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Chapitre 4
Les nouveaux mondes

 

 

La découverte de la planète Dumria, cachée par la «conspiration anti-suicide», fut rapidement suivie par la révélation de l'existence d'une bonne trentaine d'autres planètes habitées dans toute la galaxie, et même dans les Nuages de Magellan. On se rappellera que les complices de la conspiration étaient cachés jusque dans l'équipe du Catalogue des Planètes, dont Steve Jason était responsable à l'époque. De puissants logiciels étaient chargés d'analyser automatiquement les millions d'images planétaires qui tombaient chaque jour des télescopes quantiques, pour y détecter des détails comme des constructions creuses, des angles droits, des véhicules volants ou des bateaux. Les conspirateurs avaient réussi assez facilement à intercepter les messages d'avertissement de ces logiciels, car personne n'avait pensé à les surveiller sérieusement. Ces planètes ne furent tout simplement pas inscrites dans le Catalogue! Toute connaissance à leur sujet était perdue, même leurs coordonnées et jusqu'à leur existence. La censure de Dumria avait été plus délicate, car des images révélatrices avaient déjà été entrées dans le Catalogue par une équipe russe, qui comptait les analyser avec ses propres logiciels. Faute de pouvoir supprimer ces images, les complices de la conspiration avaient dû se servir de toute leur puissance pour aller les trafiquer dans le Catalogue, qui était par contre sévèrement protégé. C'était précisément cette falsification qui, par un pur hasard, avait permis à un stagiaire de Steve, le jeune moine Jampa Kongchok, de découvrir Dumria Cela est raconté dans le livre «Dumria».

Sans les indications des Dumriens, l'existence même des autres planètes habités aurait fort probablement été perdue, car leur découverte dépendait de campagnes de repérage systématique très coûteuses que l'on n'aurait probablement jamais refaites. Heureusement les astronomes Dumriens se montrèrent fort coopératifs, comme dans tous les autres domaines de la connaissance, et ils proposèrent de partager toutes leurs données à ce sujet.

Ainsi le chapitre de l'exobiologie consacré à l'apparition de l'intelligence sur les planètes, était maintenant complet. Le problème des planètes manquantes (voir le livre «Les planètes manquantes») était complètement résolu, et de manière satisfaisante à tout point de vue. D'après l'équation de Drake, les civilisations sont très nombreuses dans l'absolu. Mais elles ne durent que peu de temps, avant de rejoindre un état spirituel où elles ne sont plus matériellement observables. Aussi, en observant la galaxie à un instant donné, on n'en trouve que peu, quelques dizaines de planètes sur des dizaines de milliards d'étoiles. Mais, comme l'avait remarqué le spécialiste Amédée Owanba (voir le livre «Les planètes manquantes»), vu leur nombre, on devrait quand même en observer quelques unes à une date donnée, et c'est bien ce qui était découvert maintenant. Amédée avait payé fort cher sa découverte, car la conspiration l'avait enlevé pour lui faire subir plusieurs années de lavage de cerveau. Il se remettait petit à petit, grâce aux bons soins d'un psychiatre compétent et de sa famille, honoré par la communauté scientifique et enrichi par les droits d'auteur de ses publications.

A peine quelques semaines après le premier contact officiel, Dumria transmit les coordonnées de toutes les planètes habitées qu'elle connaissait, en utilisant le seul canal de communication à très faible débit disponible alors. Ces planètes furent ainsi observées et connues des astronomes et exobiologistes terriens avant même de recevoir les données détaillées depuis Dumria, qu'ils n'envoyèrent que plus tard quand les canaux à fort débit furent installés. Ces observations recelèrent quelques surprises, car en fait les formes d'intelligence les plus courantes diffèrent nettement de ce que l'on peut observer sur la Terre.

 

Plusieurs planètes ressemblaient assez à la Terre, telle qu'elle était dans l'Antiquité. Des civilisations se développaient, découvraient la construction, les métaux, le calcul, l'écriture, la religion, et, malheureusement aussi, les armes et la guerre. En cela la Terre semblait plus la règle que Dumria, mais il y avait aussi des cas où ces civilisations évoluaient sans marques apparentes de conflit, comme ont su le faire certains peuples sur Terre. Un détail remarquable était que, sur chaque planète, les civilisations évoluaient souvent de manière simultanée, même si elles étaient sur des continents éloignés, sans communications. Ce n'est qu'après le stade de l'Antiquité que cette évolution devient assez rapide pour faire des différences d'un continent à l'autre.

Les planètes les plus avancées sont plus rares, justement parce que l'évolution s'accélère. Il en fut trouvé essentiellement deux. La première était Shardza, au stade de la Renaissance. Ceci n'est d'ailleurs qu'une comparaison, car l'évolution assez pacifique de ce monde avait été régulière, sans l'incroyable retour en arrière à la fin de l'Antiquité sur Terre. Il n'y avait donc pas à proprement parler de renaissance, mais un bourgeonnement intellectuel, un épanouissement de nouvelles cultures, de musiques et de philosophies, assez comparables au dix-huitième siècle sur Terre, comme si la Grèce de Periclès avait évoluée directement vers le Siècle des Lumières, sans hiatus, en une continuité d'évolution et d'améliorations. Shardza fut vite la coqueluche des artistes, des philosophes et des acteurs, car elle montrait une grande quantité d'édifices religieux, de théâtres, de statues et d'universités de tous âges. Il y avait aussi un incroyable foisonnement religieux, comme cela se serait passé sur Terre si l'Antiquité avait évolué directement vers la Renaissance sans les ahurissantes réductions intellectuelles qu'avait opérées le fanatisme catholique aux 5eme et 12eme siècles. Les principales villes montraient des laboratoires scientifiques et des musées, où l'on s'intéressait à la biologie, à l'astronomie et à la mécanique appliquée. Certains de ces centres étaient assez grands et très bien équipés, preuve d'un important soutient par les gouvernements. Ils étaient souvent installés sur des campus en compagnie de centres artistiques ou spirituels tout aussi bien entretenus, sans séparation claire entre ces genres que beaucoup de terriens auraient souhaité plus séparés. La musique, la peinture et la sculpture étaient aussi omniprésentes. Les écrits de Shardza étaient juste hors de portée des télescopes quantiques, et de nombreux mécènes et gouvernements financèrent la recherche pour améliorer leur pouvoir de résolution. Shardza était divisée en deux continents principaux, et, grâce aux récents progrès en navigation et en astronomie, ses habitants étaient précisément en train de vivre l'extraordinaire aventure de découvrir mutuellement leurs deux civilisations, aussi raffinées l'une que l'autre, mais très différentes sur l'art et la philosophie. La situation n'était toutefois pas parfaite, il y avait même quelques guerres locales, mais pas entre les deux courants principaux, plutôt à cause d'états plus petits dans des régions excentrées, semble t-il pour des questions d'interprétation fanatique des philosophies de base de leurs continents. Shardza comptait en gros quatre grandes puissances politiques, de nombreux états moyens et de larges zones féodales de petites principautés sans frontières précises. Les quatre grands états étaient laïcs, car chacun regroupait forcément toutes les religions de ce monde. Mais les plus petits états étaient souvent des théocraties, et de nombreuses principautés étaient dirigées par un monastère ou une école religieuse. La tolérance religieuse était une qualité solide chez les habitants de Shardza, et les quelques conflits semblaient justement provoqués par le refus de certains de pratiquer cette tolérance, ce qui les plaçait forcément en marge de leur société.

 

L'autre planète de type terrien était beaucoup plus avancée en sciences, sans doute proche de découvrir les télescopes quantiques, et elle faisait partie des quatre sur lesquelles Dumria avait orienté un émetteur. Toutefois pointer un télescope sur la vaste Ouarkatan revenait à ouvrir une fenêtre sur l'enfer. Ce nom même était un mot dumrien qui pouvait être traduit par «terreur noire», l'état dans lequel ses habitants devaient se trouver habituellement, au point de l'avoir complètement intégré dans leur personnalité. Imaginons la Terre telle qu'elle se serait trouvée aujourd'hui si l'Empire Romain avait continué à se développer, tant en puissance qu'en cruauté, jusqu'au stade scientifique de la Terre du 20eme siècle. L'évolution de Ouarkatan avait effectivement été assez similaire à celle de la Terre, tant en art qu'en philosophie, en religion ou en guerre. C'est à un stade similaire à l'Antiquité Terrienne, que la science était apparue, comme elle avait failli le faire sur Terre au 1er siècle, à la grande époque de Héron d'Alexandrie, de Démocrite ou de la machine d'Anticythère. Toutefois cette science était accompagnée d'une philosophie cynique et matérialiste, et tenue secrète au sein d'une sorte de confrérie sectaire de «prêtres de la matière», soutenue par un pouvoir despotique qui adhérait totalement à cette sombre idéologie. Ce pouvoir avait petit à petit occupé son continent, et, progrès technique aidant, il était en passe d'achever la colonisation de la planète entière, au fur et à mesure que ses bulldozers traçaient des routes dans les derniers espaces libres ou vierges, abattant les derniers arbres géants à la dynamite, dans le plus total mépris de la vie sauvage.

L'évolution normale de Ouarkatan s'était arrêtée à une époque assez comparable à celle de l'Empire Romain sur Terre, un Empire Romain qui venait de découvrir le canon (Sur Terre il n'en était pas loin, avec les feux grégeois) et qui s'en était servi sans scrupules pour asseoir sa domination sur un territoire de plus en plus vaste. Pour cela il lui avait été absolument indispensable de conserver le secret de la poudre, aussi sa fabrication fut-elle confiée à des esclaves, dans des mines de salpêtre souterraines d'où aucun ne ressortait jamais vivant. Seule une confrérie d'ingénieurs pouvaient entrer ou sortir de ces endroits monstrueux, et de là vint ce culte du secret à propos de la connaissance technique. C'est un de ces ingénieurs qui découvrit la méthode scientifique, qui fut le Galilée de ce monde. Comme lui, il comprit que l'on ne peut tenir pour vrai que ce dont on peut observer une preuve dans le monde, et en cela il fut capable de fonder la science exacte. Mais il commit la même erreur que le Galilée terrien: seulement une preuve matérielle! Sur Terre, cette erreur fondamentale conduisit à notre science matérialiste des 19eme et 20eme siècles, très forte en techniques mais totalement incapable d'appréhender la conscience, le sens de la vie ou l'éthique. Cela n'empêcha pas la Terre d'évoluer, car cette science tronquée n'y fut jamais au service d'un pouvoir absolu, et de toute façon cette erreur fut corrigée en 2000, avec l'Epistémologie Générale. Mais sur Ouarkatan, cette science incomplète se développa en une secte de prêtres scientistes tout puissants, au service d'un pouvoir unique dément qui cherchait à tout dominer par n'importe quel moyen.

La société de Ouarkatan était divisée en quatre castes, plus les esclaves et les hors-castes. La caste des maîtres de Ouarkatan, environ trois cent mille descendants de la famille impériale qui avait initié la dictature, menait une incroyable vie de plaisirs égocentriques et de luxe dans des cités closes, dont l'apparence pourrait se comparer à de gigantesques supermarchés sans fenêtres, où les maîtres pouvaient se procurer toutes les denrées possibles et imaginables, jouer des semaines entières à d'horribles jeux vidéo, sélectionner des esclaves, assister à des spectacles de torture ou à des combats à mort, le tout dans des braillements de musiques cacophoniques dans le style des «radio jeunes» terriennes des années 1980. Et ils passaient leur journée et leurs nuits là dedans, y mangeaient, y dormaient, à n'importe quelle heure, sans jamais voir le ciel, complètement coupés des rythmes de la nature, faisant tout ce qui leur passait par la tête. Les jeunes maîtres étaient élevés dans l'idée que tout leur était dû, et de fait pour eux tout était gratuit, et l'appétit des cités impériales était monstrueux. Leur seule réponse à la pollution grandissante était d'installer des filtres aux entrées d'air!

La seconde caste était celle des prêtres scientistes, encore moins nombreux, quelques milliers seulement. Ils partageaient les mêmes cités, mais dans des locaux séparés où ils possédaient leurs laboratoires. Ces gens étaient extrêmement austères et effrayants. Pourtant, même si ils étaient souvent invités aux spectacles pervers de leurs maîtres, ils ne s'adonnaient pas eux-mêmes à ces plaisirs monstrueux. Ils n'étaient pas sadiques, mais totalement indifférents, ce qui est encore pire. Sur Ouarkatan la science était un tabou absolu, et toute divulgation de données scientifiques était rigoureusement interdite en dehors de leur secte ou de leurs usines. Même les maîtres étaient aussi incultes que les esclaves, ce qui donnait aux scientistes un pouvoir profond sur ces esprits infantiles: les maîtres acceptaient comme parole divine toutes les injonctions des scientistes. Les membres de ces deux castes, pratiquant la consanguinité depuis des siècles, étaient d'apparence plutôt laide et maladive, et il n'était pas rare que des femmes aux maris stériles se fassent discrètement féconder par quelque bel esclave, immédiatement exécuté par sa maîtresse d'un instant. Une fois leur progéniture mise bas, tout le travail était confié à des esclaves, qui, paradoxalement, faisaient de la petite enfance de ces gens un moment relativement heureux et constructif.

La troisième caste était celle des militaires, qui, de leurs grandes guerres passées, conservaient encore d'immenses usines et arsenaux, complètement disproportionnés avec les faibles résistances tribales qu'ils avaient encore à affronter. C'étaient eux les maîtres sur le terrain, avec leurs conseillers habiles à «indiquer la situation de manière réaliste» aux maîtres. Souvent ils s'engageaient dans une action sans même s'en référer à eux. Si les officiers supérieurs venaient tous de la caste des maîtres, les officier subalternes et les hommes de troupe étaient eux recrutés dans la caste des citoyens, surtout des fils sans héritage. Entrer à l'armée était l'assurance d'échapper définitivement à la faim et à la clochardisation, et on y trouvait même des esclaves, qui ainsi échappaient à leur condition. Mais le prix à payer pour cela était un incroyable dressage psychologique, violent, avec morts réels, qui en faisait de véritables robots humains, leurs circuits nerveux affectifs complètement brûlés. Une fois passé l'âge de la retraite, les survivants étaient admis dans des «villes du bonheur», curieusement sans dépravation, et même calmes, quoique d'un ennui... de caserne.

La quatrième caste était celle des citoyens, et sur Ouarkatan ce mot signifiait à peu près la même chose que chez les Romains. De loin les plus nombreux des quatre castes, ils étaient agriculteurs, ouvriers, artisans. Certains possédaient de vastes domaines agricoles ou des usines, mais tous possédaient au moins leurs outils et leur métier: il n'y avait pas vraiment l'équivalent du salariat. Même un modeste travail à l'usine était statutairement semblable à ce que l'on appelle une profession libérale sur Terre, et même un simple balayeur n'avait pas de patron, mais un client, comme un avocat chez nous. Bien entendu un système aussi «libéral» fit l'admiration des sectes capitalistes encore puissantes sur Terre. Mais cette liberté illusoire de Ouarkatan ne changeait absolument rien aux terribles conditions de travail ni à la servitude des petits métiers, et la concurrence était toujours immédiatement brandie comme moyen de pression, comme le licenciement et le chômage chez nous. Sur ce monde livré à la concurrence la plus immorale, il n'y avait aucune couverture sociale d'aucune sorte, et si ils n'avaient pas de famille pour les soutenir, les chômeurs, les malades ou les vieux était inéluctablement voués à la clochardisation et à la mort. Dans ce cas on les appelait d'un nom méprisant qui pourrait se traduire aussi bien par «loser» comme aux Etats Unis, ou par «faible» dans le langage des narcissiques pervers. Leurs comptes bancaires vides étaient supprimés, et sans carte de crédit ils étaient considérés comme des hors-caste, à moins que quelque maître ne les accepte comme esclave. Mais certains réussissaient à monter des entreprises prospères et à devenir riche. La vie économique de Ouarkatan, c'était les citoyens. C'étaient aussi eux les seuls à être relativement libres, dans leurs lointains domaines de campagne où personne n'allait voir ce qui se passait, du moment que les impôts étaient payés. Beaucoup étaient aussi nuls que les maîtres, et aussi cruels avec leurs esclaves, mais certains mettaient encore un peu leur liberté à profit. Les Citoyens avaient hérité de traditions sociales assez semblables à celles de la République romaine, et leur caste était même une survivance d'une ancienne tentative pour créer une démocratie encore très partielle. Il en restait une discrète mais tenace rancoeur envers la caste impériale qui les avait spoliés deux mille ans plus tôt, et qui continuait à le faire à chaque occasion. Rancoeur qu'ils partageaient avec les sous-officiers de l'armée, pour d'autres raisons complexes. Les Citoyens était en finale les seuls qui avaient encore un peu l'air humain, ou qui cultivaient encore quelque art de vivre. Ils étaient également les seuls à se soucier de pollution, car, s'ils en étaient souvent les auteurs, ils en étaient aussi les premières victimes.

Enfin l'immense majorité des habitants de Ouarkatan étaient les esclaves, appartenant corps et âmes à leur propriétaire, liés à vie à un champ, à une usine, ou changeant de mains au gré de leur cote sur les marchés. Il y avait même des «spéculateurs en chair», qui achetaient et revendaient des êtres humains, sans même les faire travailler. La condition des esclaves était assez similaire à celle des animaux sur Terre au 20ème siècle: on éliminait les vieux, on mettait les femmes à l'étalon, et il existait même de véritables élevages destinés aux usines ou aux jeux cruels des dirigeants, des reproducteurs sélectionnés pour l'armée, des lignées spéciales pour la vivisection ou pour les prélèvements d'organes, dépecés et torturés avec aussi peu de scrupules que nos scientistes terriens avec leurs «modèles animaux».

Enfin les hors castes, appelés «arriérés» ou «terroristes», libres habitants des dernières terres vierges, étaient eux traités comme les animaux sauvages par les chasseurs terriens, simple chair à tuer, et il arrivait que les maîtres fassent des safaris ou des corridas dans les dernières «réserves» d'humanité libre.

Cette incroyable dictature de Ouarkatan avait eu des opposants, mais leur force s'était amenuisée au fil des siècles, au point de virtuellement disparaître. Des rumeurs faisaient état de puissantes organisations secrètes hostiles aux impériaux, mais au télescope quantique il n'était pas possible de savoir si ces organisations étaient réelles ou seulement des créations de propagande. D'autres accusations étaient aussi portées contre les «soumis», mot novlangue qui désignait les personnes avec une recherche spirituelle ou une religion. De toutes façons toute personne qui aurait seulement parlé de spiritualité ou de psychologie se serait condamnée à une mort immédiate, lynchée par ses voisins avant même d'être emmenée par la police; aussi il n'y avait pas grand-chose à voir à l'aide des télescopes quantiques. Même si des gens arrivaient encore à se transmettre quelque religion ou pratique spirituelle, cela ne pouvait se faire que dans la clandestinité absolue, sans laisser aucun objet matériel ni aucune trace visible de cette activité. Il y avait bien sûr des attentats, attribués aux «terroristes», mais un observateur chanceux avait pu voir le poseur de bombes s'en retourner tranquillement au palais, pendant que la radio braillait contre une organisation que personne n'avait jamais vue. Ces attentats faisaient d'excellents prétextes pour les impériaux, et un jeu très prisé était la «traque aux terroristes», qui avait l'immense avantage de leur donner droit de viol et de torture sur tous les «suspects» de n'importe quelle caste.

L'antiquité de cette planète avait pourtant vu se développer des systèmes philosophiques et une culture artistique, assez comparables à la situation en Grèce, quoique d'un style très différent. Sur d'autres continents étaient aussi apparues des civilisations originales, et de nouvelles religions avaient commencé à prôner une vie basée sur le respect et l'amour d'autrui. L'esclavage avait même été sur le point d'être aboli par un empereur plus éclairé, mais trop vite assassiné... par un esclave qui craignait de «perdre son identité» si il n'avait plus de maître! Quand, quelques dizaines d'années plus tard, le cruel pouvoir scientiste se mit en place, toutes les religions furent persécutées. Mais, contrairement à ce qui s'est passé sur Terre avec les disciples de Christ, ils ne purent se maintenir, ils disparurent, comme ont disparu les Druides, les Cathares ou la douce civilisation crétoise. Pire, les scientistes développèrent une forme de «psychologie» spécialement destinée à contrer ce genre de religions et les sentiments humains compassionnés et altruistes qu'elles produisent, exaltant au contraire la «libération» de l'égocentrisme et du désir de jouissance personnel. Et, pour jouir, il fallait posséder, il fallait s'imposer, il fallait gagner, il ne fallait pas être «un faible». Ils étaient très fiers des résultats obtenus sur la caste des maîtres, grâce à l'«éducation» qu'ils donnaient à leurs adolescents. Leurs connaissances en neurologie et en génétique leur permettaient maintenant d'entreprendre des recherches sur le cerveau, afin de le «purifier» de tous les sentiments «irrationnels», recherches qui, on s'en sera douté, consommaient beaucoup d'esclaves, rendus fous et ensuite revendus à des centrales nucléaires où ils mouraient comme des mouches. Ainsi, au moment où la Terre commença à observer Ouarkatan, les seuls opposants visibles étaient les derniers «sauvages», menacés d'extinction à court terme, à moins qu'ils ne subsistent dans des réserves de chasse, terrorisés, tentant en vain de trouver des cachettes sûres ou d'échapper aux détecteurs infrarouges des chasseurs.

Mais le plus révoltant paradoxe fut que, malgré cet incroyable étalage de cruauté et de perversité, les penseurs terriens mirent longtemps à admettre que le régime politique ouarkien était un régime fachiste. Il fut en effet difficile de comprendre, surtout chez les intellectuels «de gauche», les «libertaires» et les capitalistes, qu'il ne s'agissait pas d'un fachisme autoritaire classique, comme le nazisme terrien de sinistre mémoire, mais au contraire d'un fachisme «libéral», simple extrapolation du capitalisme occidental du 20eme siècle ou de la «liberté» des crado-punks des années 1980-2000. En effet les attaques contre les gens et les atteintes à la liberté n'y étaient pas imposées au nom de l'ordre et du pouvoir, mais au nom de la liberté et de la jouissance égocentrique, voire du «développement personnel». Que cela mène à exactement le même résultat que le nazisme remettait durement en cause beaucoup de mouvements sociaux qui se prétendaient progressistes, mais qui en réalité ne préconisaient que l'égocentrisme et de la jouissance immédiate au détriment des autres. Aussi le statut exact de Ouarkatan fut longtemps objet de débats, certains persistant à y voir une forme de paradis «libertaire» idéal. Même si tout le monde sait très bien que le les deux livres «1984» d'Orwell et «Le Meilleur des Mondes» d'Huxley finissent pareil...

Les véritables intellectuels, artistes, spirituels et gens de coeur, eux, n'eurent bien sûr besoin d'aucune explication pour être immédiatement atterrés par l'horreur ouarkienne, même pas la notion de situations réciproques si chère à l'Epistémologie Générale.

Si l'antiquité ouarkienne avait vu se développer de brillantes civilisations, pas moins de cinq, il n'en restait apparemment que des ruines aujourd'hui. Aucune culture, aucun système philosophique organisé n'avait pu survivre dans ces conditions, et les seules formes de religion restantes étaient un espoir dingue dans un monde meilleur au delà de la mort, auquel on pourrait accéder en pardonnant à ceux qui viendraient tuer, violer ou torturer. Seuls certains citoyens formaient encore un réseau de pensée informel, mais l'idée de seulement critiquer un système aussi puissant leur paraissait si folle et si dangereuse, que pratiquement tout le monde en arrivait à s'auto-censurer au niveau même de la pensée intime. Ainsi ils se contentaient juste de conserver un petit espace... citoyen, où ils s'adonnaient en privé à des «vices» tels que de planter des fleurs ou de se rassembler la nuit pour écouter le son des tubes de bambous quand on souffle dedans (ils n'avaient plus de mot pour dire «flûte», et «musique» désignait l'atroce cacophonie que les radios obligatoires déversaient partout et toute la journée). Mais même ces citoyens relativement libres avaient perdu une donnée de base: pour eux, l'attachement entre homme et femme, l'émotion en regardant un paysage, étaient des «vices», voire des «maladies mentales». Ces «vices» étaient simplement tolérés, par habitude, comme l'ont été le tabac et l'alcool sur Terre.

Un détail curieux était que, malgré ces effroyables excès, les ouarkiens n'étaient absolument pas sexistes. Les femmes et les hommes pouvaient occuper les mêmes places, jusque dans l'armée. Même le viol n'y avait pas valeur de domination machiste, seulement de jouissance égoïste. Les lois n'autorisaient que le viol des esclaves ou des hors-caste, mais par contre les hommes y passaient aussi souvent que les femmes. L'homosexualité était absolument inconnue, probablement biologiquement impossible. Ainsi les bigots terriens ne voyaient pas de «vice» sur Ouarkatan! Les fachistes et puritains terriens ne se lassaient pas d'admirer «l'ordre naturel» et la «loi biologique» qui, d'après eux, faisaient de Ouarkatan une planète hautement logique et organisée…

Et, même si les maîtres étaient à l'origine de la race orangée, les ouarkiens n'étaient pas non plus racistes. Petit à petit les castes, surtout celles des citoyens et des militaires, s'étaient enrichies des trois autres races, grâce aux esclaves affranchis, aux mariages ou aux fécondations forcées, et les pères qui se voyaient naître un enfant d'une autre race n'en faisaient pas un problème, même sachant ce que cela signifiait. Des familles «intercastes» ou multiraciales jetaient même des ponts inattendus et des alliances subtiles. L'apparente simplicité de la dictature planétaire absolue cachait en fait une société complexe et variée, comme sur Terre, avec ses races, ses cultures locales, ses réseaux, ses défauts et ses qualités. Que cette dictature disparaisse, et il émergerait fort probablement une civilisation originale et passionnante, diversifiée et inattendue, en tout cas dotée d'une grande force.

Il y avait en fait plus de cent couleurs de peau différentiées, car les yeux ouarkiens étaient capables de voir quatre couleurs fondamentales, offrant à ces êtres un incroyable monde coloré à jamais inaccessible aux Terriens. Leurs larges iris polychromes aux motifs en flocon de neige, unique à chaque individu, étaient d'une beauté si émouvante que personne n'osait jamais les montrer. C'était le grand tabou de cette société à la sexualité pourtant si débridée, où on trouvait normal d'exhiber les esclaves nus sur le marché ou de les violer en public. Et tout le monde, même les impériaux, se cachait perpétuellement derrière des lunettes noires, donnant à ce monde l'apparence de quelque cauchemar punk. Car les yeux ouarkiens avaient le pouvoir de rendre fou d'amour! Justement le sentiment le plus détesté de toute l'idéologie dominante, le tabou absolu, le mal suprême à leurs yeux, qui poussait les gens à s'entraider et à se respecter! Ce pouvoir des yeux ouarkiens était si puissant que même les vivisecteurs les plus cruels devaient cacher les yeux de leurs victimes pour pouvoir accomplir leurs forfaits.

Les scientistes ouarkiens étaient en train de développer la génétique au point de bientôt pouvoir, comme les Dumriens, être capables de remodeler complètement leur système génétique. Déjà les riches pouvaient se payer des clones plus jeunes, afin de pouvoir y prélever des organes en cas de besoin. Toutefois le projet des scientistes, qu'ils étaient en train de développer à une allure forcenée, était entièrement différent de celui de Dumria: créer des lignées humaines en fonction des besoins de l'industrie et des laboratoires, dotées de versions de cerveau aux programmes clairement définis, afin de supprimer toute liberté au sein même de la pensée. Ainsi des plans déments prévoyaient des petits ouvriers robustes, obéissants et habiles, de grands soldats hyper-agressifs et re-conditionnables en fonction de l'ennemi désigné, des esclaves à la sexualité insatiable et aux organes hypertrophiés, des donneurs à dépecer vif selon les cotes du marché des organes, et des choses pires encore que je passe sous silence. D'autres lignées étaient prévues pour les maîtres, sur les modèles de leurs personnages de jeux vidéo, dotés de sexualités débridées ou si musclés qu'ils en étaient difformes. Mais, même dans le domaine apparemment ultra-libéral du sexe, régnait en fait la censure la plus implacable de tout ce système: Toute émotion était bannie, seules les sensations purement physiques étaient autorisées, et les partenaires devaient être interchangeables sans aucune arrière-pensée, selon la mode ou l'humeur du jour. Mais le plus dément dans le programme génétique des scientistes était qu'il prévoyait, afin d'éviter tout retour en arrière, d'effacer définitivement tous les anciens gènes naturels! Littéralement le génocide ultime... Déjà l'incinération des morts venait d'être rendue obligatoire, et on commençait à déterrer les anciens cimetières pour brûler tous les restes! Il était très clair que si de tels plans étaient réalisés, alors l'humanité ouarkienne perdrait définitivement toute possibilité d'évolution ou de libération.

Devant un tel «cauchemar génétique», les scientifiques terriens se félicitèrent d'avoir été capables d'éviter de telles dérives sur notre propre planète, notamment en condamnant le clonage humain dès 2002. Par contre ils regrettèrent amèrement de n'avoir pas su arrêter le nucléaire au 20eme siècle, car sur Ouarkatan les dégâts étaient effrayants: plusieurs centrales avaient explosé, et les bombes nucléaires avaient été utilisées à plusieurs reprises pour «purifier» des peuplades sauvages à bon compte, ou pour bouleverser des montagnes à des fins hydroélectriques. Et surtout cela continuait, car personne ne connaissait les risques génétiques liés au nucléaire, hormis les scientistes, mais ces derniers se gardaient bien d'en parler, voyant là un bon moyen de rendre «indispensable» leur futur pouvoir sur les gènes.

Les scientistes ouarkiens commençaient aussi à maîtriser la mécanique quantique, et plusieurs laboratoires montraient une expertise suffisante pour entamer le développement du télescope quantique. D'ici quelques décennies ce monde abominable serait capable d'examiner ses voisins, et surtout d'envoyer des messages vers la Terre, vers Dumria, ou vers d'autres peuples de l'espace. Même si, en l'absence de voyages interstellaires réels, il n'y avait pas de risque d'agression militaire de Ouarkatan contre une autre planète, les Dumriens considéraient quand même ce monde comme extrêmement dangereux. En effet leurs messages manipulateurs et leur mauvais exemple pouvaient gravement perturber des esprits encore faibles, ou des civilisations encore instables. Et les Dumriens savaient à quoi s'en tenir, eux qui avaient été à la limite de la guerre mondiale, lors de leurs premiers contacts avec la Terre, par la faute des messages vicieux de la «conspiration anti-suicide» (Voir le livre «Dumria»). Les Dumriens avaient même hésité à révéler l'existence de Ouarkatan aux Terriens, mais ils se dirent que la «conspiration anti-suicide» la connaissait de toutes façons. Il fut effectivement découvert des images de Ouarkatan dans leurs bases de données. L'épouvantable système ouarkien avait même servi d'inspiration à cette conspiration, ce que le transfuge Tégal confirma (note 20). Le danger était donc non seulement bien réel, mais en plus déjà actif. Heureusement, les conspirateurs n'avaient pas pu détourner beaucoup de temps de télescope quantique pour leur propre usage, ce qui les avait empêché de développer leur connaissance de Ouarkatan et de ses incroyables méthodes de conditionnement mental. Mais cet incident renforça les Dumriens dans leur conviction, qu'ils firent partager à la Terre: Ouarkatan était un danger pour les autres civilisations, et il n'était pas possible de rester à la regarder sans rien faire. Mais justement, que faire, à des milliers d'années lumière de distance?

 

Heureusement des mondes aussi noirs que Ouarkatan étaient relativement rares, et c'était même le seul à ce moment dans toute la galaxie. Mais les mondes de style terrien n'étaient pas, on l'a vu, la majorité.

D'autres mondes hébergeaient aussi des êtres d'apparence humaine. «Humain» est ici à prendre au sens large, de bipède intelligent capable de parler et de se servir d'outils; mais on se doute que, malgré la convergence de ces nombreuses évolutions, les formes physiques, les modes de vie et les psychismes étaient assez variés. Il y eux même des discussions de savoir comment classer certaines espèces, entres les humanoïdes, les non-humanoïdes et les «animaux spirituels» que nous verrons un peu plus loin.

Même les espèces proches de l'humain en différaient souvent par des points assez flagrants: fourrure, poche marsupiale, androgynie, incroyables parures sexuelles à côté desquelles nos plus belles femmes semblaient ternes.

Dès le début les exobiologistes terriens furent assez surpris de ne trouver que des peuplades préhistoriques, au mieux antiques, là où les Dumriens leur avaient indiqué des planètes «hautement évoluées». Les exobiologistes dumriens rirent gentiment de cette méprise, et confirmèrent qu'il s'agissait bien de peuples évolués, mais que cette évolution était surtout spirituelle! Il se confirma ainsi que la majorité des planètes arrivent à la spiritualité sans passer par le développement scientifique et technique comme sur Terre! Toutefois les qualités nécessaires à l'un profitant forcément à l'autre, il est très rare que des civilisations dotées de mains arrivent jusqu'à la transition spirituelle sans en être rendues au moins au niveau technique du Moyen Age. Ainsi deux des planètes indiquées par les exobiologistes dumriens en étaient à ce stade, et on pu effectivement y observer de nombreux lieux de réunion ou de retraite solitaires, dans des bâtiments rustiques mais très bien agencés, indiquant un stade assez avancé de préparation à la transition spirituelle. L'observation en continu pendant plus d'un mois d'un groupe de plusieurs grands monastères permit même d'observer, au télescope quantique, deux transitions individuelles! L'aspect en était assez différent de ce qu'il est possible d'observer visuellement sur Terre: le corps du pratiquant devient invisible au télescope, et même parfois opaque, formant alors une tache noire sur l'arrière-plan. Cette transformation se manifeste d'abord par intermittence, le long des canaux ou chakras (note 17). Comme une flamme obscure, elle fluctue, croît, disparaît et réapparaît irrégulièrement. Puis un jour elle embrase soudain le corps entier. Dans le premier cas, l'opacité se résorba quelques minutes plus tard, laissant la cellule de méditation vide, sans corps matériel résiduel; dans le second cas elle resta attachée à ce corps plusieurs jours, au niveau du cerveau et de la colonne vertébrale. On vit les autres pratiquants transporter ce corps dans leur temple, en une grande fête respectueuse. L'opacité ne se résorba que pendant la crémation, et encore elle réapparut par intermittence, comme de la fumée au dessus du four. Plusieurs taches obscures étaient également visibles en permanence sur cette planète, au coeur de... statues! Des statues de divinités au centre de puissants temples… Ces découvertes étranges et très inattendues des télescopes quantiques donnaient ainsi un fort crédit scientifique à toutes les disciplines ésotériques, en «rendant l'éveil spirituel physiquement observable». Malgré cela, les scientifiques durent cesser rapidement toute publicité à ces découvertes: le «feu noir des yogis» produisait chez beaucoup une sensation de panique et d'étrangeté bien éloignée de la véritable nature lumineuse et exaltante de ces phénomènes.

L'évolution des planètes non-humanoïdes est assez similaire à celle des planètes humanoïdes, et il s'en trouvait une au stade scientifique de la Terre au 20eme siècle, un monde complexe aux nombreux pays vers lequel Dumria pointait son troisième émetteur. Une autre également était engagée vers la transition spirituelle, quoique de niveau technique plus modeste. Toutefois leur aspect et même leur sens de l'esthétique différaient nettement de ceux de la Terre, aussi les images ne furent publiées qu'avec précaution.

 

La plus grande surprise ne vint toutefois pas des non-humanoïdes; elle vint des animaux. Certaines espèces, particulièrement bien adaptées à leur environnement, n'avaient pas évolué vers des membres capables de manipuler des outils et de modifier le monde, comme les dauphins chez nous. Dans ces conditions la technicité n'avait pas de sens pour eux, surtout que nourriture et abri leur étaient fournis tout prêts par leur environnement. Cela n'avait pas empêché ces êtres d'évoluer vers des cerveaux complexes, tout autant que le cerveau humain capables de raisonnement et d'introspection, de communication et de langage, de sentiments et de sensibilité. Beaucoup de temps libre et davantage de communication avec leurs semblables les prédisposait même bien mieux à la spiritualité que les humains distraits par leurs innombrables heures de travail. Cette situation est parfaitement illustrée sur Terre par les dauphins et plus généralement les cétacés, qui ont bien entamé leur transition vers l'intelligence et la sensibilité, malgré l'absence totale de membres, et malgré probablement l'absence de notre intelligence Aristotélicienne.

Quand de tels «animaux» deviennent capables de langage et de communication, alors ils développent eux aussi ce que l'on pourrait appeler une civilisation. Toutefois cette civilisation ne se manifeste pas extérieurement par la présence d'objets artificiels, au contraire elle vit dans un monde culturel et sentimental qui n'existe que dans l'esprit de ces êtres: les «animaux spirituels»! Ainsi les logiciels terriens d'analyse des images, qui ne détectaient que des objets façonnés, avaient étiqueté ces planètes «animales», sans seulement soupçonner leur brillante complexité psychique!

Malgré l'étonnement des exobiologistes terriens, leurs confrères dumriens confirmèrent que ces mondes sont de véritables civilisations, ce qui est visible par de nombreuse assemblées très organisées où ces êtres discutent, chantent, s'aiment, méditent, ou, parfois aussi malheureusement, se battent. Il ne fallait pas s'étonner que les logiciels cherchant seulement des formes géométriques ou des véhicules, n'aient pas trouvé ces civilisations!

En 2500 ans d'observation avec leurs télescopes quantiques, les Dumriens n'avaient pu filmer qu'une seule transition spirituelle planétaire, mais ce fut celle d'une planète peuplée d'animaux nageurs magnifiquement profilés, à la peau couverte d'un court pelage dont les motifs de couleur avaient une signification sexuelle très évidente. Les Dumriens, faute de pouvoir apprendre son nom de la bouche de ses habitants, l'avaient appelée Bakouta, du nom d'une danse dumrienne assez vive, que ces êtres semblaient danser quand ils jouaient dans les vagues. Le film de la transition planétaire ne laissait aucun doute: en observation directe, la planète devint soudain lumineuse comme une étoile, puis disparut complètement au bout de seulement quelques secondes. En observation par transparence, des individus en nombre croissant manifestèrent d'abord ces taches opaques, noires, qui signent l'obtention individuelle. Mais, quelques années avant la transition collective, paradoxalement les obtentions individuelles se raréfièrent et disparurent. Au lieu de cela, des taches obscures se développèrent en certains lieux précis, autour des centres de méditation. Ces dernières formèrent des fils qui se ramifiaient sur toute la surface de la planète, et même dans ses profondeurs. Des flammes noires les parcouraient à une vitesse incroyable. Quelques jours avant la transition, une tache obscure apparut au centre de la planète elle-même, grandissant d'abord doucement, irrégulièrement, mais de plus en plus vite. Les heures précédant la transition virent une incroyable activité de taches opaques circulant d'un individu à l'autre, atteignant même ceux qui étaient restés réfractaires au phénomène, et jusque aux animaux et aux arbres. Les habitants cessèrent toute activité, se rassemblant ou se dispersant avec une joyeuse frénésie, tandis que l'observation directe montrait des séismes, des éruptions volcaniques, d'énormes aurores boréales ou d'autres phénomènes météorologiques extraordinaires, qui ne semblaient pas du tout perturber l'immense fête planétaire. Soudain l'opacité gagna la planète entière, pendant que l'observation directe montrait la lumière, et enfin quelques secondes plus tard tout disparut, emporté «ailleurs» par l'extraordinaire phénomène psychophysique. Il se trouve que cette planète avait capturé un petit astéroïde en orbite, comme Mars l'avait fait avec Phobos et Deimos. Sa trajectoire passa immédiatement de circulaire à rectiligne, signant la disparition instantanée et totale du champ de gravité planétaire.

 

Et le quatrième émetteur quantique de Dumria? Il était pointé vers la galaxie d'Andromède, et actif, car des fluctuations de lumière y étaient visibles. Mais les Dumriens refusèrent d'en révéler la destination, en s'excusant: il fallait «attendre un peu». C'était le seul domaine où les Dumriens avaient refusé de donner leurs connaissances aux Terriens. Des sondages de télescopes quantiques terriens sur Andromède n'avaient encore pu trouver que quelques planètes avec des animaux primitifs, mais neuf cent quatre-vingt dix neuf pour mille de notre plus proche galaxie étaient encore totalement inexplorés. Une étude complète était prévue, mais personne ne s'était mis d'accord sur son financement. Certains semblaient même faire traîner les choses, espérant peut-être que les Dumriens leurs révéleraient d'abord les bons endroits à observer. Il est clair que en deux mille ans d'observations quantiques intensives, avec des machines beaucoup plus nombreuses que celles de la Terre, et capables de voir beaucoup plus loin, les Dumriens devaient connaître toutes les planètes habitées jusqu'à l'amas Virgo, soit probablement plusieurs millions. C'était la crainte de certains scientifiques: de trop s'en remettre sur Dumria Pourtant la science de Dumria n'évoluait que dix fois moins vite que celle de la Terre, et les rares domaines où elle était encore en avance se réduisaient chaque année.

 

 

Lokouten

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