Naturellement la nouvelle de la découverte de Dumria fut publiée immédiatement. Steve Jason reçut le prix Nobel pour cela, qu'il partagea avec Djampa Kongchok.
Les techniciens de Shédroup Ling purent rapidement concevoir un dispositif utilisant le protocole de transmission que les Dumriens avaient indiqué avec l'émetteur géostationnaire. La communication s'établit très rapidement à pleine puissance, d'abord dans les principaux langages de la Terre, que les Dumriens avaient déjà appris de leurs observations, puis dans toute la variété des langages de la Terre et de Dumria.
Toute tentative pour entrer progressivement en contact, pour éviter le choc culturel, fut bousculée par le puissant désir de tous de rencontrer cette autre humanité des étoiles. Quelques exobiologistes expliquèrent rapidement aux Dumriens qu'ils avaient conçu une approche progressive, pour leur éviter un choc culturel. Mais ces derniers eurent une réponse inattendue: ils rirent, car ils avaient également prévu d'entrer progressivement en contact avec la Terre, également pour éviter un choc culturel! Les exobiologistes des deux côtés se sentirent un peu gênés, et cet incident fut surnommé le quiproquo du siècle.
Ainsi nous avons pu apprendre rapidement l'histoire de Dumria, et le dilemme qui déchirait ce monde paisible à cause des données vicieuses qu'ils avaient reçues de la «conspiration anti-suicide».
Dumria était une des rares civilisations qui avaient évolué sans aucune religion ni conscience spirituelle. Elle avait néanmoins évolué en une civilisation brillante et heureuse, qui avait couvert toute sa planète de palais magnifiques et de jardins merveilleux. L'art et la beauté, le plaisir et le bonheur étaient la principale affaire dans la vie de tous les Dumriens. Ne recherchant pas de signification de l'existence dans le monde spirituel, ils s'étaient focalisés sur le monde matériel, essayant de le rendre aussi beau qu'ils pouvaient. Tous les Dumriens étaient des artistes, des peintres, des chanteurs, des jardiniers... Tous leurs bâtiments, même les maisons et les usines, étaient d'incroyables cathédrales aux formes arrondies, des Kremlins, des Taj Mahals, des pagodes, peintes de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, ou dans les tonalités pastel. Ils s'ingéniaient à faire de toutes les activités nécessaires une danse, un jeu, et ne parlaient qu'en chantant, et ne marchaient qu'en dansant.
Cette recherche constante du bonheur matériel les avait également menés à développer leur incroyable sexualité, mais dès les tout premiers contacts Dawa Dhondup les avait averti des problèmes que cela pouvait poser aux Terriens, aussi ils restèrent discrets sur ce sujet. Naturellement quelques fuites se produisirent, mais l'apparence sexuelle des Dumriens était vraiment différente de celle des Terriens, aussi les adeptes du porno furent bien déçus. En particulier les femmes Dumriennes n'ont pas de seins! Dawa les avait également averti des risques de virus ou d'effraction dans leurs ordinateurs, et dès le début ils prirent leurs précautions, comme de ne jamais divulguer les langages de programmation et protocoles Dumriens.
Naturellement les Dumriens n'avaient jamais dévié des lois de l'écologie, à aucun moment de leur évolution. Ils avaient des saisons très contrastées, de par l'axe de rotation très incliné de leur planète. Imaginez sur Terre le Cercle Polaire Nord passant par Seattle, Montréal, Paris, Ulan Bataar, et le tropique juste en dessous: Chicago, New York, Barcelone, Beijing, Hokkaido. Imaginez des descentes de froid polaire et de neige sur l'Amazone ou le Congo, avec des vents de 200km/h. Tous les arbres Dumriens ont évolué avec des formes ramassées, tandis que le vent sculptait la plupart des roches avec des formes étranges. Ainsi était le climat de Dumria, qui avait permis à la civilisation d'apparaître seulement autour de l'équateur. La civilisation était apparue en deux endroits (contre 3 sur Terre). Ces gens paisibles avaient évolué pratiquement sans conflits, au contraire ils considéraient les étrangers comme une source de diversité et de bonheur. Dire bonjour à un étranger aurait pu se traduire par «j'admire votre différence». Quand les deux civilisations principales se rencontrèrent, elles fusionnèrent sans que l'une élimine l'autre. Même des courants mineurs furent soigneusement préservés.
N'étant pas ennemis d'eux-mêmes, ils identifièrent clairement leurs ennemis: le froid et le feu, le travail et l'ennui, la maladie et la mort. Ils développèrent une science médicale avancée, et maîtrisèrent la génétique. Ils avaient utilisé des microscopes à effet tunnel pour lire leur ADN (ou une molécule légèrement différente qui jouait ce rôle) et le transcrire en données informatiques. Ainsi ils pouvaient l'éditer et le modifier, à l'aide d'un logiciel éditeur de génome, couplé à une puissante base de données des gènes. De là ils pouvaient le retranscrire à nouveau en ADN, à l'aide encore d'un microscope à effet tunnel automatisé, et injecter cet ADN dans des cellules, pour donner naissance à des êtres artificiels. Ils avaient été jusqu'à complètement réécrire tout leur génome, dans un système rationalisé et ordonné, éliminant toutes les maladies génétiques. Modifier légèrement le code génétique les débarrassa de tous les virus, tandis que le cancer était contrecarré par un système de défense complexe: Toute duplication non autorisée de cellule l'obligeait à afficher des signaux cible, ou à s'engager dans le processus d'auto-destruction. Modifier la composition des membranes cellulaires avec des hydrocarbures fluorés les avait également dotés d'une immunité simple et infaillible contre toutes les bactéries, au seul coût de devoir manger des hydrocarbures fluorés, et de devoir recycler à part le contenu fluoré de leurs toilettes.
Mais ils avaient également réalisée une chose très étrange. Pour comprendre quoi, vous devez penser qu'il existe des séries de gènes qui sont une représentation de la forme de corps. Par exemple le premier système HOX découvert dans le génome humain est une série de gènes adjacents, chacun codant pour un segment du corps humain, de haut en bas. La formation du foetus commence par l'émission d'une hormone à une extrémité d'un tas informe de cellules toutes identiques. Cette hormone diffuse dans le tas entier, ce qui donne des concentrations variées tout du long. Chaque gène de la série HOX réagit à une concentration donnée, de sorte que chacun de ces gènes s'exprime tout le long de la future colonne vertébrale. Les cellules de chaque zone réagissent ainsi en émettant des hormones spéciales, qui déclenchent à leur tour d'autres systèmes de création de formes dans les zones concernées. Par exemple un groupe donné de cellules à 20% de la longueur, et sensible à la concentration correspondante, active un groupe de gènes qui forme des bourgeons de bras, qui à leur tour donneront la forme détaillée d'un bras, et de même pour chaque partie du corps. Ainsi les formes du corps apparaissent à partir d'une carte hormonale, carte qui est d'abord codée dans les gènes. Quand le foetus se développe, il le fait en suivant la carte hormonale. Mais juste après que la carte hormonale ait été utilisée, elle disparaît, et si il y a une erreur quelconque, elle ne peut jamais être corrigée ensuite. C'est une malformation congénitale. Ce fonctionnement explique pourquoi certaines substances provoquent des malformations très précises à des moments également bien précis, en interférant avec un code particulier de la carte hormonale. C'est également la raison pour laquelle le corps peut produire ses formes, mais seulement une fois: quand les formes sont altérées ou supprimées, elles ne peuvent plus être réparées en aucune façon, car la carte hormonale n'est plus là. Un membre coupé ne peut pas repousser, et le corps doit subir le vieillissement et la mort, même si il contient toutes les données qui lui permettraient de s'auto-réparer.
Les Dumriens, qui n'aimaient pas trop travailler, avaient consacré tous leurs efforts à la génétique, et ils avaient partiellement négligé d'autres sciences comme la physique, expliquant pourquoi ces domaines étaient en retard, comparés à la génétique. Ils recherchaient l'immortalité, rien de moins. Et ils réussirent leur projet. Ils furent un jour capables de donner naissance à des enfants dont la carte hormonale de leur corps était toujours présente. Ces nouveaux Dumriens jouissaient de corps parfaits, pratiquement exempts de toute maladies, beaucoup plus résistants aux chocs, aux brûlures et autres conditions externes, auto-anesthésiants, et capables de réparer sans trace des blessures ou des brûlures très graves. La carte hormonale était aussi une protection contre les malformations congénitales. Ces corps étaient également pratiquement immortels, car la carte hormonale était toujours présente: Tout dommage dû à l'usure ou au vieillissement pouvait être réparé indéfiniment. Les Dumriens avaient même soigneusement préservée la variété génétique de leur espèce, et en particulier les gènes de race furent maintenus dans la même proportion qu'avant.
Bientôt cette nouvelle génération se substitua complètement aux anciennes formes, et les Dumriens n'eurent plus à porter que très peu d'enfants, seulement pour remplacer les décès accidentels. Ce qui explique pourquoi ils semblaient tous jeunes, avec très peu d'enfants et aucun vieux. Ils avaient également conçu ces magnifiques corps minces et souples, et des cerveaux intelligents capables de toutes les formes d'art et de sexualité qu'ils voudraient, à tel point qu'il leur fallut prévoir des «commutateurs hormonaux» si ils voulaient pouvoir travailler de temps en temps. Pour cela ils conçurent un fruit génétiquement modifiée qu'ils surnommèrent bientôt «la groseille des bosseurs»... (Il y en avait également d'autres sortes, plus attirantes...)
Ils avaient également réussi à immortaliser leurs cerveaux, avec les mêmes méthodes. Les connexions de neurones s'établissent également avec une carte hormonale, beaucoup plus complexe que celle du corps. Maîtriser cette carte avait permis aux Dumriens d'éliminer toutes les maladies psychiatriques connues, et d'obtenir des esprits adultes très jeune. Mais d'étranges et terrifiantes nouvelles maladies mentales apparurent, auxquelles ils ne purent trouver aucune explication matérielle. La première génération à jouir de ces cerveaux, qui est toujours la majorité aujourd'hui, souffrit également d'un problème pourtant prévisible: Ils étaient excellents dans beaucoup de domaines préprogrammés, par exemple maîtrisant rapidement des instruments de musique difficiles, mais ils ne pouvaient en apprendre de nouveaux que avec difficulté. Un problème par contre complètement imprévu fut également, plus tard, les difficultés pour apprendre la logique non-Aristotélicienne et la méditation.
Ainsi ils furent très heureux... un temps. La mort était encore présente, car des accidents pouvaient toujours se produire, quelque précaution qu'ils puissent prendre. En particulier de très banaux accidents de la route prélevaient constamment leur tribut. Ils avaient seulement repoussé l'échéance fatale dans un futur imprévisible. Et il était inutile d'essayer de la repousser plus loin: elle viendrait de toute façon. Ainsi le Dumriens furent très heureux dans leur monde paisible et merveilleux... mais ce bonheur se teinta d'un fond de mélancolie, ponctué d'atroces tragédies.
Ce fut quelque temps après que les Dumriens découvrirent le télescope quantique. Ils étaient en retard en physique, mais très amateurs d'astronomie et d'exploration spatiale. Il y avait déjà des milliers de grands télescopes optiques fonctionnant sur toute la planète, et elle se couvrit rapidement de télescopes quantiques. (Ils n'aimaient pas trop le travail obligatoire, mais ils étaient toutefois capables de s'investir passionnément dans un but précis, obtenant alors des résultats avec une efficacité déconcertante). Naturellement ils furent eux aussi confrontés aux planètes manquantes: les civilisations évoluées disparaissent sans traces, ainsi que leurs planètes. Et, comme sur Terre, ils découvrirent les capsules temporelles laissées par de telles civilisations, expliquant qu'elles étaient passées par une «transition spirituelle» vers un paradis spirituel, et parlant de l'esprit, de la conscience et des mondes spirituels.
Les Dumriens commencèrent ainsi à comprendre qu'ils n'avaient pas recherché l'immortalité là où elle est vraiment. Mais il leur était difficile de comprendre ces notions d'esprit abstrait. Et de plus en plus de problèmes mentaux apparaissaient: ils perdaient leurs plus anciens souvenirs, et il leur était à tous difficile d'accepter ces nouvelles conceptions de l'esprit. Ils corrigèrent ceci avec une nouvelle carte génétique et hormonale de leur cerveau, capable de comprendre la logique non-Aristotélicienne, et plus souple à l'apprentissage, car elle conservait des stocks supplémentaires de neurones inutilisés. Mais avec le renouvellement très lent de la population, elle ne pourrait pas devenir la majorité avant des milliers d'années, et au moment de leur rencontre avec la conspiration «anti-suicide» de la Terre, seuls une centaine de milliers de jeunes Dumriens pouvaient vraiment maîtriser les nouveaux concepts, contre une majorité d'un milliard de population totale.
Ils découvrirent rapidement la Terre. C'était à l'époque où les Grecs construisaient le Parthénon. Ils ont enregistré une fantastique plongée dans le passé de la Terre, les événements, la vie quotidienne, la splendeur passée de monuments dont seuls restent les ruines aujourd'hui. Ces données nous ont permis de mettre des visages sur tous les grands noms du passé, et aussi sur les gens du commun. Leurs films montrent des choses comme des gens marchant dans des rues de la Rome antique, une cérémonie précolombienne dans un temple Maya, Alexandre le Grand en Inde... Ils ont également enregistré les bibliothèques, et en particulier le contenu complet de la Grande Bibliothèque d'Alexandrie. Ainsi leur apport à la Terre fut réellement inestimable.
Ils furent témoins de l'évolution de l'humanité, essayant de comprendre nos motivations et notre pensée. Ils virent la construction de nos monuments religieux, mais il était difficile d'en comprendre la signification seulement à partir des textes et des statues... et particulièrement difficile de comprendre quand ils voyaient les gens en sortir pour aller faire la guerre. Ils comprirent bientôt qu'ils auraient beaucoup à apprendre de la Terre, mais également qu'ils auraient à être très prudents avec son peuple cruel et irrationnel.
Assistant à l'exceptionnel progrès scientifique de la Terre, ils placèrent l'émetteur quantique en orbite, avec le message, attendant le contact.
Quand ce contact vint, le contenu fut inattendu. C'était principalement un avertissement contre la religion et la spiritualité, alors qu'ils espéraient justement des explications dans ce domaine. En fait Dumria fut découverte sur Terre par des scientifiques opposés à l'intelligence extraterrestre, qui placèrent immédiatement cette découverte sous le boisseau. Le plus incroyable est en fait qu'ils avaient découvert PLUSIEURS DIZAINES de mondes habités, et qu'ils étaient parvenus à les cacher tous, avec pas moins de trois complices à des postes clé du Catalogue Général des Planète, juste dans le bureau de Steve Jason! Les planètes habitées n'étaient tout simplement pas enregistrées! Ceci avait été possible parce que, le flot de données des télescopes quantique était si énorme, que très peu était traité manuellement. Pour détecter la vie intelligente, les scientifiques du Catalogue avaient utilisé des logiciels spéciaux de reconnaissance de formes, détectant des choses telles que des routes droites, des bâtiments creux, des véhicules flottant ou volant. Ces logiciels avaient très bien fonctionné, sauf que les complices avaient réussi à détourner les messages d'avertissement, qui ne furent jamais remarqués, et ils avaient même retiré les planètes du catalogue, de sorte que personne ne contrôla à nouveau! Ces informations inestimables furent simplement perdues pour tous, et fort probablement pour longtemps, car de telles enquêtes générales n'étaient faites qu'une seule fois, et personne ne pouvait remarquer que quelques planètes manquaient sur plusieurs milliards. Le cas de Dumria était plus compliqué, car il se trouva qu'une équipe russe avait enregistré automatiquement des images révélatrices de Dumria, avec un processus à eux, comme les Russes aiment bien faire, afin de les étudier avant de les placer dans le Catalogue. Les conspirateurs avaient dû entrer illégalement dans leur base de données pour y remplacer les images de Dumria par des fausses! Ils avaient dû bidouiller pour cela, en utilisant des parties d'autres cartes. On sait que c'est précisément ce bidouillage qui a permis la découverte de Dumria.
Donc il y avait d'autres planètes habitées dans la galaxie, mais seulement quelques-unes étaient susceptibles d'utiliser des télescopes quantiques à ce moment-là. Les Dumriens avaient dirigé des émetteurs quantique vers celles-là, tandis que toutes les autres en sont à diverses étapes entre la préhistoire et la science moderne. C'était la solution d'un mystère: même si les civilisation passent très peu de temps entre la préhistoire et la transition spirituelle, les probabilités indiquent qu'elles sont si nombreuses que plusieurs devraient tout de même être visibles dans la galaxie à un moment donné. Ainsi l'absence apparente de telles civilisations n'était pas due à un problème de science théorique, mais aux tripotages de la conspiration. Il s'avéra même qu'en fait la plupart des civilisations évoluent directement vers l'état spirituel sans passer par la science et les techniques, et donc n'émettent jamais de signaux radio, ni ne laissent de ruines ou de bibliothèques quand elles subissent la transition spirituelle. Dumria elle-même utilisait peu de techniques radio, et de faible puissance, et elle était très lointaine. Pour ces raison aucun projet SETI ne l'avait jamais trouvée, bien qu'elle fut examinée plusieurs fois depuis 1999.
En gros, quand les «anti-suicide» engagèrent le contact avec les Dumriens, ils leur expliquèrent que la spiritualité est une illusion, et que la «transition spirituelle» était en fait une mort. De leurs échanges avec les Dumriens sont nées certaines des idées bizarres de l'Applied Mind Science. Certaines de leurs théories sur la disparition fatale des planètes avaient d'abord été conçues spécialement pour discuter avec les Dumriens, et seulement ensuite utilisées pour la propagande sur Terre.
Mais la nouvelle génération de Dumriens (ceux avec la dernière version de carte hormonale du cerveau) ne se laissèrent pas duper si facilement. Il y eut même quelques scientifiques pour noter que la théorie complète de la spiritualité et de la transition spirituelle était consistante, si on admettait que la conscience et les espaces spirituels pouvaient exister indépendamment de l'espace matériel, exactement comme le font déjà les espaces mathématiques. Cette théorie pouvait également expliquer les étranges maladies psychiatriques que certains d'entre eux éprouvaient, où leur conscience se déconnectait de leur cerveau, et même certains rêves étranges où ils avaient des perceptions inexplicables d'objets ou de personnes lointaines. Mais les Dumriens plus anciens, la majorité, avaient besoin de dizaines d'années pour comprendre ceci, alors que la conspiration les pressait d'adopter immédiatement ses propres idées. Ainsi un dilemme apparut entre les anciens et les jeunes, entre les porteurs de la première ou de la seconde carte de cerveau.
Naturellement la conspiration anti-suicide de la Terre commença immédiatement à jeter le l'huile sur le feu, et un conflit surgi entre les Dumriens, peut-être pour la première fois dans l'histoire de cette planète. Il l'appelèrent «le dilemme». La conspiration naturellement excitait la majorité non-spirituelle contre les nouveaux penseurs moins nombreux mais plus influents. Les choses allèrent jusqu'à des échanges de coups de poing, une chose épouvantable aux yeux des Dumriens. Voyant cela, tous les Dumriens se sentirent extrêmement désolés, et ils réagirent d'une manière qu'aucun des conspirateurs n'aurait jamais imaginée.
Sur Terre, l'esprit de conflit et l'esprit de clan sont si profondément implantés qu'il semble normal à quiconque d'avoir des amis et des ennemis. Seules des personnes très évoluées ressentent vraiment cette situation comme étant fondamentalement une illusion de notre esprit. Et il est vraiment difficile de comprendre ça, car nous pouvons voir «objectivement» des personnes qui essayent de nous nuire et d'autres qui essayent de nous aider. Ainsi penser que tous ces gens sont fondamentalement comme nous n'est pas du tout un comportement Terrien spontané. Et il est habituel de voir sur Terre des gens désagréables, des bandits, des dictateurs, et de la police et des armées, et vraiment peu de gens se rendent compte à quel point cela est ahurissant et incroyable. Les Dumriens n'avaient pas cet esprit de clan et de conflit. Ils constituaient essentiellement un groupe, et c'est précisément ceci qui leur permettait d'être si heureux ensemble. Ils sentirent le nouveau conflit comme un grand trouble de leur société toute entière, et jamais comme la faute de l'autre opinion. C'était une maladie de société à laquelle ils devaient faire face tous ensemble. Ainsi, quand la conspiration commença à envoyer des plans de mitrailleuses, des listes de personnes à arrêter, des méthodes de manipulation mentale et le reste, ils sentirent clairement que là n'était pas la solution.
Même si ils pensaient plus lentement que les humains, les Dumriens le faisaient méthodiquement, et tous ensemble, de sorte qu'ils pouvaient réfléchir bien plus efficacement que la conspiration n'avait prévu. Les Dumriens comprirent que si ces gens avaient l'esprit de clan, alors peut-être y avait-il d'autres clans sur Terre, et peut-être plus intéressants. Aussi ils prirent une certaine distance avec la conspiration. Ils replacèrent le message général sur l'émetteur géostationnaire, avec l'espoir que d'autres terriens le trouveraient. Ils continuèrent la communication avec la conspiration, mais avec bien plus de précautions, et en leur posant quelques questions fort gênantes: «Y a-t-il d'autres opinions sur Terre? Quelle est l'usage des bâtiments religieux que nous pouvons voir sur Terre? Pourquoi y a-t-il la guerre sur Terre? Pourquoi ne nous donnez-nous pas de contact avec vos gouvernements? Pourquoi ne nous reliez-vous pas à votre réseau internet?» Ils obtinrent des réponses peu claires, et n'apprécièrent pas de voir la conspiration bloquer pour elle seule le point de contact qu'ils indiquaient pour tous les Terriens. Ils observèrent également leur petit jeu de rouler l'écran quand les avions officiels approchaient. Tout cela les conforta dans leur impression, qu'ils exprimèrent avec humour: leurs interlocuteurs n'étaient pas dans le clan des Dumriens. Et ils reprirent leur étude des nouveaux penseurs.
Au moment où l'Université Shédroup Ling découvrit ce qui se tramait, il n'y avait plus que quelques échanges philosophiques amers entre la conspiration et les Dumriens. Mais ces derniers avaient fait exprès de ne pas changer le point de contact, afin que les Terriens découvrent la conspiration tôt ou tard. Juste comme Tcheugyal l'avait prévu, ils avaient un système pour les avertir de ce qui se passait avec l'écran de la conspiration, en particulier si de nouvelles coordonnées étaient indiquées, et d'autant plus si c'était précisément celles d'un grand monastère moderne. Ainsi le Dumriens purent réagir en quelques minutes, et la communication s'établit.
Il en résulta vite que la Terre et Dumria avaient beaucoup à échanger, qu'elles pourraient accomplir d'immenses progrès ensemble, mais ceci est une autre histoire. Pour donner une idée, le canal de transmission internet le plus puissant jamais créé fonctionna entre les deux planètes seulement un an après, permettant à chacun des habitants des deux planètes de regarder n'importe quel site des deux mondes. Un colossal hypernet opérait par dessus un vide de milliers d'années lumière. Il fallut juste que les navigateurs des deux planètes soient remplacés par des versions acceptant les deux systèmes d'URL et de transfert, celui musical Ré-mi-do-do-sol de Dumria, avec le HTTP Terrien, de sorte que personne n'eut à changer ses méthodes habituelles. Toutes les données scientifiques furent échangées, et chacun put télécharger les merveilleux chants flûtés et choeurs cristallins de Dumria, ainsi que d'époustouflantes vues en couleur de leurs palais et de leurs jardins (beaucoup de Terriens eurent plutôt honte d'envoyer des images de leurs maisons en béton et de leurs laides machines). Les sons et les couleurs étaient traités électroniquement afin de compenser les différences entre les deux systèmes sensoriels, et donner le meilleur rendu «subjectif». Tout le monde put voir Vercingétorix combattant les Romains, ou une grande cérémonie au Parthénon d'Athènes. Les Dumriens étaient même parvenus à enregistrer des sons de haute fidélité du passé de la Terre, en observant les vibrations des flammes ou des cheveux, à l'aide de télescopes spéciaux à grande vitesse!
Mais surtout les Dumriens reçurent enfin leurs premiers contacts avec d'authentiques enseignements et techniques spirituelles, et ils ouvrirent leurs premiers centres de méditation, qui connurent immédiatement un grand succès. Plus tard, même des monastères apparurent (dont l'alimentation était probablement basée sur une «groseille de chasteté»...) Comme tous les êtres conscients, les Dumriens recherchaient le bonheur et fuyaient la souffrance et la mort. Ainsi ils se protégeaient de la souffrance et de la mort, et ils avaient été très efficaces en cela, avec leur extraordinaire maîtrise de la génétique. Mais ils fuyaient la souffrance d'une manière maladroite: droit devant, comme des poules sur la route devant une voiture. Et comme les poules, ils se faisaient rattraper un jour ou l'autre. Ainsi ils apprirent la méthode plus subtile pour éviter de souffrir, le yoga d'«accepter» la souffrance: les choses sont comme elles sont, et c'est tout. Juste apprécier la vie quand elle est là, sans broyer du noir à l'idée d'une future mort possible. Et quand la mort était là, accepter aussi cette expérience, et de toute façon obtenir une nouvelle vie dans un nouveau corps ou dans un monde spirituel. Ils comprirent même les étranges maladies mentales dont ils avaient eu à souffrir: simplement la conscience de certain Dumriens se déconnectait de leur cerveau, de temps en temps, pour expérimenter ce qui semblait des rêves, terrifiants et absurdes quand on ne le savait pas, mais qui devinrent des jeux quand ils furent maîtrisés.
Mais la majorité des Dumriens avec l'ancienne version de cerveau eurent de gros problèmes pour apprendre la méditation et la logique non-Aristotélicienne: il leur fallait quarante ans là où un Terrien n'avait besoin que de quatre. A tel point que beaucoup de Dumriens se mirent à vivre dangereusement, faisant de l'escalade, pistant les animaux sauvages, organisant des raids dans les régions polaires, avec l'espoir secret, au cas où ils mourraient, de se réincarner dans des corps avec la nouvelle version de cerveau... voire sur Terre! Au moins sur un point ils progressèrent bien plus rapidement que la plupart des Terriens: ne plus avoir peur de la mort.
Le Dumriens reçurent tous les enseignements spirituels de toutes les religions, et, après les avoir essayés tous, ils choisirent les méthodes les plus pratiques et efficaces, sans s'en tenir à une seule religion. Bon nombre d'entre n'avaient que peu de mauvais karma, aussi ils purent s'engager rapidement dans les pratiques Tantriques. Leur souhait pour un corps parfait et leurs extraordinaires accomplissements dans les domaines de la poésie et la beauté étaient également un avantage sans prix, qui permit à beaucoup de Dumriens motivés d'avancer plus rapidement que les humains, une fois résolu leur problème principal. Mais, si les enseignements théoriques pouvaient passer par l'hypernet, il était en revanche beaucoup plus difficile de coder la chaleur humaine en données électroniques: les indispensables initiations étaient impossibles à transmettre à distance. Mais ce n'était pas un problème: seulement cinq ans après le premier contact, des grands maîtres Tantriques commencèrent à se réincarner sur Dumria!
Mais il restait un autre petit problème à arranger. Les Dumriens étaient vraiment fâché contre la conspiration «anti-suicide», qui les avait dupés pendant sept ans, empêchant tout véritable contact avec la Terre, ce contact qu'ils attendaient depuis plus de deux mille ans. En particulier, certains jeunes nés pendant le conflit n'avaient obtenu que l'ancienne version de carte de cerveau, alors que la nouvelle était disponible, et de ce fait ils se sentaient profondément mutilés. Ils demandèrent un procès, en plus de celui déjà en cours sur Terre. Faire un procès avec les accusés et les juges à des milliers d'années lumière les uns des autres, l'idée était terrible. Mais ils le firent. Naturellement, il était impossible aux Dumriens de réellement punir les conspirateurs, aussi ils demandèrent aux autorités de la Terre de s'engager à appliquer les sentences qu'ils prononceraient. Ce ne fut pas sans discussion, car certains craignaient que ces sentences fussent cruelles ou inhumaines. Mais ces autorités le firent aussi, ravies à l'idée d'arrêter des gens que l'on ne pouvait pas inculper autrement, comme la secte de l'Applied Mind Science. Ainsi plus de 1600 personnes furent reconnues coupables «d'induire un esprit de clan» ou «d'activités anti-bonheur», et condamnés à des années d'entraînement à la poésie ou de retraite spirituelle... qu'ils firent!
Liu Wang ne porta pas plainte contre Tégal pour l'enlèvement, mais il fut de toutes façons inculpé aux Etats-Unis pour plusieurs autres motifs moins graves. Les FAE n'étaient pas encore très connues aux Etats-Unis, et Liu dut témoigner pour Tégal, pour aider les juges à comprendre ce qui lui était arrivé. Ils furent impressionnés et ils ne donnèrent qu'une sentence clémente de trois ans de prison. Tégal fut très coopératif à démanteler le réseau de la conspiration, et il profita de son temps de prison pour écrire plusieurs livres dénonçant ses anciennes idéologies et méthodes de manipulation. Il fut libéré pour bonne conduite au bout de deux ans, et ensuite il partit on ne sait où et devint très discret. Il n'est pas devenu bouddhiste, mais le but des FAE n'est pas d'imposer une religion donnée, c'est de restaurer la véritable liberté de pensée.
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