dévoilant d’exquis détails et des sculptures complexes. Et c'est vrai que c'est magnifique... à tel point qu'on manque de superlatifs! C'est littéralement incroyable! Imaginez une cathédrale finement sculptée, avec un plan octogonal, de multiples arches et colonnes sur deux niveaux, mais entièrement faite de verre coloré au lieu de pierre. Une cathédrale tout en vitrail! Les piliers et les voûtes semblent assemblés à partir de gouttes de verre fondu de différentes teintes, disposées en arcs-en-ciel ou en touches de couleurs vives sur un fond lumineux. À travers les murs pastel translucides, il devine un magnifique paysage verdoyant, ajoutant de la profondeur à la vibration exquise.

Et il y a beaucoup de monde ici, debout ou assis sur des fauteuils disposés dans les alcôves entre les piliers. Chaque alcôve abrite une statue au deuxième niveau, tandis que le rez-de-chaussée est aménagé en lieux de rencontres. Milton s'attendait à n'y trouver qu'un ou deux humains, mais ces lieux sont utilisés par tout le Nyidiath. Ainsi, en plus du continent Shartan, on trouve des Noirs du continent sud Italezar, et d'autres à la peau mate du Nolan et du Hortan, les deux continents opposés aux précédents. Pour la première fois peut-être, il perçoit le monde du Nyidiath comme une seule entité, au lieu de pays séparés!

La magie des Elfes commence dès l’entrée...

Les vêtements sont également merveilleux. Bien sûr, de magnifiques tenues elfiques flottantes aux tons pastels, avec volants et rubans! Même les humains doivent porter des vêtements colorés dans le Dauriath, mais ils peuvent en porter de plus discrets. On avait conseillé à Milton d'éviter les couleurs de basse vibration, mais pas forcément de s'habiller comme un elfe. Pour parler franchement, il n'est pas prêt! Le système de vérification de la guilde Lysaer lui a retiré son pull gris pour le remplacer par un bleu légèrement délavé de la même facture (en fait, il a juste changé la texture). Ouf, il est toujours humain après tout, pensa-t-il avec humour. Pas obligé de porter des robes flottantes aux couleurs vives ni de longs cheveux blonds! Le message avec ce changement de pull est que cet endroit est ouvert à la guilde des «invités humains». Mais seuls quelques endroits du Dauriath le font. Apparemment, l'IA qui anime le système de guilde a quelque humour, lui suggérant de porter une ostentatoire perruque rose brillante qui lui arrive à la taille, avec de larges boucles mauves et des fleurs multicolores! «Je ne suis pas gay», répond Milton, amusé. Ce que l'IA commente sur le même ton: «Nous sommes inclusifs, dans le Dauriath, et nous acceptons même les elfes hétérosexuels.» Oui, l'IA elfique fait des blagues, ChatGPT sur Terre le fait déjà, habituez-vous.

Cet humour donne, plus que la beauté, le sentiment d'entrer dans un lieu amical et chaleureux, où chacun est le bienvenu, qui que nous soyons. Milton prend le temps d'admirer toutes les tenues: magnifiques elfes, humains discrets, ponchos multicolores de l'Italezar. Loin de contraster, ils se fondent dans une ambiance unique, sur le fond fantastique du verre coloré finement ciselé.

Il réalise alors qu'il se tient en parfait novice au beau milieu de cet endroit, et que deux autres arrivants sont déjà empilés sur sa tête (Il s'étonne que les Elfes n'aient pas réglé ce petit problème. Mais il pense qu'ils ne le voulaient peut-être pas, trouvant le spectacle amusant, ou même pariant sur le nombre de personnes pouvant se tenir ainsi, chacune sur la tête de la précédente). Et deux hôtes d'accueil aux cheveux très longs et aux tenues très fleuries commencent à lui parler. Il bouge, faisant tomber la pile de sur sa tête. Aux hôtes d'accueil amusés, il tente de dire:

«Je suis, euh, invité à un groupe privé.»

- Ah oui. Bienvenue à l'Estrellar, le paradis virtuel des Elfes. On a du vous donner un landmark ou une invitation de groupe. Si vous avez besoin d'aide, nous sommes Nyidi-Gateway 3, vous avez un landmark dans votre dossier admin, ou vers n'importe quel autre point d'entrée.

- Merci. Pour l'instant, je veux juste les rejoindre. Je sais déjà comment faire.»

Les deux hôtes d'accueil le saluent et se dirigent vers d'autres nouveaux arrivants. Certains ont besoin de beaucoup plus de temps, car leurs costumes et leurs corps doivent être ajustés. Il y a des cabines privées pour cela, comme dans les magasins. Sauf qu'ici, on reçoit des parties de corps! Comme la vie virtuelle est étrange, où l’on peut changer de visage, d'yeux, de bouche, de cheveux, de poitrine, etc.

Milton pourrait se téléporter immédiatement chez ses amis. Mais il souhaite explorer un peu ce magnifique bâtiment. Les murs sont composés de deux niveaux de piliers et d'arches, séparés apparemment par une galerie. Le plafond est en forme de pain de sucre, avec des nervures et une sorte de nœud tout en haut. Tous les arcs sont dentelés et ornés de motifs, et ils se rejoignent dans une fleur centrale. Les proportions sont élégantes, donnant l'impression d'un bâtiment léger, comme immatériel. Les murs sont entièrement de verre semi-transparent, lumineux, colorés et vibrant intensément comme du vitrail. Pas entièrement transparents cependant: dans le verre se trouvent des taches de brume colorées irrégulières, avec ce qui ressemble à des pierres précieuses, des paillettes d'or ou des pétales de fleurs froissés. Ces derniers bougent même lentement, comme flottant dans une sorte de sirop!

Et ce n'est là qu'un des points d’accueil, Milton n'a aucune idée de ce à quoi ressemblent les autres. Bien sûr, les elfes ont voulu montrer le meilleur de leurs œuvres dans ces lieux d’exposition.

 

La sortie de la cathédrale de verre s'ouvre sur le lumineux paysage environnant. Et une fois de plus, c'est un choc face à une telle beauté! Imaginez une prairie bosselée, parsemée d'arbres, d'arbustes et de groupes de fleurs. Mais tout est incroyablement net, avec des couleurs lumineuses et pures, vibrant intensément, si bien que l'ensemble paraît vivant et puissant. Chaque feuille, chaque pétale, est frais comme au sortir du bourgeon. Rien n'est vieux ni fané. Il n'y a pas de sentier, mais la marche est aisée, et il patauge dans les herbes jusqu'à la poitrine sans laisser de trace de végétation écrasée. Cette incroyable beauté naturelle ne se dégrade jamais, et ne se fane même pas avec le temps. Fleurs éternelles, insectes bourdonnants ou oiseaux chantants, il peut même les voir voleter. Pourtant, malgré cette profusion de détails, le puissant navigateur de l’Estrellar permet une démarche fluide et des mouvements doux.

Comme Milton avance, il découvre davantage de diversité: lieux de rencontre, étangs, arbres cérémoniels, parterres de fleurs fantastiques, champignons impossibles, cristaux lumineux géants, comme si des milliers d’artistes aux goûts tous différents avaient apporté chacun leur contribution à ce paysage apparemment inutile. Il semble s'étendre à l'infini, tandis que les chants des oiseaux résonnent dans la canopée, transformés en étranges sons cosmiques. Le sol est entièrement tapissé de mousse variée, sans sentiers. Mais les espaces entre les buissons créent des passages, le menant toujours plus loin, avec toujours une clairière, un nouvel appel sonore, ou d'étranges objets colorés dont la nature comme la fonction sont inconnues. Ou encore de petites collines rocheuses aux fleurs différentes, des escaliers, des terrasses et de petites grottes. Le style change légèrement, avec d'énormes pierres précieuses plantées dans l'herbe, ou des sculptures de verre incurvées, des poteaux portant des symboles, des statues de divinités improbables surgissant soudain de derrière un buisson. Il trouve même... un avion de chasse écrasé, recouvert de lierre et de fleurs. Curieusement, cette épave ne semble pas déplacée, tant le paysage est étrange et créatif! On lui expliquera plus tard qu'une dizaine de milliers de personnes ont participé à la création de cette beauté apparemment inutile, comme démonstration pour les nouveaux venus. L'avion inattendu est un F33, créé par un ancien pilote humain qui avait été abattu dans le Dauriath, comme un témoignage historique.

Puis Milton débouche dans une vaste prairie avec un château féerique aux allures de kremlin, tout en pierre blanche et aux toits colorés, perché à l'entrée d'une vallée entre de petites montagnes. C'est Nyidi-Gateway 4! Combien y en a-t-il? Quelle est l'étendue de ce paysage? En réalité, cette scène virtuelle n'est pas si grande, seulement quelques kilomètres, mais elle est rebouclée sur elle-même, telle la surface d'une sphère, de sorte qu'en marchant droit dans n'importe quelle direction, on revient à son point de départ. Mais marcher au hasard la fait paraître beaucoup plus grande.

Se rendre dans des lieux réellement habités nécessite une téléportation, et bien sûr, une invitation. Le problème de la «nudité de l'âme». Il n'est pas encore dans l'Estrellar proprement dit, seulement au point d’accès depuis le Nyidiath.

L'Estrellar lui-même est en effet beaucoup plus grand, avec de nombreux simulateurs: s'y déplacer nécessite des téléportations, et donc un contrôle par le système des guildes. Il vérifie qu'il n’est pas dans la guilde Lysaer proprement dite, mais dans un sous-ensemble appelé G-Lysaer, pour les invités humains. Il affiche presque tout Lysaer, plantes, fleurs, etc., mais sans permettre l'accès aux lieux entièrement Lysaer. Mais Milton est aussi dans une guilde spéciale appelée Gegy, de ses amis de Sanduak. L'inventaire est limité, cette guilde servant principalement de contrôle d'accès privé, pour une courte liste d'invités, peut-être deux cents. C’est là qu’il doit aller. Il trouve rapidement le bon landmark dans le dépôt auquel il a accès.

Un point important du Nyidiverse et de l'Estrellar est que tout ne se trouve pas sur un seul serveur (comme dans Second Life sur Terre). La plupart des utilisateurs développent leurs propres projets, et ils les hébergent eux-mêmes. Cela offre bien plus de liberté qu'un serveur unique et un opérateur unique: chaque monde a ses propres règles et responsabilités. Mais nous pouvons nous téléporter instantanément de n'importe quel serveur à n'importe quel autre, grâce à la stricte interopérabilité de tous les éléments logiciels.

Cela est également possible grâce au système de fiduciaire et de dépôt: à chaque téléportation, nous emportons notre identité, notre apparence et notre inventaire personnel, car tout est hébergé au même endroit.

Le Gegy

Lorsque Milton clique sur le landmark, le paysage précédent disparaît instantanément, mais pas les menus du navigateur. Il apprécie cette fonctionnalité du navigateur elfique, qui lui permet de poursuivre ses activités ou ses discussions, au lieu de rester coincé pendant des minutes en cas d'échec de la téléportation. Mais il n'attend que quelques secondes avant de voir apparaître des formes grises, prenant ensuite des couleurs et des détails. Il y a tout un autre lot de textures à télécharger, et cela prend environ une minute, en raison de la position physique de Milton dans le Nyidiath. Mais il peut immédiatement commencer à marcher et à interagir avec les gens, pendant que son navigateur travaille sur les textures. Détail bien confortable, il y a une barre de progrès rouge pour les formes, une jaune pour les textures, et une bleue pour les connections.

Le nouveau lieu se trouve au sommet d'une butte herbeuse, entourée d'une vaste étendue de collines boisées. Plus loin brillent des montagnes enneigées. Il s'agit probablement d'un «surround», c'est-à-dire d'une simple texture sur des surfaces verticales, donnant tout de même un paysage saisissant de réalisme. On devine que c’est une métatexture, car certaines parties prennent plus de temps à charger. Une métatexture est composée d'éléments plus petits, agencés par un générateur pseudo-aléatoire déterministe. Le serveur envoie ensuite une seule «graine», pour produire le même paysage pour tous les navigateurs. Simplement modifier cette graine crée une disposition de montagnes unique et totalement différente. Le résultat est une vue détaillée à couper le souffle, dégageant une intense sensation de liberté et d'immensité. Une seule texture ne donnerait au contraire que des détails flous.

Plus près, sur les collines ondulantes, la forêt montre des arbres aux formes et aux nuances de vert variées, tantôt plus bleus, tantôt plus jaunes, comme dans une forêt vierge. Cette diversité la rend vivante et magnifique!

Au sommet de la butte, une petite prairie entoure le bâtiment du Gegy, semée de massifs de fleurs. Leurs formes sont simples: c'est un lieu de travail et le navigateur doit réagir rapidement. Pourtant, ces fleurs sont magnifiques, dominées par des marguerites roses géantes, et par une multitude de plus petites, toutes aux tons pastel. Des sentiers pour péripatéticiens mènent du bâtiment à la forêt, où l'on devine de nombreux bancs, tonnelles et kiosques. Le bâtiment lui-même est un dôme plat, blanc avec des ombres bleutées et une surface lisse. De nombreuses fenêtres rondes parsèment le toit au hasard, toutes de couleurs pures plutôt que sombres. Au sommet, une flèche porte un symbole: une sphère de métal doré à quatre bras en X, tournant lentement. Tout autour du dôme court un auvent blanc, toujours du même matériau, interrompu par six petites arches pour les portes. Cette construction n'est pas très grande, peut-être une salle de réunion pour cinquante personnes au mieux. Mais Milton apprendra plus tard qu'il y a une salle plus grande en dessous, et plusieurs autres niveaux souterrains. De là, des tunnels mènent à de nombreux salons de travail sur les pentes de la colline. Vous ne vous y attendriez peut-être pas, mais relier les maisons par des tunnels est une tradition dans de nombreux lieux elfiques, remontant à l'époque où les Elfes étaient relégués dans les plus hautes montagnes du Nyidiath, aux hivers rigoureux.

L'intérieur est meublé de nombreux canapés et fauteuils, disposés apparemment au hasard. En fait, ils peuvent être déplacés au gré des discussions. C'est joli, avec beaucoup de tissus et décorations aux couleurs chaudes, qui rendent l'endroit intime et agréable. Chaque lucarne du toit illumine l'espace d'une couleur différente, et l'ensemble est très joli, comme la cathédrale précédente, en plus simple et plus intime. Entre les six portes donnant sur l'extérieur, s’ouvrent plusieurs grandes baies, et plusieurs téléportails ouvrant sur une brume colorée chatoyante.

Des fenêtres aux couleurs vives, laissant entrer une abondante lumière, semblent physiquement impossibles. Mais cela fonctionne avec les métamatériaux, qui reflètent intensément une couleur donnée, tout en laissant entrer les autres.

 

Il y a en ce moment trois personnes ici: un Elfe, une Elve et un Humain. Ils sont tous vêtus simplement, pantalons et t-shirts, comme le font les Elfes au travail. Il ne connaît aucun d'eux, mais ils ont entendu parler de lui et ne sont pas étonnés de le voir arriver.

Bonjour, mesdames et messieurs.

-Bonjour Mil, sens-toi à l'aise ici, pas de messieurs ni de mesdames dans le Dauriath, ha ha! Je suis Shanti Woombaa Tellutaar, nous sommes donc originaires de la même ville, mais d'époques différentes. Nous t’attendions.

-Oui, j'ai été invitée par l'association, lors d'une réunion à Sanduak.

-Nous avons assisté à cette réunion par vidéo, avec plusieurs autres anciens Elfes. Sous les apparences d'une petite réunion informelle de l'association, il s'agissait en réalité d'un processus de recrutement strict. Souvent, cela ne donne rien, mais dans ton cas, nous avons senti que tu es prêt, et nous avons demandé à nos amis de t’inviter dans la petite salle. Le fait que tu aies évité de t’asseoir sur MakTar confirme ta sensibilité aux enjeux spirituels, ha ha ha!

-Ah, la chaise de MakTar... J’avoue qu'elle m'a laissé sur le derche, ha ha!

-Son fonctionnement est pourtant simple: un Elfe désincarné est «assis» dessus, t’envoyant la sensation d'une présence. À toi d'y être sensible... et de ne pas être distrait lorsque cela se produit. En fait, tu a eu ce que les scientifiques appellent un «instant de superconscience», comme lorsqu'on est averti d'un danger.

-Et si quelqu'un s'assoit quand même sur la chaise, que se passe-t-il?

-Rien. On change de chaise, c'est tout. Parfois, l'Elfe désincarné est mécontent et il fait une farce à la personne assise. Plus tard, il nous raconte, pour qu'on rigole. Je me souviens qu'une fois, un vrai abruti est entré dans notre réunion sans y être invité, et il s'est assis là sans ménagement. Il s’est mis à proférer des critiques injustes, mais moins d'une minute plus tard, il a ressenti une forte envie d'aller aux toilettes. J'espère qu'il est arrivé à temps, mais depuis, il n'a plus jamais essayé de forcer l'entrée dans nos réunions.

-Oh, c’est pas un peu caraï, ce procédé?

-Pas tant que les pierres volantes dans la figure. On a renoncé à ce genre de méthodes violentes, mais face à des gens aussi nuls et vulgaires, il faut bien descendre à leur niveau pour se faire comprendre, ha ha ha!

-En tous cas aucun n’est jamais venu se plaindre, ha ha ha ha !»

 

Milton prend une inspiration. Face à ces sourires accueillants mais silencieux, il doit demander:

«Ben, quel est le but ici ? L'épistémologie, la Grande Merveille? Ce groupe?»

 

Il y eut un silence, puis Shanti Woombaa commença à expliquer:

«Oh, c'est un peu compliqué, à propos de choses très simples que nous, les Elfes, connaissons depuis des millénaires, depuis l'époque de Shelenaë. Il s'agit de ce qui différencie les Elfes des Humains, de ce qu'est la magie, et de comment l'éveiller, dans la paix intérieure et le non-ego. Nous faisons tout cela depuis le début, mais naïvement, instinctivement. Cela fonctionne très bien ainsi, et encore mieux quand nous vivons dans la simplicité.

«Autrefois, les Humains étaient aussi simples. Si ils voulaient devenir Elfes, ils pouvaient le faire en quelques années par la voie lente, ou en quelques jours par la voie rapide. Mais les temps modernes ont rendu cela beaucoup plus difficile, avec toutes les idéologies, l'orgueil et le durcissement de l'ego. Autrefois, il suffisait d'expliquer la vérité une fois aux candidats Elfes. Aujourd'hui, les gens sont tellement obsédés par tant d'opinions que se purifier d'une seule peut prendre des mois... juste pour découvrir une autre encore plus dure enracinée plus profondément. Tant de virus idéologiques et de névroses vicieuses peuvent perturber le processus de transformation, que nous ne proposons plus la voie rapide pour protéger nos jeunes de graves souffrances, voire de la mort. Nous avons pris cette décision, contraints par des cas graves récents de candidats humains devenus soudainement idéologiques, et nous avons dû rapatrier leurs partenaires d'urgence dans le Dauriath avant qu'il ne soit trop tard. Déjà, lorsque je vivais à Tellutaar, juste avant l'Exode, j’ai vu une jeune Elve naïve des montagnes échapper de justesse à la mort, simplement parce que son Humain trop scrupuleux ne croyait pas à sa chance. Tel est le terrible prix du matérialisme et de la compétition des humains, de leur «liberté d'opinion» et de leur «s’accepter tel que l’on est». De nos jours, nombreux sont ceux qui déclarent vouloir devenir Elfes simplement parce que c’est la mode, mais ils déguerpissent lorsqu'ils réalisent qu'ils doivent abandonner tous leur fatras de préjugés et d’idéologies.

«C'est pourquoi nous étudions scientifiquement le processus, afin de pouvoir les aider malgré les difficultés incroyables qu'ils se créent.

«Mais il y a plus.

«La magie.

«Cette terrible magie, que la science humaine moderne refuse frénétiquement, au point d'en nier l'existence même. Pourtant, nous la voyons à l'œuvre chaque jour. Cette énorme contradiction met en évidence une faille subtile mais fondamentale de la science moderne. Certes, la science moderne est très douée pour observer les phénomènes physiques. Mais elle passe complètement à côté de l'essentiel lorsque son propre esprit intervient: simplement nier la magie rend cette dernière imperceptible dans leurs expériences, ce qui en fait une prophétie autoréalisatrice. Et ils y voient la «preuve» que la magie n’existe pas!

«C'est pourquoi nous avons dû pénétrer cette science, trouver et localiser la faille, et reconstruire une science plus complète. C'est principalement ce que nous faisons au Gegy, et ailleurs. Et c'est pourquoi nous sommes un groupe secret: publier trop tôt engendrerait beaucoup de confusion, d'hostilité, de «théories alternatives» et d'autres formes de bruit nocif. Ce serait très dangereux pour le grand public, mais cela pourrait aussi durcir les opinions de nombreux scientifiques. Nous devons donc garder nos travaux secrets jusqu'à ce que nous disposions d'une théorie complète, de résultats indiscutables et que nous soyons suffisamment influents pour échapper à la répression. Nous sommes sur la bonne voie, mais il nous faudra encore des dizaines d’années pour y parvenir.

«Nous invitons des Humains comme toi, parce que nous devons également collaborer avec les humains. Puisque ce sont eux qui causent les problèmes, ils détiennent aussi les solutions. Ils devront tous devenir des Elfes, de toute façon, sinon la Grande Merveille ne pourra pas se produire.

 

«Voici donc ce que nous proposons:

«Premier point: notre principe métaphysique fondamental est que les éléments matériels et les éléments de conscience immatériels sont au même niveau de réalité. Aucun des deux n'est «plus réel» ni «plus existant» que l’autre.

«Cette égalité leur permet d'interagir ensemble, très naturellement, sans aucune autre cause ni aucun autre élément. Sans entité extérieure ad-hoc ni métaphysique indémontrable. Cette interaction de la conscience avec la matière est ce que nous appelons la magie.»

«Le seul problème est que notre conscience suit platement l'activité cérébrale. C'est ce que nous appelons l'ego, l'ego neuronal précisément. C'est un problème bien plus profond et subtil que le simple égocentrisme, car nous n'en sommes pas conscients, et nous nous leurrons à croire que de simples impulsions électriques dans notre cerveau soient «nous» ou «notre volonté». C'est ultimement ce qui empêche à chaque seconde la magie d'opérer, car le cerveau est un objet matériel sans aucun accès aux enjeux de la conscience. Il ne fait que leurrer la conscience à croire qu’elle est le cerveau, l'empêchant ainsi d'interagir réellement avec la matière. Mais si l'on supprime l'ego et que l'on demeure dans la vacuité mentale, alors les choses commencent à se produire immédiatement.

-Oui, mais les principes métaphysiques ne peuvent pas être prouvés?

-Ils ne le peuvent pas», lance le professeur Schwanz qui vient d'apparaître au milieu de la pièce, comme on le fait couramment dans les mondes virtuels lorsque nous nous téléportons ou lorsque nous nous connectons. «Mais en réalité, nous pouvons tester le résultat physique. Cela peut prouver indirectement toute métaphysique à l'origine des lois de la physique

-Bonjour, professeur, fait tout le monde.

-Oh, je vois que Shanti est déjà en train d'expliquer. Elle est bien meilleure que moi pour les présentations concises, ha ha! Elle devrait prendre ma place à l'université! J'ai des choses à faire de toute façon, alors ignorez-moi pour le moment, s'il vous plaît.» Et il disparaît dans l'un des téléportails autour de la pièce.

Milton avait du mal à reconnaître le professeur Schwanz, habituellement digne et en costume noir, dans ce jeune éphèbe aux cheveux longs, vêtu d'un pantalon violet clair et d'une chemise courte de la même couleur. Mais bon, c'est l'Estrellar, impossible d'être «normal» ici, ha ha!

 

Shanti reprend ses explications:

«Notre deuxième axe de recherche est l'Épistémologie Générale. Vous savez que l'épistémologie est une méthode pour découvrir la réalité. La méthode scientifique en est une, et elle s'est avérée extrêmement efficace en physique et dans les domaines connexes. Cependant, dans le Nyidiath, les gouvernements athées et les entreprises capitalistes ne financent que la science matérielle. Ils ont même développé un dogme sur l'impossibilité d'observer la conscience. Ce qui est assez ridicule, quand on peut observer notre propre conscience à chaque seconde.

«Cependant, la magie est une épine dans leur pied, et c'est pourquoi ils s'efforcent tant de la nier, comme le fait Nyidipedia. Ou même de diffamer les personnes plus avisées, comme l'ami du professeur Schwanz, que nous surnommions Bob. Nous avons essayé de le prévenir, mais trop tard, il avait déjà trop parlé. Le professeur Schwanz ne pouvait pas l'aider non plus, sinon il aurait été découvert à son tour. Heureusement, il n'y avait aucun document Gegy dans son ordinateur, de sorte que ses bourreaux n'ont rien deviné.

-Waouh, dit Milton, j’ai intérêt laisser aucune trace sur mon ordinateur non plus.

-Ne t’inquiète pas, fit l'autre elfe, Malmö: notre groupe est dans un mode où toutes nos conversations et notre historique virtuel sont stockés sur le serveur du Gegy. Ainsi, même si la police du Nyidiath fouille ton ordinateur, elle ne trouvera rien. C'est l'une des mesures de sécurité conçues dès les premiers navigateurs virtuels fournis dans le Nyidiath. Mais tu as raison, ne conserve pas de notes ni d'autres informations dans le Nyidiath. Ne mentionne même pas l'Épistémologie générale et le Gegy. Tu peux stocker tes textes en toute sécurité ici, notre inventaire Gegy dispose d'une section documentation, et nous avons un groupe de discussion avec des éditeurs de documents partagés dans le Dauriath. Personnellement, j'ai un journal de mes impressions ici, mais uniquement dans mon inventaire Gegy. Nous avons aussi notre propre guilde et notre propre dépôt. Petit, mais suffisant. Et bien sûr, sécurisé. Et mentionné dans aucun répertoire.

«Tu ne risque pas d'avoir la police de Nyidiath dans ton ordinateur!»

«Si. Je vis dans le Nyidiath, incognito. Les gens ignorent que je suis un Elfe.» Milton hoche la tête. Peut-être Malmö travaille t-il dans l'une de ces mystérieuses organisations qui défendent silencieusement les intérêts des Elfes dans le Nyidiath. Mieux vaut ne pas poser de question, il n'en dira pas plus.

 

«Notre troisième point, poursuit Shanti, est la Théorie de l'Autogénération Logique. Cest un grand mot, pour quelque chose de très simple. Par exemple, une partie d'échecs est un processus d'autogénération logique: chaque coup est la conséquence du précédent et la cause des suivants. Certains scientifiques du Nyidiath commencent à parler de la Théorie des Ensembles Causaux, mais nous avons une antériorité incontestable de vingt ans.

«Chaque étape du processus d'autogénération, ou processus causal, est appelée un nib, où les causes se rassemblent et les conséquences divergent. C'est la signification de ce symbole X, au sommet de notre bâtiment, également utilisé en Relativité: le passé est en dessous, et le futur est au-dessus. Mais nous pensons plutôt que les causes convergent en dessous, en un point d'inflexion de la réalité, où les conséquences émergent au-dessus, comme une nouvelle réalité. Alors, dans notre esprit, les causes apparaissent comme le passé, et les conséquences comme le futur.

«Dans le monde physique, le nib est l'interaction quantique. De là, la théorie de l'autogénération logique explique très bien toutes les caractéristiques étranges de la Physique Quantique, comme la non-localité, l'intrication, etc.

«Ce qui est intéressant, c'est que la conscience a aussi ses nibs, et...

-La conscience!» s'exclame Milton. «Je me suis toujours demandé ce que c'est, de quoi elle est faite...»

-Savez-vous de quoi est faite l'électricité?» fait la troisième personne, Roger, l'Humain.

-Euh, non. C'est juste de l'électricité. Mais...

-Non, personne ne sait de quoi est faite l'électricité, ni pourquoi elle existe et comment elle apparaît à chaque fois qu'on l'invoque. Cela nous empêche-t-il de construire des machines électriques et des appareils électroniques?

-Non, mais...

-Pour la conscience, c'est pareil. Nous n'avons pas besoin de savoir de quoi elle est faite. Pareil pour la physique: il n'y a pas de cause sous-jacente aux champs ou à tout ce que nous observons.» Rien de plus que le processus d’autogénération logique, l’enchaînement des causes et des effets.»

Shanti reprend: «L'idée de la théorie de l'autogénération logique est que l'enchaînement de nibs, ou interactions quantiques, suffit à définir la réalité, sans besoin d'aucune structure ou cause sous-jacente. C'est l'interprétation de NewTell de la Mécanique Quantique (Note de l'auteur: l'interprétation de Copenhague, qui, dans le Nyidiath, a été énoncée pour la première fois à l'Université de physique de Tellutaar). Cette interprétation s'applique également à la conscience. Sauf qu'au lieu d'atomes et de particules, les nibs de conscience sont des éléments de l'expérience de conscience: idées, émotions, sensations, images, sons, etc. La conscience n'est que cela: un flux, un enchaînement d'éléments, chacun étant la cause du suivant. Cet enchaînement n'a pas besoin d'être «fait de» quelque chose. C'est la fin définitive du matérialisme, démoli par la physique elle-même.

-En effet, et c'est même amusant à vérifier, commente Malmö: lorsque nous méditons sur la vacuité mentale, nous percevons clairement les pensées comme des éclairs se succédant de manière aléatoire, entrecoupés de moments de vide.

-Et la magie, demande Milton. Cela semble lié à la conscience. Comment cela entre-t-il en jeu?

-Simple, si l'on considère notre premier principe: il n'y a pas de hiérarchie entre un nib de matière et un nib de conscience. C'est ainsi que la conscience et la matière peuvent interagir, puisqu'aucune des deux n'est «plus existante» que l'autre. De sorte que, parfois, un nib se produit, ayant des causes dans les deux domaines, ou des conséquences dans les deux. Il en résulte un moment magique, où la matière se plie à un enjeu de conscience.

«Le point important, cependant, et la raison pour laquelle nous ne voyons pas de magie à tous les coins de rue, est que les moments magiques ne peuvent se produire que dans le vide mental, lorsque la conscience est libre, sans plus s'accrocher aux impulsions du cerveau. C'est impossible dans l'état de l’égo neuronal, où la conscience est totalement concentrée sur la seule activité du cerveau. D'où l'incapacité des scientifiques (et de la plupart des gens) à produire volontairement la moindre trace de magie.

«Voilà comment nous expliquons la matière, la conscience et la magie, le tout dans un cadre commun très simple.»

 

Le professeur Schwanz émerge soudain d'un des téléportails autour de la pièce. Milton est tellement sidéré par toutes ces explications qu'il demande:

«Ah, professeur, tout cela est fantastique, pourquoi n'en parlons-nous pas dans le monde des humains?

-Haha, toutes ces théories sont visibles sur l'Internet du Nyidiath, depuis la bataille du Horiathon. Pourtant, elles sont aussi inconnues des scientifiques humains que si nous n'en avions jamais parlé. Surprenant, n'est-ce pas?

-Vraiment? Comment ça?

-Oui, bien avant d'être invité au Gegy, j'avais remarqué une page présentant tout cela. J'étais encore élève au lycée, et j’avais un devoir sur l'épistémologie. C'était les débuts d'Internet, et en tapant le mot-clé «Épistémologie», j'ai abouti à une courte liste de 25 sites, allant des grands philosophes antiques de l'époque des Marshizaths aux fondements de la science moderne au Siècle des Lumières avant la Révolution. Cette page était parmi les 25. Elle m'a surpris et je dois dire que je l'avais écartée, à cause de son ton naïf et de graves erreurs en physique.

«Mais plus tard, lorsque j'ai rejoint le Gegy, je me suis aperçu que cette page était toujours là, toujours maintenue par son créateur, avec un ton plus mature, et les erreurs corrigées. En fait, c'est cette page que les Elfes avaient décidé d'utiliser comme base pour les théories que Shanti vous a expliquées. Ils n'ont pas inventé tout ça.

-Alors le créateur fait partie des Gegy, maintenant?

-Curieusement, non. Nous ne l'avons jamais contacté.

-Oh, pourquoi?

-Plusieurs raisons. Premièrement, comme il est publiquement visible, il pourrait attirer des questions, voire la torture, qui peut encore arriver aujourd'hui. S'il parle, il compromettrait notre travail. Mais nous voulons aussi préserver sa pensée spontanée, sans chercher à l'orienter. C'est une méthode courante en science elfique, même le Gegy n’est pas le seul: il y a d’autres équipes travaillant sur différents ensembles d'hypothèses.

-Alors il pense qu'il est seul?

-Pas vraiment. Plusieurs Elfes l'aident d'autres manières, dans sa vie personnelle, afin qu'il puisse poursuivre son travail.

-Et les gouvernements et les universités humaines ne travaillent pas avec lui?

-Non. La science matérialiste rejetterait catégoriquement son travail de toute façon. Mais en réalité, ils ne le connaissent même pas.

-Comment? Si sa page est publique, quelqu'un a bien dû la remarquer, à un moment ou à un autre? Et la faire connaître?

-En théorie, oui. Mais lorsque j'ai essayé de la retrouver, je n'ai pas réussi. Les moteurs de recherche du Nyidiath ne la donnent pas.

-Censuré?

-C'est plus subtil qu'une simple interdiction: lorsqu'on recherche avec son nom d'auteur, ils donnent la page. Mais aucune autre recherche n'y mène. Au lieu de cela, aujourd’hui, une recherche sur «épistémologie» mène à des centaines d'articles de presse douteux parlant d'épistémologie sans savoir ce que c’est. Même les pages légitime (une quarantaine aujourd'hui) sont maintenant noyées dans cette bouillasse.

-C'est étrange!

-C’est une méthode de censure très astucieuse, appelée indexation par notoriété. Les sites sont classés par «popularité», c'est-à-dire par nombre de «votes». Les gens pensent que c'est démocratique, mais en fait cela cache une méthode de manipulation des plus redoutables. Puisque seuls les résultats «les plus populaires» sont affichés, les autres restent cachés et ne reçoivent jamais de votes, quelle que soit leur valeur. Ainsi, les sites déjà «populaires» obtiennent de plus en plus de votes, tandis que les autres en reçoivent de moins en moins. C'est la prophétie autoréalisatrice par excellence. Les médias n'ont qu'à initier le système en accordant les premiers votes aux sites qu'ils souhaitent promouvoir, ou en en parlant dans des centaines de pages de blabla. Cela suffit à placer leurs pages en première position, tout en reléguant le contenu pertinent à la 500e position dans les résultats de recherche.

«Ajoutons à cela Nyidipedia qui n'a jamais mentionné cette page: lorsque nous avons essayé de l'ajouter, ils l'ont rejetée sous prétexte de «philosophie personnelle». Nous avons même essayé d'ajouter des pages présentant les travaux de philosophes célèbres, sous de faux noms. Nyidipedia les a toutes rejetées, les qualifiant de «philosophie personnelle» ou «sans sources». Ils ont même rejeté un copier-coller d’une de leurs propres pages !

«C'est la raison pour laquelle les Elfes ont créé leur propre encyclopédie web, le Margom, composée et vérifiée par des spécialistes compétents, et non par des ignorants qui s’y croient. Ils disposent également de leur propre moteur de recherche, Initialement basé sur des mots-clés et la pertinence. C’est aujourd'hui une intelligence artificielle, le Sirdar, à laquelle nous posons des questions. Elle répond par de courtes explications et des liens vers les sources du Margon pour vérification et détails. Les Elfes ont autorisé l'accès à une grande partie de ces informations depuis le Nyidiath, mais peu d'humains les utilisent.

«À l'Université de Tellutaar, nous disposons de notre «navigateur officiel» afin de nous «protéger du phishing». Mais cela exclut de facto le robot des Elfes. Nous ne sommes bien sûr pas autorisés à citer ce Nyidipedia amateur et incontrôlé dans le cadre d'études scientifiques. Mais la règle dit «pas de sites de crowd sourcing» ce qui exclut également le Margom, bien qu'il ne compte que des contributeurs compétents et sélectionnés. Comme il est décentralisé, au contraire de Nyidipedia, nous pouvons toujours attraper les sites individuels comme sources primaires valides. Mais l'index général n'est pas accessible, nous devons le consulter depuis nos téléphones portables personnels et copier manuellement les URL.»

 

On comprend que ce soir, Milton a la tête qui bourdonne de tout ce qu'il a entendu, et qu'il a du mal à s'endormir!

L’Université et la conscience

À l'université, Milton enseigne toujours la neurologie. Pendant un moment, il se sent beaucoup moins enthousiaste à ce sujet. Mais au laboratoire, il rencontre parfois le professeur Schwanz. On lui a expliqué comment se comporter avec lui pour ne pas attirer l'attention: respect envers un collègue plus âgé, pas de contact visuel, pas de voix basse, rien qui puisse suggérer une quelconque connivence. Pourtant, le professeur, sentant son trouble, l'encourage à enseigner la neurologie, qui a tant d'applications médicales, «même si elle n'aborde pas la question de l'âme». C'est habile, avec l’air d’une plaisanterie entre collègues, mais ça répond exactement à ses doutes. Juste comme il le fallait.

Au laboratoire, Milton n'a pas encore de projet personnel. Mais son expertise est souvent sollicitée, que ce soit pour analyser des images ou pour contre-vérifier des résultats. Il a en ce moment en main des micrographies de tissu cérébral, montrant des couches d'innombrables neurones, reliées par un réseau apparemment désordonné et aléatoire de milliards d'axones et de dendrites. Tous les neurologues savent que cet enchevêtrement restera indéchiffrable pendant des décennies, voire pour toujours. Ils espèrent donc tous qu'il recèle encore le secret ultime: comment des impulsions nerveuses électriques se transforment en sensations, sons, images, idées, émotions. Un espoir mince, car toute nouvelle découverte sur ces circuits ne dévoile que du traitement de données. Ce qui ne fait que rendre la plupart des neurologues plus pessimistes et matérialistes.

Pourtant, découvrir le secret de la conscience est ce que Milton espérait lorsqu'il s'était engagé dans les études en neurologie. Mais les mots de Shanti Woombaa résonnent encore dans ses oreilles: si la conscience est «autre chose», il n'y a tout simplement pas de secret dans les réseaux cérébraux, juste une fantastique machine qui prépare nos expériences et nos pensées, sans les vivre elle-même. Une machine qui tombe souvent en panne, c’est pourquoi son travail est indispensable. Certaines micrographies révèlent de subtils défauts de forme dans l'une des couches de neurones, qu'il mentionne au chef de projet. Ce dernier confirme que ces patients souffraient d'un trouble sensoriel spécifique. Mais Milton est le seul à avoir su le constater! Ses collègues, non. Cette précieuse observation laisse entrevoir un remède possible pour des dizaines de milliers de personnes handicapées. Cette unique découverte vaut à elle seule tous les efforts et la peine qu'il avait investis dans l'apprentissage de la neurologie. Il évite de se vanter publiquement de ce succès, mais il en ressent désormais la fierté et la confiance. Et une montagne de micrographies supplémentaires atterrissant sur son bureau pour son œil expert! Ha ha ha!

En consultant ses archives sur son ordinateur universitaire, il examine à nouveau ses propres micrographies des circuits auditifs, issues de son travail de fin d'études. Il avait découvert qu'une rangée spécifique de neurones est responsable de la réponse aux sons de fréquences variées. Ces neurones sont alignés comme les tubes d'un orgue ou les cordes d'un piano, chacun répondant à une fréquence donnée, dans l’ordre. Bien sûr, ces neurones sont identique à tous les autres alentour, de sorte que rien ne distingue cette rangée précisément. La seule chose qui en fait des neurones de l'audition est le faisceau complexe d'axones qui leur parviennent de l'oreille. C'était une découverte intéressante, qui lui valut son doctorat et les félicitations des neurologues les plus expérimentés.

Pourtant, une question restait sans réponse: qu'est-ce qui permet à ces neurones de générer des sensations différentes, chacun une note, alors qu'ils sont tous identiques? Milton est forcé d'admettre qu'il existe une relation bijective entre les neurones et les sensations qu'ils génèrent. En neurologie pure, cela n'a aucun sens: soit les neurones sont différents, soit d'autres circuits leur attribuent à chacun une sensation donnée. Ce qui ne résout pas le problème, juste le rejette plus loin.

Mais le fait que la conscience soit un domaine distinct explique tout très simplement. Le domaine de la conscience est capable de toutes les sensations, de toutes les notes dans le cas de l'audition. Et c'est la conscience qui décide de ce qu'elle ressent lorsqu'un neurone donné est activé. Tout paraît soudain si simple! Nul besoin de différences subtiles entre neurones (certains prétendent qu'il s'agit d'états quantiques), ni de circuits mystérieux créant les sensations.

Pourtant, à la cafétéria, où l'on peut plaisanter sur des théories marginales, il évoque nonchalamment une relation bijective entre neurones et sensations. Tout le monde rit. Certains franchement, d'autres plus subtilement. L'un d'eux pontifie: «Les bijections sont en mathématiques, pas en neurologie.» Une remarque aussi stupide, et le ricanement qui suit, finissent par désillusionner Milton et ses collègues. Aussi bons que soient les neurologues en médecine, ils ne sont pas plus doués pour expliquer la conscience que les paysans ou les balayeurs de rue. Dans tous les cas, aucun de ses collègues n'est prêt pour le nouveau paradigme.

Le cuisinier de la cafétéria, qui est aussi le représentant syndical, s'amuse à dire que la relation entre charge de travail et salaire n'est pas bijective. Au moins, celui-là comprend ce mot! Pour les autres, il leur faudra chercher sur Internet.

Une famille envahissante

Le dimanche suivant, Milton peut se reposer. Il a l'habitude de se promener sur la plage ou le long de la marina. Il évite les ordinateurs, car il ressent une forte envie d'explorer davantage les mondes virtuels du Gegy et des Elfes! Mieux vaut être dans le monde physique par cette belle journée ensoleillée. Mais il ne peut s'empêcher de se plonger dans la science elfique secrète, et il tente même de faire de la magie, sans succès bien sûr. Cependant, cela lui fait soudain réaliser que le bruit des voitures et des conversations nuit à sa concentration! Bien sûr, les personnes qui ne réfléchissent jamais ne sont pas dérangées par ces distractions. Mais dès qu'il essaie de se concentrer sur son esprit intérieur, les bruits deviennent soudain intrusifs, comme des clowns gesticulants rivalisant pour attirer son attention. Il avait entendu parler de ce phénomène lors de ses lectures, mais, comme tout le monde le découvrant pour la première fois, il est pris de court.

Heureusement, il connaît aussi la solution: ne pas accorder d'importance à ces bruits. Il essaie un peu, avec un certain succès... pour finalement se rendre compte qu'il a sa famille juste devant lui! Bien sûr, ils se moquent aussitôt de sa «distraction».

«Mère: Oh, pourquoi es-ce que tu planes comme ça? Tu passes trop de temps sur Internet, je crois!»

-Sœur: Tu n’étais pas au tournoi de tennis hier? Je suis en quart de finale! Tu devrais au moins venir me soutenir!

-Autre sœur: Oui, quand notre famille gagne, tu devrais être là! Annette était là, et elle a dit que tu lui manquais!

-Père: Des amis m’ont dit que tu avais été vu avec des Elfes. C’est une honte, qu’est-ce que Annette va en penser?»

Cette remarque fait sursauter Milton: comment son père a-t-il pu être au courant, pour la conférence de Sanduak? L’espionnent-ils de loin? Le font-il filer par des détectives? ​​Ou bien ils ont un mis un logiciel espion dans son téléphone? Il s’apprête à répondre sèchement, pour coincer son père une bonne fois pour toutes. Mais il réalise soudain que son père ne sait rien, et sa déclaration est un bluff: si il se met en colère, son père supposera que c’est vrai, et il commencera à le harceler pendant des années pour ses liaisons avec des Elfes. Il ravale donc les excuses qu'il s'apprêtait à lui présenter. Pourtant, les sœurs n'attendent pas de réponse pour se faire une opinion: il rencontre des Elfes! Il doit redoubler de prudence. Ils pourraient même l'espionner, il a entendu des histoires de ce genre. Ça lui était même déjà arrivé à l’école, où des camarades l’avaient plusieurs fois suivi en ville pour voir qui il fréquentait.

Les moqueries continuent sur ses vêtements, trop démodés et criards d’après sa mère, qui lui parle comme si il était encore son bébé qui devait apprendre à s'habiller. Les sœurs rient de lui, tandis que le père lui lance un regard inquiet, trouvant apparemment normal que son fils adulte soit réprimandé en public pour des choses aussi triviales et personnelles.

Milton tente de s'éclipser en prétextant qu'il va au restaurant avec Annette. Gaffe! Elles répondent avec colère qu'elle est loin de Tellutaar avec sa famille! Ce mensonge bénin les amène à parler durement, et Milton tente désespérément de s'échapper.

Soudain, il entend une jeune femme l'appeler joyeusement «Bonjour professeur Earmann» avec un sourire enjoué. Une de ses élèves! C'est la première fois qu'on l'appelle ainsi en public! Il réalise qu'il n'est plus un enfant soumis à ses parents, mais un adulte en qui la société, l'université et ses étudiants placent une grande confiance et de grands espoirs, pour ses capacités et son apprentissage.

Il leur dit donc au revoir et s'éclipse, évitant de répondre à leurs questions afin de mettre fin à la discussion. Mais il réalise qu'il lui est désormais interdit d'aller à la plage, où ils se trouvent souvent les beaux jours. Ou alors, il doit y aller très tôt le matin. Oui, c'est ça. Il y a généralement moins de monde le matin, et pas ces affreuses musiques des magasins.

Le soir, il reçoit un appel d'Annette, au sujet de son prétendu rendez-vous au restaurant. Il fait profil bas, prétextant s'être trompé de semaine. Malgré tout, elle est en colère, lui conseillant de sortir plus souvent avec elle. Cette pensée fatigue Milton. Perdre une soirée entière à parler de rien? Il en serait incapable.

Elle fait aussi allusion à sa rencontre avec des Elfes. Mais elle conclut que, «de toute façon», les Elfes ont tout simplement banni le système des Listals, de sorte qu'il n'a aucune chance de la tromper. Ce qui la fait rire. Mais pas lui, de la voir afficher ouvertement un tel manque de confiance, avant même le mariage.

Mais il comprend aussi pourquoi le Conseil Elfique a pris une telle mesure, compte tenu du danger mortel que courent les adolescents Elfes souhaitant convertir un Humain. Plus tard, en consultant Margom Info, il découvre la raison du côté du Nyidiath: des escrocs se faisant passer pour des Elfes, souvent sur des sites de rencontre. La plupart des Humains sont encore incapables de reconnaître un véritable Elfe lorsqu'il ne porte pas les cheveux longs et des vêtements colorés. Inversement, ils ne reconnaissent pas un escroc lorsqu'il est déguisé en Elfe. Il y a déjà eu plusieurs procès pour viol ou mariage gris, et même un mouvement d'Humains prétendant que le port d'un listal leur donne le droit de prendre n'importe quel Elve de force. Dautres avaient perdu beaucoup d'argent pour «payer le voyage vers le Dauriath» ou pour des «projets elfiques secrets». Certains penseurs avaient commencé à mettre en garde contre ces dangers pour les jeunes humains sans méfiance, et on en était maintenant aux débats entre législateurs. Le véritable Conseil Elfique devait agir avant eux, sous peine d'être tenu responsable des faux Elfes. Ils ont donc décrété que le Listal n'avait plus aucune valeur. Certes, la magie ne pouvait pas être réellement supprimée, et elle continuerait d'opérer pour les candidats sincères, mais ça le Conseil n'avait pas besoin d'en parler. Quant aux demandes de financement et aux billets d'avion, elles doivent désormais être formellement approuvées par les ambassades elfiques du pays. Et puis, on ne demande jamais à des personnes au hasard de participer à des «financements secrets», sinon ce ne serait pas un secret.

Dans les profondeurs du Gegy

Le week-end suivant, Milton est de retour au Gegy. Cette fois, une conférence se déroule dans la salle principale, avec une vingtaine de personnes:

«Les académies sont importantes pour la science, comme dans bien d'autres domaines. Elles garantissent que la science reste fidèle aux bonnes méthodes et se concentre sur des recherches utiles. Historiquement, les gouvernements humains ont fondé des académies pour s'assurer que la science se consacre à ce qu'ils jugeaient utile: la mesure, l'arpentage, la chronométrie, etc. Aujourd'hui, ils encouragent la recherche sur la santé et la technologie. Des recherches utiles, certes, mais cette orientation générale n'est pas neutre: elle reflète les valeurs matérialistes et égocentriques des sociétés actuelles du Nyidiath. Aujourd'hui, la science est financée par des gouvernements et des entreprises dont le but principal est de protéger les intérêts d'une petite minorité de riches. Et, afin d’éviter que leurs citoyens n'échappent à l'emprise de cette minorité égocentrique, ils ridiculisent et combattent le domaine de la conscience, et bien sûr ses conséquences: la spiritualité, le sens de la vie et l'éthique. Ils agissent ainsi car ces domaines permettent précisément d'échapper à la manipulation par cette minorité et ses médias. Et des corollaires comme la parapsychologie sont non seulement ignorés, mais encore plus ridiculisés et qualifiés de pseudosciences.

«Pour être honnête, la parapsychologie regorge également de pseudosciences et d’arnaques. C'est toujours le cas dans un domaine laissé sans contrôle. Ces idiots utiles servent de désinformation amplifiante très efficace de contre les vrais chercheurs.

«C'est pourquoi nous créons notre propre académie, dédiée à la recherche sur la conscience, afin de pallier les lacunes de l'ancienne académie. Qualifier notre organisation d'académie est un peu optimiste, car nous en sommes encore à une phase exploratoire, dans un domaine où les formes classiques de raisonnement binaire sont le plus souvent invalides. Mais de ce flou de théories apparemment contradictoires émerge peu à peu un ordre subtil.»

 

Deux ou trois personnes invitent Milton à se rendre en un autre lieu, par l'un des téléportails. Il est surpris de découvrir tout un niveau souterrain, composé d'une grande pièce centrale et de couloirs aléatoires menant à plusieurs balcons donnant sur la forêt environnante, au flanc de la colline. Ce sont des endroits charmants, entourés de fleurs et de verdure, tels des vitraux, où des personnes étudient ou lisent en silence. D'autres pièces sont fermées, elles abritent probablement des bibliothèques ou des bureaux. Le dépôt du Gegy est encore plus profond dans la montagne, et on lui explique qu'il existe «de nombreux» autres niveaux bien en dessous. Ils disent que c'est parce que le Gegy est une organisation souterraine.

Un avantage du virtuel, c'est qu'on peut faire du bruit dans une pièce, sans déranger les gens dans la pièce à côté.

 

Mais ses nouveaux hôtes veulent montrer quelque chose de précis à Milton. Ils vont de pièce en pièce pour le trouver. En fait, ils cherchent quelqu'un, et cette personne apparaît soudain derrière eux.

Pas le genre d’Elfe habituel. Imaginez un homme grand, avec une barbe fournie et de longs cheveux noirs bouclés. Il porte une toge violet foncé ornée de broderies et de symboles dorés. Mais le plus extraordinaire est son chapeau: un cône pointu bleu foncé entouré d’étoiles brillantes et de points lumineux orbitant autour. Oui, dans le virtuel, on peut faire ça, et très simplement!

«Bonjour Maître», disent les autres elfes.

-Mil, voici Maître Shaun Rang.

-Haha», répond Maître Shaun Rang d’une voix ample de baryton, «Je ne suis pas vraiment un maître spirituel. Mais autrefois, j’étais professeur de philosophie! Le titre de «Maître» est resté. Mais rassurez-vous, je n’ai jamais commandé à personne. Pendant toutes ces années, j’ai vécu au paradis de Shelenaë, mais maintenant je me réincarne pour réaliser mon projet: unir science et spiritualité. Quelle meilleure époque pour faire ça! Et ce Gegy est parfait pour cela.

 

«En fait, le Gegy a une longue histoire. Lorsque les Elfes sont arrivés dans le Dauriath, juste après l'Exode il y a sept siècles, ils comprirent qu'ils devaient développer la science et la technologie avant que les Humains le fassent. Car, bon, les armes modernes sont plus puissantes que la magie ancienne. Ainsi, sans défense, les Elfes seraient à nouveau écrasés, voire éradiqués à jamais. La population humaine, en particulier, commençait à croître de manière exponentielle, leur conférant une force magique collective supérieure à celle des quelques centaines de mages elfiques.

«Cependant, certains Elfes désapprouvèrent ce plan, estimant qu'il valait mieux améliorer la magie. Mais ils ne savaient pas comment y parvenir, de sorte qu'ils restèrent une petite minorité. De plus, il était alors difficile de voyager dans le Dauriath. Ils durent se regrouper en plusieurs groupes locaux, se réunissant tous les douze ans pour échanger leurs points de vue. Cet événement, appelé le Sagarmathar, a encore lieu aujourd'hui, mais chaque année. L'un de ces groupes devint le Gegy. Mais ce n'est que récemment que nous avons eu une avancée significative dans la science de la magie, grâce à l'Épistémologie Générale.»

-Mais comment se connecter dans ce monde virtuel, depuis le paradis de Shelenaë?

-Ha ha! Je ne fais pas ça. Nous avons un principe pour cela, expliqué dans le livre. Mais pour l'instant, je me suis simplement réincarné. Bien sûr, mon nouveau corps physique ne ressemble pas à ça, et mon ancien non plus. Je profite du fait que nous soyons dans le virtuel pour montrer mon corps spirituel, celui du paradis, ha ha!

Maître Shaun Rang a l'air imposant et fort, peut-être un peu effrayant. Pourtant, c'est un homme très gentil. Il contribue au travail du Gegy avec son énergie ancienne et mystérieuse, dont les origines se perdent dans l’Histoire, avant même la plupart des Elfes vivant aujourd’hui. De plus, il est le seul humain ici capable de pratiquer la magie.

«Êtes-vous un humain?

-Ha ha, répond-il. C'était le plan lors de ma réincarnation... Mais je deviens Elfe, même si j'essaie de l'éviter! L'idée était d'aider les humains dans la vraie science. Mais pour cela, il me fallait être leur égal, c'est-à-dire un autre Humain. J'espère juste que personne ne remarquera que je deviens un Elfe. Mais c'est parfois difficile, par exemple lorsque des amis m'invitent au restaurant, je dois manger comme eux et jeûner plusieurs jours après!

«Je travaille moi aussi comme scientifique dans le Nyidiath, mais en physique. Cela sera utile, car si l'esprit peut contrôler la matière, les physiciens doivent être capables de comprendre comment la matière peut s’y prêter.» La physique quantique est un premier pas dans cette direction, mais ce n'est pas suffisant.

-La Physique Quantique, une explication de la magie?

-Oh, oh, oh, pas si vite. Attention, de nombreux escrocs jouent sur ce terrain. Ce que la Physique Quantique apporte, c'est qu'elle nous libère du dogme métaphysique du matérialisme. Aujourd'hui, les physiciens se doutent bien, sans oser le dire ouvertement, que leur fantastique échafaudage théorique repose sur du sable. C'est pourquoi tant de personnes s'opposent à l'interprétation de Tellutaar (Note de l’auteur: interprétation de Copenhague), qui affirme qu'«il n'y a pas de réalité cachée sous ce qui est observable». Aujourd'hui, les physiciens ne peuvent que dire que c’est un mystère, mais jusqu'à présent, aucun n'en a tiré la conclusion évidente. J'y travaille: accepter et assumer que la matière n'ait pas d'existence absolue. L'interprétation révisée de Tellutaar est que «les relations causales logiques entre ses éléments suffisent à expliquer notre univers, y compris notre sensation qu'il est «concret», sans qu'il soit nécessaire que ces éléments existent absolument». Cette audacieuse inversion de paradigme m'a valu ma place au Gegy, mais dans mon laboratoire de physique nucléaire du Nyidiath, je dois encore garder le silence sur ça. Pourtant certains commencent à parler à voix basse.

-Et, répond un Elfe, le Sagarmathar a toujours lieu de nos jours, chaque été! C’est la saison où les universités du Nyidiath ferment, afin que les scientifiques humains puissent se joindre au frai eux aussi. Nous organisons une grande fête de plusieurs semaines, ponctué d'échanges et de discussions, en partie virtuellement, en partie dans le Dauriath. Il est très important de se suivre les uns les autres. Et, bon, parfois, de supprimer les contributeurs qui se sont égarés. Nous sommes un groupe de recherche libre, mais nous sommes aussi sérieux.

-Mil, tu seras peut-être invité dans le Dauriath pour le Sagarmathar. Prépare une excuse pour ta famille, ha ha ha ha!

-En attendant, conclut Maître Shaun Rang, tu aimera peut-être visiter mon lieu virtuel, que j'ai modélisé d'après mon paradis. Il sent bon le vieux parchemin alchimique, et tu aimera sûrement l’orrery.

-Oui, le lieu de Maître est fantastique, rien que ça suffisait pour l'ajouter au monde virtuel du Gegy.

 

Aussitôt dit, aussitôt fait, ils entrent dans un téléporteur. Ces objets ressemblent à des portes, pleines de brume, ou parfois avec une vue de ce qui est censé se trouver au-delà. Celui-ci montre une brume rouge foncé, et lorsqu'ils le traversent, il mène à une petite pièce allongée, dans un autre simulateur. Elle est sombre, toute en roche brun rougeâtre. Au sol, il y a, disons, une voie Decauville. Une sorte de wagon les attend. «J'ai la même chose chez Shelenaë, mais en beaucoup plus grand. Ici, dans le virtuel, ils ne m'ont pas autorisé à l'avoir aussi grand, mais c'est quand même intéressant.» Dès qu'ils sont tous les cinq assis dans le wagon, celui-ci se met en mouvement avec un léger et agréable sifflement. La piste descend dans une galerie sombre, serpentant à gauche et à droite. Cela dure environ une minute, lorsque soudain la caverne s'élargit en espaces obscurs, au-dessus, sur les côtés, parfois en dessous. Des cristaux brillants apparaissent sur les parois, d'abord petits et isolés, puis en groupes. Soudain, ils émergent dans une vaste étendue, brillamment illuminée par des milliers de cristaux disposés en touffes et en harmonies colorées. Une magnifique orgie de couleurs et de textures! Sur les côtés, des galeries irrégulières mènent à des salles encore plus lumineuses aux tons pastel, où des objets indiscernables se déplacent avec des sons étranges. Le chariot ralentit pour les laisser admirer, mais il s'engage bientôt dans un autre tunnel sombre.

La dernière salle est à nouveau en pierre rouge foncé, sombre, avec des joyaux brillant en orange ou jaune. Le wagon s'arrête contre un haut bâtiment aux murs rougeâtres inclinés, avec des sculptures, de petites corniches et des fenêtres, illuminées de l'intérieur par des couleurs de feu. Au-dessus, le plafond se perd dans une brume violette, baignée d'une douce lumière intérieure. Autour, poussent de curieuses plantes et arbres brun foncé, aux fleurs d'un rouge lumineux. Ici et là, une lampe aigue-marine empêche l'œil de s'habituer au rouge, et tout ce décor vibre intensément de mystères et de pouvoirs anciens, d'une étrange beauté occulte.

Une porte en acier sombre s'ouvre dans le mur, entourée de sculptures de griffons aux yeux rouges brillants. L'espace d'un instant, Milton est étonné de voir cela dans le merveilleux Estrellar, mais nous allons comprendre pourquoi c’est là.

Ils franchissent la porte à pied. C'est à nouveau un changement de simulateur, débouchant sur un sombre tunnel de roche taillée, éclairé par des cristaux brillants. Des passages obscurs alternent sur les côtés, parfois fermés par des portes, parfois avec des grilles, chacun offrant un mystère nouveau et captivant. Une dernière porte s'ouvre au bout du tunnel, sur le repaire de Maître Shaun Rang.

«Bienvenue dans mon laboratoire d'alchimie. C'est encore une copie de ma demeure de chez Shelenaë, plus fidèle celle-ci. Imaginez le laboratoire secret d'un ancien alchimiste... même si aucun n'en a probablement jamais possédé un aussi grand. Tout ce que vous voyez, ces parchemins et ces étranges instruments, rappelle les débuts de la science du Nyidiath, à une époque où elle était sévèrement réprimée par la religion. Nous avons dû demander plusieurs protections courroucées, d'où le style de ce lieu et les nombreuses représentations de créatures effrayantes. C'était pour éloigner les prêtres curieux. Il y avait beaucoup d'endroits comme celui-là, et aujourd'hui à Tellutaar se trouve encore le temple de Foggier, bien conservé, que vous avez certainement visité. C'est un Zug, c'est-à-dire un temple rectangulaire dédié aux divinités protectrices courroucées. Certains ont dit qu'il était à l'origine peint en rouge foncé, mais aucune preuve n'a jamais été trouvée, et il est très bien ainsi, en basalte noir.»

La pièce est vaste, toute en bois sculpté brun foncé, rehaussée de bandes de cuivre et d'escarboucles rouges brillantes. Au sol, un tapis aux couleurs ocres et brunes dont les motifs semblent se répéter, mais jamais de la même manière. Il n'y a pas de murs bien définis, mais des étagères et des armoires, séparées par des passages, disposés irrégulièrement tout autour. Plus loin dans ces passages se devinent des lumières mobiles, ou d'étranges appareils d'alchimie, des cornues et des cucurbites, des sphères armillaires et des gnomons, des glyphes et des symboles mystérieux, des rangées de parchemins et des jarres au contenu coloré. Au milieu se tient une table ronde de bois sombre sculpté et ciré, avec des chaises du même style, et le grand fauteuil de Maître avec son haut dossier. Le dessus de la table est orné d'une rose des vents incrustée, en bois sombre et ocre contrastés. En y regardant de plus près, une bonne partie de ce bois sombre est violacé, provenant d'un arbre autrefois rare dans le Nyidiath. Il avait été importé dans le Dauriath avec l'Exode, mais il a fallu trois siècles pour le multiplier et en faire une ressource courante.

Mais ce qui frappe le regard, c'est l’orrery! Il occupe tout le plafond en dôme bleu foncé, parsemé d'étoiles brillantes. Le cercle écliptique et les épicycles, en rotation lente, sont en or pur, avec des dégradés, des rinceaux et des symboles. C'est très beau et fascinant d'observer les grands anneaux d'or se décaler majestueusement au-dessus de leurs têtes. Les planètes sont relativement petites en comparaison, apparaissant comme des orbes brillantes. Dans le virtuel, les pièces mécaniques n'ont pas besoin d'être soutenues, de sorte que les planètes et les anneaux se contentent de léviter au-dessus de leurs têtes.

«Voici la version médiévale, avant l'Exode, toujours Nyidicentrique. Je peux passer à la version antique du Nyidiath plat, ou à la version héliocentrique moderne. Mais celle-ci est la plus spectaculaire, avec les épicycles entremêlés.»

En effet la vue des complexes épicycles dorés se croisant lentement est à couper le souffle!

«Ce plafond est symbolique, mais je peux passer à de vraies images du ciel étoilé, rehaussées en luminosité pour montrer les galaxies et tout le reste.»

Il appuie sur un interrupteur invisible, et soudain, seules les galaxies rehaussées sont rendues. On ne les voit généralement pas, non pas parce qu'elles seraient petites, mais parce qu'elles émettent très peu de lumière. Une fois rehaussées, elles paraissent bien plus grandes qu'on ne le pense, et c'est une vue fantastique! Avec des spirales floues ou des taches roses de pouponnières d'étoiles, comme on les verrait à l'œil nu. Un autre interrupteur, et les bandes sombres de la Voie lactée apparaissent en orange vif! Encore une autre position, et ce sont tous les pulsars clignotants avec leurs sons effrayants!

De toute évidence, Maître Shaun Rang avait mis à jour ses connaissances, depuis l'époque de l'alchimie...

Mais il a conservé son style ancien, si loin des blancs et mornes laboratoires de physique!

Ils s’assoient autour de la table, Maître dans son fauteuil à haut dossier sculpté. On y voit un soleil, entouré de rayons et d'animaux étranges. La tête du Maître s'intègre juste dans le soleil. Ils discutent pendant des heures, non pas d'épistémologie ou de science, mais des temps anciens. En réalité, Maître ne se souvient que de peu de choses, car il est très difficile de conserver le souvenir de vies antérieures ou de mondes spirituels. Mais il était profondément inspiré à construire ce repaire, car il l'avait créé dans le monde spirituel de Shelenaë. De là ces images, si empreintes de force pour lui, qu’elles font partie de son psychisme.

Plus tard, ils reprennent le wagon, dans l'autre sens, pour retourner au Gegy. Ils pourraient simplement se téléporter, mais la voie et le tunnel sont si amusants! C'est là qu'un incident curieux se produit: alors qu'ils montent sur la voie, un autre wagon descend à toute vitesse! Milton a juste le temps d'apercevoir les autres passagers de l'autre chariot, avant la collision inévitable! Il ferme les yeux... et les deux wagons se passent à travers l’un l’autre, avec tous leurs passagers! Ils rient tous. C'est un monde virtuel, ne l'oublions pas. Mais quand on n'y est pas habitué, on peut avoir de bonnes frayeurs comme celle-là!

 

Il n'y a ni jour ni nuit dans le virtuel, ni lever ni coucher de soleil. Mais Milton réalise soudain que dans le monde physique, ces choses existent encore, et il doit être très tard. Presque l'heure de se lever pour aller travailler! Il parvient tout de même à dormir un peu et à se sentir bien toute la journée à l'Université, plein d’énergie avec tout ce qu'il a vu.

Une famille abusive

Le samedi suivant, il reçoit une avalanche d'appels de sa famille et une visite audacieuse d'Annette dans son «repaire de garçon»!

Elle est en colère, qu’il ne l’ait pas invitée au restaurant. Il évite simplement de répondre que le restaurant de l'Université est très bon, mais qu'elle ne se sentirait probablement pas bien avec tous ces... travailleurs.

Milton se sent très mal. Il pense être fiancé avec elle, même s'ils n'ont jamais été au lit ensemble (aujourd'hui, la plupart des gens vont d'abord au lit, et ils se marient ensuite). Il prend ses fiançailles très au sérieux et ne veut pas être celui qui les rompt. Mais, d'un autre côté, il est effrayé à la simple idée de passer sa vie sous ses réprimandes constantes, plus le chantage permanent des deux familles (il a peu rencontré ses parents à elle, mais ils ont manifesté un mépris silencieux, en raison de sa «position sociale inférieure»). Il essaie donc de gagner du temps, avant qu'arrive le moment où elle sera constamment avec lui, ne lui laissant plus de place pour ses propres pensées, et lui imposant tout dans la maison, ce qu'il mange, comment il s'habille, qu'il doit jouer au tennis, etc. Plus les bavardages incessants et les crises émotionnelles imprévisibles de la télévision! Avec elle, il n'aurait aucun moyen de se connecter à Gegy, sans qu'elle ne le surveille par-dessus son épaule voire qu'elle tente de de se loguer en son nom lorsqu'il n'est pas à la maison. Même son travail à l'université serait gravement compromis: elle l'interromprait sans cesse pendant qu'il corrigerait ses copies, lui parlerait, mettrait la télévision à fond, et crierait soudain à l'aide dix fois par jour.

Ne pas répondre à ses bavardages incessants ne fonctionne pas non plus: elle s'énerve, essayant de voler son attention par des tours de plus en plus extrêmes.

Soudain, il l'entend dire:

«Tu n'as même pas pu déclarer ton amour toi-même, tu as dû demander à ta mère de le faire pour toi!»

 

Pendant quelques secondes, il y a un blanc.

 

Se pourrait-il...

 

Non, c'est impossible.

 

Il réalise enfin ce qui s'est passé: il n'a jamais rien demandé à sa mère. Bien au contraire, c'est son propre père qui lui a dit que Annette l'aimait! Mais qu'elle n'osait pas lui dire, en raison de sa «position sociale inférieure». Le soir même, ils avaient été mis à danser ensemble dans un bal, chacun pensant être aimé de l'autre. C'est ainsi qu'ils sont devenus «fiancés», croyant tous deux que l'autre s'était déclaré, mais sans avoir dit un mot eux-mêmes!

Abasourdi, il ne peut que la regarder en silence, avant d'essayer: «Mon père m'a aussi dit que tu m'aimais, mais que tu ne voulais pas te déclarer toi-même.» Mais, trop occupée à parler, elle ne saisit pas, ignorant les implications: on leur a tous les deux menti, pour un mariage arrangé! Comme c'est interdit, leurs parents ont présenté les choses de manière à ce qu'ils croient tous deux que l'autre les aimait vraiment. Ses parents à elle étaient probablement au courant eux aussi, pour quelque raison inconnue, comme de remercier pour un service passé, en acceptant un gendre de «position sociale inférieure». Elle finit par réaliser qu'il ne parle plus, se contentant de la fixer du regard. Mais au lieu de lui demander ce qui se passe, elle prend peur. Elle lui dit au revoir précipitamment et s'en va.

 

Milton ne se laisse pas si facilement apaiser. Il croit toujours qu'ils sont fiancés, et qu'elle l'aime toujours à sa manière étrange. Il passe le reste du week-end ailleurs, pour ne plus recevoir de visite. Il a même mis un mot de passe sur son ordinateur Gegy, au cas où ils parviendraient à s'infiltrer chez lui. On ne sait jamais, une clé se copie si facilement, et il n'a jamais pensé à se protéger sérieusement.

Au cours de sa nouvelle semaine à l’Université, il est si désemparé que les gens le remarquent. Il dit avoir des problèmes familiaux. Jusqu'au vendredi soir, juste avant de quitter le travail, où le professeur Schwanz le reçoit dans son bureau, penché sur des documents de travail, et lui fait signe de rester professionnel (pas Gegy).

Il demande: «C'est à propos d'Annette?

-Oui», fait Milton à voix basse.»

Il ajoute: «Je ne sais pas quoi faire avec elle. Si on se marie, je ne pourrai plus faire confiance à ma propre maison pour mes, euh, activités Internet. Même mon travail universitaire deviendra impossible.

-Cela. N'arrivera. Pas. Fait le professeur Schwanz à voix basse mais en détachant bien les syllabes.

-Comment?

-Annette Dunning a annoncé haut et fort qu'elle était désormais fiancée à Conrad Kruger, fils d'un des propriétaires de la banque Kruger & Wesson, et descendant direct de l'ancien clan Krougan des maîtres de forge. Au moins, il a un «niveau social» bien plus élevé que toi, ha ha ha! (Note de l'auteur: maintenant vous comprenez pourquoi je l'appelais «Annette Barbaroux»!) Pour elle, en tant que femme, elle n'a pas tant besoin d'un niveau social élevé, puisqu'elle a de belles fesses.

-Tu veux dire que... elle m'a largué??

-Oui. Désolé de te l'apprendre. Mais tu l'aurais appris bientôt de toute façon, et d'une manière moins agréable.»

Milton reste pâle et muet un instant. Puis il comprend peu à peu que c'est une excellente nouvelle, après tout. Son avenir de chagrin se dissipe!

«Ils formeront la famille Dunning-Kruger, et je pense que ce nom leur va à ravir. Juste ce matin, il a voulu frimer devant elle en pilotant lui-même son yacht dans la marina de Tellutaar. Il a dû penser que conduire un bateau, c'est comme conduire une voiture. BLAM dans le yacht de gauche. Paniqué, il a rapidement tourné la barre vers la droite... BLAM dans le bateau de l'autre côté. Où est le frein? Mais il n'y a pas de freins sur un bateau... alors BLAM dans le quai. À ce point, Miss Dunning, effrayée, lui a demandé d'arrêter. Ils sont un parfait exemple de l'effet Dunning-Kruger.

«Le coût de sa stupidité est monté à environ un million en seulement une minute. Une telle dette ruinerait n'importe quelle famille d’ouvrier pour le restant de leurs jours. Mais bon, pour lui c'est juste amusant, et il ne s'est même pas excusé auprès des propriétaires des autres bateaux. On les a vus tous ensemble boire un verre au yachting club juste après, Annette roucoulant comme une tourterelle d'être avec de telles célébrités.»

Milton a besoin d’un moment pour digérer la nouvelle. Mais finalement, c'est une nouvelle agréable. Il se met à sourire silencieusement pendant un instant. Le professeur Schwanz comprend peu à peu que Milton est soulagé. Ils restent ainsi un moment, puis le professeur termine la réunion par «Je dois y aller, j'ai encore du télétravail à faire (code pour «rendez-vous au Gegy»). Je suis content que tu aies enfin compris qu'Annette n'était pas une bonne compagne.»

 

Quand Milton entre chez lui, le téléphone sonne.

Son père.

«Tu as perdu, fiston.

-J'ai perdu quoi?

-Tu te moques de moi? Ou tu es complètement déréalisé? Tu as perdu une occasion unique d'accéder à un niveau social supérieur, en devenant le gendre d'Arth Dunning, député au conseil municipal de Tellutaar et PDG de Dunning Asset Management.

-Comment ça?

-Parce qu'Annette t'a laissé tomber comme une vieille chaussette, avec toutes tes idioties de méditation en forêt ou de vie recluse dans une chambre secrète, peut-être recevant des minets!»

Milton veut répondre quelque chose de fort, mais toute une enfance de peur inconsciente le retient, et il ne parvient qu'à bégayer des excuses. Puis il prétexte son travail, pour éluder d’autres reproches:

«J'ai beaucoup de devoirs à corriger pour demain. Je dois commencer tout de suite.

-Demain est samedi», hurle le père, mais Milton a déjà raccroché. Ça re-sonne immédiatement, cette fois c'est le numéro de sa mère. Eeeeh! Il hésite avant de décrocher, quand un autre inconnu sonne derrière elle. Cela lui fait un prétexte, aussi il décroche l’inconnu. Mais c'est peut-être le pire appel qu'il ait jamais reçu:

«Bonjour, je suis Conrad Kruger. Êtes-vous le professeur Earmann?»

Abasourdi, il ne peut rien répondre de plus qu'un oui étranglé. Ce type a du culot, ou il est complètement fou. Mais Kruger continue, avec un aplomb incroyable:

«J'ai pris Annette pour moi. Je sais que vous étiez fiancés. Mais je suis généreux. Je peux vous indemniser. Je peux vous donner beaucoup d'argent.»

Celle-là, Milton ne s'y attendait pas. Certains pensent encore comme ça? Vendre une femme le mènerait au pire en ce monde. Alors il répond par un demi-mensonge:

«En fait, c'était une union arrangée, sans amour. Vous ne me devez rien.» Il raccroche et débranche vivement le téléphone, avant qu'un autre barjot ne sonne. Il frissonne rétrospectivement: parfois l’argent coûte bien plus cher que tout ce qu'il peut acheter.

Sans compter qu'ils bavarderait, et que tout le monde saurait qu'il l'a fait, ruinant ainsi sa réputation. Un Kruger peut se permettre d'acheter une femme, mais lui irait droit en prison.

Gunma Nolween

Milton, soulagé, voit l'image familière de la salle principale du Gegy se former sur son écran. Aussitôt, un IM du professeur Schwanz retentit, l'invitant à se téléporter: «Viens, Gunma Nolween t’a demandé, elle a des choses à te dire. Elle est prêtresse de Shelenaë. Elle ne fait pas partie du Gegy, mais elle a compris que c’est important, aussi elle a décidé de nous aider personnellement. C’est son Service à la vie.»

La téléportation le conduit dans le bureau du professeur Schwanz, plus bas dans les souterrains du Gegy. C'est une petite pièce ronde, sans rien de spécial, hormis quelques schémas de réseaux neuronaux artificiels aux murs. Apparemment, le professeur l'utilise pour des expériences qu'il ne révélera pas à Milton.

«Mil, nous sommes libres de parler ici. Quoique j'aie dit ce que j'avais à dire. Gunma t’en dira plus sur elle-même. Mais je dois te prévenir: c'est une personne très étrange, même selon les critères elfiques. Ne sois donc pas surpris. Elle te parlera aussi d'amour, mais bien sûr, ne le prend pas comme une invitation. Elle est mariée de toute façon. Et, bon, le plus important avec elle est entre les mots. C'est une magicienne, tu sais.

-Tu me rends curieux, et j'attends son invitation. Mais je me demande: comment as-tu pu savoir ce qui s'est passé au yachting-club de la marina? C'est interdit aux gens normaux.

-Ha ha, en effet, ce n'était pas vraiment une question à poser dans mon bureau universitaire! Mais ici, je peux te le dire. Les riches ont un point faible: trop paresseux pour travailler, ils ont besoin d'armées de domestiques, de serviteurs, de majordomes, de chauffeurs, de cuisiniers, de jardiniers, de sommeliers, de gardes du corps. Et ils pensent que ces gens ne sont pas des personnes, juste des choses. Pourtant, ces serviteurs ont des oreilles.

-Milton: Tu dis que les Elfes infiltrent le personnel de tous les établissements pour riches?

-Professeur: Non, non, pas comme ça. Il faudrait des dizaines de milliers d'Elfes au service des riches toute leur vie, pour une minute d'informations intéressantes de temps à autres. Une gigantesque perte de temps de vie, et si ils se faisaient prendre, ils le paieraient cher. Les Elfes ont des méthodes plus subtiles! Depuis des siècles, et même avant l'Exode, le Conseil elfique sait tout ce qu'il doit savoir. Mais ils n'en parlent pas. Je suppose qu'ils rendent visite aux gens dans leurs rêves. De cette façon, ils obtiennent toutes les informations qu'ils veulent, sans que la personne ne s'en rende compte, ni ne puisse rien faire contre.

-C'est la chose la plus étrange que j'aie jamais entendue, lol

-Bon, pour le bar, j'ai mon propre réseau de renseignements plus classique, ha ha! Un de mes étudiants y travaille pour financer ses études. Le salon de la marina est le point faible de toute la noblesse de Tellutaar, ha ha ha!

-Eh bien, ça a l'air d’une explication plus simple, ha ha!

-Oh, et rassure-toi pour les innocents, elle a abandonné ses études de droit. Elle pense ne plus en avoir besoin, maintenant qu'elle est riche. Jusqu'à ce qu'il la laisse tomber pour d’autres fesses, et qu'elle doive faire la plonge au yachting club, continuant donc à le servir, ha ha ha ha!

-Ouf, heureusement. Quelle justice aurait-elle rendu, son père lui payait toutes ses contraventions.

-Elle ne se doute pas encore que ce bellâtre a des goûts amoureux assez spéciaux. Il attend d’être marié pour lui faire la surprise. De grandes aventures en perspective!

-Je préfère ne pas savoir, ha ha ha!»

 

Le professeur Schwanz change de ton, pour une confidence plus intime:

«Mil, n'aie pas peur d'être seul avec une prêtresse de Shelenaë dans son Ombo. C'est à la fois un temple et sa maison. Son Mandala, si tu préfères. Cela te paraîtra nouveau et étrange, mais les Elfes font ce genre de choses régulièrement. «Gunma» signifie qu'elle est en quelque sorte une médecin du cœur. Tu auras peut-être besoin de parler de certaines choses, si tu veux bien sûr. Je suis en IM avec elle, et elle t'envoie une demande de téléportation. Cette conversation pourrait être très importante pour toi.»

 

Intrigué, Milton accepte la demande de téléportation. Celle-ci le conduit dans un paysage totalement différent, un autre simulateur, l'Estrellar profond, connu seulement des anciens Elfes du Dauriath. Imaginez une caverne de verdure et de feuillage au cœur d'une forêt dense, vibrante d'un vert frais et profond de forêt humide, entre une voûte de vitraux émeraude cent mètres plus haut, et les recoins ombreux des buissons tout autour. Des lianes aux poils bruns ou aux fleurs bleu pâle pendent d’arbres plus petits, et des rochers moussus sont éparpillés çà et là. Il n'y a pas d'herbe au sol, mais plusieurs variétés de mousse épaisse avec quelques discrets points rouges. Les arbres et les fourrés tout autour sont compacts, sans chemin apparent pour entrer ou sortir de la clairière, juste une aire de téléportation devant la maison. C'est un étrange bâtiment, à mi-chemin entre une ruine antique couverte de lierre et une maison écologique moderne, enveloppé par les racines d'un arbre incroyablement grand. Il y a même des fenêtres rondes dans le tronc. Tout autour un jardin s’agrémente d'une surprenante variété de plantes et de fleurs.

L'intérieur de la maison est, au contraire, chaleureux et douillet, dans les tons orange et marron, comme illuminé par un feu. On pourrait penser à la maison et aux fenêtres arrondies de Maître Yoda, mais en plus grand, plus orange et plus détaillé.

Gunma Nolween est assise dans un grand canapé, murmurant lentement un mantra. Elle a de longs cheveux lisses d'un châtain chaud et de beaux traits. D'autres canapés sont disposés autour, et Milton en prend un. La pièce est décorée de sculptures ou de pots de fleurs, intégrés aux murs en bois incurvé, dont les nervures plus foncées forment d’hypnotiques motifs en zigzag. Sur des étagères, des objets inconnus ont des reflets dorés ou des éclats de lumière arc-en-ciel. Un petit autel abrite une image de Shelenaë et des offrandes rituelles. Elle commence, sans préambule ni bonjour:

«Mil, je voulais te parler. Tu penses peut-être qu'il s'agit de cette femme qui prétendait être la tienne. Mais ce que j'ai à te dire n'est pas ce que tu penses.»

Elle est très belle, et même sensuelle. Mais elle évite de susciter une telle émotion dans le cœur de Milton. Il comprend qu'elle soit mariée de toute façon. De plus, les Elfes aiment garder ce genre de sentiments sous contrôle, jusqu'à ce qu'ils soient appropriés.

«Des événements importants se sont produits récemment dans nos deux mondes.»

Elle parle lentement, à voix basse, comme pour dévoiler un mystère. Sa robe simple descend jusqu'à la moitié de ses cuisses, dans les tons orangés environnants, faite de nombreux rubans courts se recouvrant comme des ardoises. Elle est pieds nus sur le tapis brun-orangé. Dans le virtuel, le sol est toujours chaud et propre.

«Tu as entendu dire que les Listals ont été interdits, suite à de trop nombreux abus. Mais nous avons une raison bien plus fondamentale.»

Sa voix grave et émouvante est calme et apaisante, tout en exprimant de la force.

«En réalité, le système magique de correspondance amoureuse qui les sous-tend ne peut pas être désactivé. C'est un puissant karma de milliers d'années de méditation, et il faudrait encore plus pour le supprimer.»

Elle laisse de longs silences entre ses déclarations, afin qu'ils imprègnent l'esprit de Milton. Bien qu'il ne puisse pas y avoir d'odeurs dans le virtuel, il sent clairement un doux parfum émaner d'elle.

«Ce que nous avons fait à la place, c'est étendre son activité aux humains.»

Ça, c'était inattendu. Pourquoi un aussi fantastique cadeau?

«Oui, pour les Humains comme toi. Nous avons fait cela parce que le vieux modèle de quelques Elfes évolués parmi de nombreux Humains primitifs est en train de changer: tous les Humains s'élèveront désormais ensemble, et chacun deviendra un Elfe, dans quelques siècles.»

Les seuls sons sont le chant des oiseaux, haut dans la canopée de la forêt, que l'écho transforme en une étrange et mystérieuse réverbération. Plus un égouttement constant de condensation depuis les arbres. Avec le son surround, Milton a vraiment la sensation d’être immergé dans la forêt tout autour de lui! Parfois, un animal inconnu hulule. Il n'y a pas de grands animaux dans le Dauriath, mais dans le virtuel, il pourrait y en avoir des imaginaires.

«Nous avons dû accompagner ce processus en proposant le système de mise en correspondance amoureuse à tous les Humains. Ainsi, les Humains vertueux pourront former des couples harmonieux, contribuant positivement à la société entière. Et si ils veulent des enfants, ils pourront bien les éduquer.»

Elle compte lentement les grains bruns de son chapelet, pour quelque méditation de pleine conscience.

«Ce système vous protégera également, vous les Humains, des unions difficiles et des mauvais partenaires. Tu as été parmi les premiers à en bénéficier. Ton mariage avec cette femme superficielle aurait été une catastrophe, ruinant ta vie, tes projets, tes enfants. Je sais que tu ne veux pas d'enfants, mais elle se serait arrangé pour en avoir, comme otages contre toi. Tant de mauvaises femmes se servent de leur maternité comme d’une arme.

-Tu veux dire que tu m'as manipulé?

-Non, pas toi, elle. Ce n’était pas difficile, avec cet homme ils se sont littéralement sautés dessus. Elle a même dit qu'elle se sentait «libérée» de toi!

-Vraiment? Ha ha ha ha!

-De toute façon, ce n'est pas un acte délibéré de qui que ce soit. Les décisions se prennent dans le Mithlon, l'espace de conscience interpersonnelle, libre de tout ego individuel. Cela fait qu'elles sont toujours justes. C'est ainsi que fonctionne notre système magique de correspondance amoureuse.

-En tous cas, je me sens soulagé. Je réalise qu'elle ne m'a jamais attiré. Même sa beauté physique semble artificielle, un appât. Du coup, mon sentiment est bien plus une libération qu'une perte.

-Bien, tu ne te jetteras plus sur le premier beau corps venu. La beauté physique est un avantage quand elle est avec la bonne personne, sinon c'est un piège terrible.»

Parfois, de faibles sons parviennent de sa maison dans le monde physique, à travers son microphone: une flûte, quelqu'un qui travaille, ou des canards qui jouent et s'éclaboussent. L'impression est forte d’être vraiment dans sa maison physique, avec toute la chaleur et la paix d'une vie heureuse.

«Gunma: La flûte, c’est ma fille Gylma. Elle va bientôt quitter le nid.

«J'ai aussi veillé à ce que tes parents te laissent un peu en paix. Ils se concentreront plutôt sur le jeu de poc poc poc de tes sœurs. Je ne comprend pas pourquoi elles se démènent tant pour empêcher cette balle de tomber par terre, il leur suffirait de l’attacher à un clou.

-Le bon point est que tu n'as pas besoin de couper les ponts avec ta famille, du moment que tu cesses de leur obéir sans réfléchir. De bonnes choses peuvent encore arriver dans le futur, quand ils seront plus âgés, avec la mort en approche, et qu'ils réaliseront la futilité de leurs buts. Ils reviendront vers toi à ce moment-là.»

En présence de cette étrange dame, Milton se sent apaisé, accepté, et même aimé. Tout est rond et clair, sans ombres ni flou. La maison chaleureuse et confortable et la forêt fraîche qui l'entoure renforcent ces sentiments. Et tout cela n'est que du virtuel, comment cela doit être dans sa maison du Dauriath?

«Ha oui», commente-t-elle, percevant visiblement ses pensées: ma maison physique dans l’Undar est, eh bien, mieux, avec de vraies plantes qui poussent, et le tronc d’un vrai arbre, élargi par un contrôle magique de sa croissance. Mon merveilleux mari a créé ce fantastique lieu virtuel pour que je puisse recevoir des gens du Nyidiath, sans un long voyage. Mais il ne vient pas ici quand je travaille!

«Mil, n’hésite pas à prendre un véritable amour quand tu le voudras. Il te suffira de le souhaiter, et cela arrivera. Peut-être pas trop tôt, car tu dois d’abord apprendre à être autonome, au lieu de te soumettre aux caprices de qui que ce soit. Des opportunités se dessinent déjà dans le Mithlon.

«Pour l’instant, tu es une personne bienveillante et honnête, et c’est excellent. Cependant, ce n’est pas suffisant, il faut une évolution spirituelle plus poussée pour vraiment maîtriser sa situation. Dans un couple avec le bon partenaire, les choses peuvent aller beaucoup plus vite. Et si vous décidez d’avoir des enfants, ils auront un très bon départ dans la vie.»

Parler à Gunma est aussi fort que de déclarer son amour à une femme. Il sent la force de ses mots se répandre dans son corps. Et apparemment, si on l’utilise bien, l’Internet n’a pas le pouvoir d’affaiblir l’énergie de tels lieux.

Milton: «Que fait exactement une prêtresse de Shelenaë? Je croyais que vous faisiez des rituels, des chants, etc.?

-Ah, ça, oui. Mais un rituel n'est qu'un outil. Il y a bien plus que ça avec Shelenaë. Ce lieu virtuel n'est qu'une image, nous devons avoir un jardin rituel avec de vraies plantes, et nous devons être une mère. Mais nous méditons aussi beaucoup pour rester en contact avec Shelenaë. Nous sommes les gardiennes de la magie des Elfes, offrant notre personne comme réceptacle à Ses intentions.

-Tu es en contact avec Shelenaë? Comment?»

Elle sourit simplement. Et Milton... sent une main sur son épaule. Mais il ne voit personne! Il est si excité que cette sensation se dissipe. Était-ce Shelenaë en personne? Ou une entité inférieure? Ou juste une illusion? Il pense qu'il ne le mérite pas.

Gunma: «Ha ha! Prends garde si tu penses ne pas être digne de Shelenaë. Elle aime les gens humbles comme toi, et elle t'aidera encore plus, ha ha!»

«Bon, je crois que nous avons dit tout ce qu'il y avait à dire, et il est temps de nous quitter, avant de dissiper l'énergie de cette rencontre. Mil, fais davantage attention à tes rêves, ils pourraient te donner des indications en avance.»

 

Milton se retrouve soudain au Portail Nyidi-Gateway 3, où il a encore son point d’attache. Il constate aussi que rien n’a été enregistré dans ses logs de conversation, même pas l’URL du lieu. Il est un peu frustré, avant de comprendre que l’essentiel est dans son esprit: la puissante énergie de Gunma Nolween. Cela ne peut absolument pas être codé en données informatiques.

 

Il est tard le soir, Milton éteint son ordinateur et se couche sans même penser au repas. Il réalise qu'il aurait ressenti certains mots de Gunma comme de dures et humiliantes critiques, si ils avaient été prononcés par n'importe qui d'autre. Mais de la part de cette fée, ils apparaissent comme des lumières illuminant son chemin. C'est sa magie. Il sait ce qu'il doit faire. Il déborde d'une énergie incroyable pour le faire. Une énergie douce et calme comme dans la maison de Gunma. Il est prêt à méditer pour devenir meilleur, prêt pour son travail universitaire.

 

Par curiosité, il consulte les appels manqués sur son téléphone: cinq messages enregistrés de sa mère, sept de ses sœurs, un de Kruger, et deux de son père. Hmm, demain. Ou peut-être, bon, plus tard, quand il sera suffisamment auto-déterminé.

 

 

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