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Les planètes manquantes        Chapitre 8       

 

 

Chapitre 8

Le 25 Mai 2081.

Une étrange expérience de conscience.

 

 

Tôt le matin, Steve Jason se promenait dans le jardin de fleurs, pas loin de l'allée où avait eu lieu la tentative d'assassinat contre Jean Delcourt. Deux policiers gardaient cet endroit, mais Steve les évita soigneusement, car il n'appréciait pas de voir sa pensée détournée vers des préoccupations aussi horribles.

Ce jardin fleuri était un endroit très agréable, et c'était un vrai plaisir d'être tout simplement là, au seul moment frais de la journée. Il y avait beaucoup de fleurs malgaches inconnues, des arbres bizarres tels que le famaka, des roches, et même un ruisseau avec de petites passerelles. Des singes varikandra à fourrure noire et blanche jouaient dans le feuillage, dont le vert était rehaussé par le rouge des allées de latérite. Il y avait beaucoup de petits coins avec des bancs, propices au travail solitaire ou à la méditation.

Arrivé dans un de ces lieux, Steve resta un moment absorbé dans la contemplation de quelques fleurs. Mais un léger bruit l'avertit que quelqu'un se trouvait derrière lui, dans un recoin ombragé, qu'il n'avait pas remarqué en arrivant. Se retournant, il vit Liu Wang, vêtue d'une ample chemise mauve clair et d'un pantalon de même, avec quelques fleurs brodées, dans une position étrange: elle faisait son Chi-gong, cet agréable yoga chinois qui comporte des mouvements lents et élégants d'une posture à une autre. Liu ne pourrait pas manquer de voir Steve, mais elle ne s'arrêta pas pour autant, et continua sa danse au ralenti.

Elle était très jolie, avec ses cheveux noirs mi-longs et brillants, et les bouts de ses petits seins qui pointaient sous sa chemise. Steve se sentit soudain stupide de la regarder ainsi fixement, mais Liu arrêta et rit amicalement.

«Bonjour! Veux-tu essayer? Demanda t-elle.

- Bonjour! Hé, pourquoi pas... un jour.

- Bon, un jour. Et pour aujourd'hui, une petite ballade?

- Oui, une ballade» répondit-il, quelque peu gauche d'une soudaine timidité.

Curieusement, bien qu'il soit télé-ami avec Liu depuis dix ans, il eut l'impression de seulement la découvrir, et elle était complètement différente de ce qu'il avait imaginé. Il connaissait Liu Wang comme une technicienne, une scientifique, une intellectuelle, et il découvrait une femme, et qui plus est une belle femme au coeur chaleureux. La télé-relation permettait de discuter facilement avec des personnes au loin, mais elle permettait aussi de filtrer facilement la réalité. La vraie relation n'autorise pas un tel filtrage, et il ne pouvait faire autrement que d'accepter Liu faisant du Chi-gong en chemise mauve.

Ils marchèrent un moment, silencieusement. Il y avait des étudiants prenant eux aussi un peu de repos dans le jardin, ou faisant du yoga, ou lisant, ou faisant de la gymnastique, ou traversant simplement le jardin pour rejoindre leur salle de classe. Peu parlaient, et toujours à voix basse, pour ne pas déranger ce lieu paisible. Il y avait également des jardiniers, profitant de la température douce pour quelque gros travail. Steve et Liu se rapprochèrent de la maison des invités, vers leur propre travail, traversant un endroit parsemé de taches d'ombre et de soleil. Soudain un des jardiniers courut vers eux:

«Hé! Vous! C'est vous?»

Surpris, Steve et Liu se tournèrent vers l'homme, qui continuait son interpellation:

«Oh oui c'est vous!

«Hé sûr, man! Un poing de fer comme ça, ça ne s'oublie pas! Vous avez à moitié démoli Droodsy, il est à l'hôpital avec une mâchoire cassée et des dents en vadrouille! Et merde, c'est bien fait pour lui!»

Liu et Steve se rendirent compte que cet homme était le métis, un des membres de la bande qui les avaient attaqués dans la rue deux jours plus tôt.

«Et Kaptan aussi, se faire casser la gueule par une gonzesse, il en est malade, il n'a pas dit un mot depuis deux jours. Qu'est-ce que c'était? du karaté?»

Le premier réflexe de Steve et de Liu fut de se mettre sur leurs gardes, mais ils virent immédiatement qu'il n'y avait aucun danger. L'homme qui leur faisait face était bien le même homme qui les avait attaqués deux jours plus tôt, et qui avait été étrangement étourdi par Sangyé Tcheugyal. Mais c'était maintenant clairement une personne complètement différente (sauf pour le langage!) Son habillement était aussi différent, maintenant un véritable costume africain, coloré, mais simple et modéré. Ses cheveux étaient peignés, dans son propre style, mais peignés. Aucune mauvaise odeur. Mais surtout, le regard haineux s'était changé en un sourire joyeux et des yeux grand ouverts quelque peu malicieux, et Steve comme Liu souhaitèrent sincèrement qu'ils ne se ternissent jamais plus. Si c'était là le travail de Tcheugyal, c'était vraiment du beau travail. Mais comment avait-il fait cela?

Liu éluda la question de la technique de combat qu'elle avait utilisée, bien plus puissant que le karaté, mais dont l'existence même ne devait pas être évoquée devant des non-initiés. Elle répondit simplement, avec un regard vers les autres jardiniers: «Vous avez un travail?

- Oui j'en ai un! Je suis maintenant «exploité» (il insista comiquement sur ce mot). C'est super, je découvre tout, les fleurs, les arbres, et regardez: maintenant on creuse des trous pour planter là des «pachypodium lameri» (il prononçait ces mots latins comme un petit enfant qui fait des choses sérieuses). Hé hé, vous savez, c'est juste du vontaka, pour piquer le cul des touristes. J'ai commencé le travail hier après-midi, et j'ai trouvé ça extra, découvrir les fleurs, le jardin, les arbres! Et le travail! c'est comme un jeu, ou de la muscu! Mais au lieu de faire juste de la gonflette, il y a quelque chose de nouveau qui existe après! Super!

- C'est vraiment bien si vous avez une activité! commenta Liu avec une voix quelque peu maternelle que Steve n'avait jamais entendue. Vous savez qu'il y a un manque d'ouvriers, aussi si vous pouvez faire quelque chose d'utile! Et c'est pour faire de jolies choses.

- Oh moi, je suis pas un machin truc de maté... mathématique, là.

- Chaque travail a son honneur. La science est inutile si elle ne contribue pas à quelque chose de beau. Dans ma maison à Chongking j'ai un grand jardin de fleurs que je cultive moi-même.

- Oh super! J'adore! Moi, j'ai trouvé une piaule en ville, juste à côté du campus, dans le quartier social, avec une douche et tout le bazar. Ca vaut mieux, parce que si Kaptan savait que je travaille, il me tuerait. Je préfère faire du jardin que de glander avec ces connards. Terminé. Dehors. Cassez-vous. Je peut même entrer dans un magasin sans être mis dehors, parce que j'ai mon propre argent! Plus besoin de demander à Kaptan si je peut voler quelque chose! Bon, c'est sûr, les commerçants me tirent des gueules comme ça, mais maintenant je suis honnête, que je leur dis.

«C'est votre copain, le grand type chauve, qui a tout arrangé pour moi, avec les travailleurs sociaux du quartier. Quand ils m'ont vu arriver, d'abord ils avaient très peur! Mais votre ami leur a parlé et maintenant ils m'aident. Il a aussi parlé à la police, et ils ne m'ont pas mis en prison, juste que je ne doit pas quitter la ville. Peut-être que j'aurai seulement un travail d'utilité collective. Et même si je dois aller en prison quelques mois, merde, je suis libre maintenant! Bien plus qu'avec Kaptan!

«Votre copain? Qui c'est? Qu'est-ce qu'il m'a fait?»

Les métis baissa soudain la voix, comme pour confier quelque secret. Il avait cessé de sourire, et avait maintenant l'air profondément ému. Mais Liu ni Steve ne savaient quoi répondre. Aussi Liu demanda t-elle juste au métis ce qui s'était passé. Il hésita un peu, mais fut finalement très heureux de se confier à eux.

«Le type, vous savez, j'allais lui arranger la figure avec le rasoir. Il n'a même pas bougé, juste il me regardait. Je me suis senti comme paralysé, timide comme une nénette, complètement à côté de mes pompes. Et puis c'était beaucoup plus bizarre encore... Je me suis tout à coup retrouvé dans un autre endroit, complètement ailleurs!

- Ha, fit Liu, comme si elle savait parfaitement de quoi il s'agissait.

- Ho, fit Steve, qui ne savait parfaitement pas.

- C'est vrai, je le jure! Peut-être que vous ne me croyez pas, mais c'est la vérité!

«Et je me suis retrouvé dans un autre endroit... pendant trois jours! Et après, je reviens, juste devant votre copain, comme si il n'y avait pas eu trois jours! Avec mon rasoir et tout le bazar! Vous pensez que j'ai été étonné! Et Kaptan et Droodsy par terre!

«Et vous savez ce qui s'est passé pendant les trois jours?»

Liu l'écoutait simplement, comme d'une chose très normale. Mais Steve ne pouvait pas rester sans se creuser la tête et se tripoter les mains. Il avait entendu parler de telles choses, comme les NDE, mais ignorait que cela pouvait être provoqué. Car c'était assurément Tcheugyal qui avait provoqué cette étrange expérience, volontairement, par quelque pouvoir inconnu de son esprit.

«C'est vrai, regardez!»

Ecartant ses cheveux, il montra une petite blessure, juste sur le dessus de sa tête, comme un petit hématome très net.

«Je saignais, juste après, mais personne ne m'avait tapé!

«Vous voyez, c'est vrai!

«D'abord j'étais dans un autre endroit. Je me rappelle très bien, un endroit avec seulement de l'herbe, le soleil et des arbres, et plein de fleurs. Mais ce n'était pas du tout comme avec Kaptan: au lieu de me moquer des fleurs, je les trouvait belles! Et leur parfum! Et le soleil! C'était vraiment incroyable, très fort, très agréable, même j'ai tremblé! J'ai commencé à combattre ça, pour ne pas tomber dans les émotions comme les bourgeois, mais plus je combattais, plus c'était fort, et à la fin j'ai crié comme si j'étais torturé, mais c'était avec le plaisir!

«Ça a duré longtemps, peut-être des heures, et à la fin j'ai accepté l'émotion. Elle s'est arrêtée complètement, et je me suis retrouvé allongé dans l'herbe, juste en goûtant le plaisir de la lumière et des fleurs. C'était toujours très fort, mais seulement quand je voulais. Le plus bizarre c'est que l'herbe n'était pas écrasée, elle était encore intacte comme si je n'avais jamais été là.

«Soudain j'ai vu qu'il y avait un homme juste devant moi.

«J'ai d'abord pensé que c'était votre copain, son visage était pareil. Mais il était différent, avec des cheveux, plus mince, et portants seulement un long pagne blanc, une ceinture en or, et beaucoup de bijoux, colliers, bracelets, et aussi dans ses cheveux, très jolis, avec de l'or et des belles couleurs vives. Il avait l'air très doux, mais avec toujours une poitrine virile. Il était juste là me regardant, et en souriant comme... comme... (il hésita, avec un tremblement dans la voix) ne vous moquez pas: comme une mère. J'ai demandé:

«Qui êtes-vous?

«C'était bizarre, il n'y avait aucun bruit, et ma bouche n'avait pas bougé. Tout était étrange, je me rappelle que je n'avais pas mon tatoo sur le bras. C'était comme dans un rêve, mais très clair, beaucoup plus qu'en réalité. Il a répondu:

«Ce n'est pas très important de savoir qui je suis. Il y a des explications pour tout cela dans cette maison, sur ce chemin». Je n'ai pas entendu sa voix, même ses lèvres ne bougeaient pas, mais je savais ce qu'il voulait dire. Il m'a montré un chemin que je n'avais pas vu avant. Et il a disparu tout à coup sur place, comme un film qui s'arrête. Tout était très étrange là dedans, et très agréable. Il y avait le soleil, et le silence. Le silence lui-même était un grand plaisir, c'est bizarre, n'est-ce-pas?

«J'ai suivi le chemin, et juste derrière un groupe d'arbres il y avait une maison. Une petite maison blanche, avec des arbres autour. Il y avait des taches d'ombre des arbres sur la maison, et l'ombre n'était pas grise, mais bleue. Il y avait aussi beaucoup de fleurs. Certains arbres étaient verts, mais d'autres étaient bleu clair, comme transparents. La maison avait un toit plat, des murs blancs inclinés vers l'intérieur, et une porte au milieu, avec les côtés aussi inclinés vers l'intérieur. Il y avait un fronton au-dessus de la porte, avec un dessin, tout en or brillant.

«Je suis entré dans la maison. Il y avait un homme à l'intérieur, comme si il m'attendait. Il était complètement blanc et lumineux, même qu'il éclairait tout l'intérieur de la maison. Avec cette lumière je n'avais pas d'ombre! Mais ce que je sentais avec l'homme de lumière était très plaisant, très émouvant, et je ne pensait même pas à le combattre! C'était comme... ne vous moquez pas, comme de être aimé. Mais très fort. Pas comme la baise, juste le plaisir, dans mon coeur. C'était si nouveau...

«L'homme de lumière m'a demandé:

«Tu es venu ici volontairement, n'est-ce pas?»

Steve se rendit soudain compte qu'il écoutait cette histoire comme nous écoutons une histoire dont nous sommes persuadés qu'elle est vraie. Lui, le scientifique, le physicien, avait déjà lu de telles histoires de NDE, d'OBE ou d'«abduction» dans des livres, sans les rejeter, mais sans en devenir chaud partisan, une attitude très courante parmi les scientifiques depuis le début de l'Epistémologie Générale en l'an 2000. Mais entendre une histoire de la bouche de son expérienceur direct était complètement différent. Cela prenait une dimension très cohérente et émouvante à laquelle il ne s'attendait pas, et dont le résultat était un très fort sentiment de sincérité et de réalité.

Quelque chose dans le visage de Steve dût indiquer à Liu qu'il était profondément impressionné, car elle lui jeta un bref regard, avec une question dans les yeux. Sans un mot il comprit qu'elle avait comprit qu'il était sur le point de réaliser quelque chose d'important...

Steve connaissait Liu depuis des années, et tous deux se considéraient comme de bons télé-amis. Mais Steve se sentait vraiment comme si il rencontrait Liu pour la première fois... En fait il la connaissait seulement sur un plan professionnel neutre, sans émotion ni beauté, avec des vêtements professionnels neutres sans broderies, des gestes neutres sans danse lente... Ce genre de communication silencieuse qu'ils expérimentaient maintenant est impossible par le biais des ordinateurs. Son parfum subtil ne pouvait pas passer même par les meilleurs codeurs d'odeurs. Maintenant Steve rencontrait une Liu de chair et de chaleur humaine, profondément impliquée dans d'étranges expériences spirituelles...

Enrique (C'était le nom du métis, qui était originaire de Cuba) avait une histoire complexe à raconter, où, le premier jour, il reçut plusieurs grandes initiations aux réalités de la vie, et en tout premier aimer et apprécier la grande beauté de la vie, de la lumière, des fleurs, du corps humain... L'homme blanc qu'il décrivait n'était autre que l'«être de lumière» que beaucoup d'expérienceurs de NDE décrivaient au début, et qui est une symbolisation de notre être le plus élevé, ainsi que des aspects supérieurs de la conscience. Le second jour (mais il n'y a pas vraiment de jours ni de nuits dans le monde symbolique des NDE, il ne s'agit que d'une appréciation du temps) fut plutôt l'ouverture aux autres, avec des visions d'êtres souffrants, et même une vision très instructive d'un ancien copain dans un enfer incroyablement répugnant pour adeptes de la pornographie. Enrique reçut ainsi de profondes empreintes de compassion, même pour ses anciens copains de bande, de sorte qu'il ne commença pas par les détester. Le troisième jour fut moins défini, apparemment des jeux et un repos dans différent endroits. Il y eut également la rencontre de délicieuses jeunes femmes dont la seule raison d'être dans la vie semblait l'amour. Enrique se retrouva tout honteux d'être traité comme un «hétérosexuel bourgeois»! Mais cela n'arrêta pas ces anges féminines...

Enfin l'homme au pagne blanc revint, pour donner à Enrique des instructions très précises à propos de où aller et qui aller voir, après être revenu dans la vie «réelle».

La première réaction d'Enrique, après être revenu, fut de suivre Tcheugyal, mais ce dernier ne le lui permit pas. Quelque peu fâché contre lui, Enrique s'en retourna dans le taudis de sa bande, où il eut des nouvelles de ses copains. Mais la saleté de l'endroit, sa tristesse, sa froideur émotionnelle, sa pauvreté de coeur, son absence de but, lui apparurent alors violemment, en contraste avec ce qu'il venait de vivre. Alors Enrique s'échappa et il passa la nuit à errer dans les environs. Quand il se réveilla le matin, il se retrouva devant un petit temple bouddhiste... qu'il avait visité dans son expérience! C'était vraiment le même endroit, même les arbres avaient la même forme! Enrique eut ainsi sa preuve: toute l'histoire était vraie, ce n'était pas une illusion. Il essaya d'entrer, mais il n'y avait personne.

Alors Enrique s'en était retourné en ville, curieux de voir ces «services sociaux» que le jour d'avant il considérait comme le diable. Il alla au bureau indiqué par Tcheugyal, et ne trouva là que deux jeunes femmes fonctionnaires Malgaches, jolies et timides, qui le regardaient comme si il était sur le point de les attaquer! Naturellement, Tcheugyal est arrivé juste à ce moment, pour arranger les choses avec le service social et la police.

Enrique termina ainsi son histoire et il demanda à Liu:

«Vous me croyez?»

Elle répondit immédiatement, d'une voix très sincère:

«Oui je vous crois. J'ai entendu quelques autres histoires de ce genre en Chine, avec des maîtres Bouddhistes ou Taoïstes. Soudain des gens très mauvais deviennent bons et aimables. Il y a eu un cas célèbre dans un village aux environs de Chongking, il y a deux ans, avec un criminel, qui avait si visiblement changé après, que tout le monde lui a pardonné, même le juge. Et l'homme qui a fait cela, un Yogi mendiant, a disparu immédiatement, sans que personne ne puisse le retrouver. C'est incroyable, mais c'est vrai, et je suis sincèrement heureux que cela vous soit arrivé à vous, Enrique. Vous pouvez maintenant vivre une vie utile et agréable, travailler, être heureux. Peut-être vous marier.»

En entendant une chose aussi étrange que de se marier, Enrique fit juste une bouche grande ouverte et des yeux ronds comme un poisson, puis il éclata brusquement de rire et s'en retourna vers ses compagnons jardiniers (qui l'avaient simplement attendu, sans s'en faire, pour reprendre leur travail). Cette rencontre se termina ainsi avec quelques joyeux au revoir.

 

Steve et Liu reprirent leur promenade, vers leur propre travail (analyser la bibliothèque centaurienne). Steve était stupéfié, fasciné, tout ce que vous pouvez imaginer, et il avait des millions de questions à poser à Liu. Mais il remarqua simplement: «Prendre un sale type pour en faire quelqu'un de bien, si je pouvais n'avoir qu'un seul pouvoir spirituel, je choisirais celui-là!»

 

Liu cessa de marcher et elle regarda Steve, et il comprit que ce qu'il venait de dire était vraiment important pour elle. Naturellement, Liu était bouddhiste (ou Taoïste, ou les deux, comme la plupart des Chinois) et Steve réalisa que lui parler de compassion ou d'aider les autres était un moyen bien plus rapide d'atteindre son coeur et son âme, que de lui parler d'exobiologie, même centaurienne. Steve avait étudié les choses seulement de l'extérieur, d'un point de vue intellectuel, alors que Liu était impliquée bien plus profondément et plus globalement dans son étude, et dans la signification qu'elle donnait à cette étude, qu'il s'agisse d'exobiologie ou simplement d'entretenir des relations positives avec ses proches compagnons de vie. (Certains par plaisanterie avaient nommé ce nouveau et passionnant domaine d'étude scientifique l'«endobiologie»)

«Tu peux faire ça, affirma Liu, en le regardant franchement dans les yeux.

- Je sais... après mille ans de retraite de yoga.

- Le principal est tout d'abord de vouloir vraiment aider les autres, dit-elle tout en reprenant sa marche.

- Je n'aurais pas imaginé qu'il soit possible de les aider d'une manière aussi radicale, avec une telle NDE d'enseignement.

- NDE initiatique, NDE de l'être entier, NDE de réforme de vie, ou épisode de pleine conscience... Ces choses commencent à se manifester publiquement depuis seulement quelques années en Chine et au Tibet. Mais déjà les gens considèrent ça comme un nouveau don spirituel à l'humanité.»

Steve se rendit compte qu'ils parlaient à voix basse, leurs visages proches l'un de l'autre. Il avait découvert Liu sous un jour totalement étrange et inattendu, encore une fois comme si il la rencontrait vraiment pour la première fois. Il était sur le point de demander plus d'informations sur les FAE, Episodes de Pleine Conscience, mais Liu devança sa question:

«Aimerais-tu venir quelques mois à Chongking? J'ai quelques étudiants intéressés par ton approche statistique des bases de données stellaires, et...»

Il s'agissait bien de bases de données. Steve ressentit qu'il s'agissait d'une invitation plutôt personnelle, si personnelle et d'une femme si aimable et profonde qu'il sentit ses joues s'empourprer.

«C'est possible, et... Mon travail actuel peut facilement être déménagé en Chine. Aucun problème.

- Tu pourrais avoir des contacts avec Tcheugyal et d'autres maîtres. Je me prépare à déménager au Tibet. Même avant, nous pourrons faire facilement quelques voyages vers l'Amnyé Machen, ce n'est pas très loin». Le nom de ces montagnes lointaines retentissait comme celui d'un endroit magique, où toutes sortes de choses incroyables seraient possibles. Ce n'était pourtant pas l'endroit le plus étrange du Tibet.

«Comment avoir de vrais contacts avec de tels gens?

- Il n'y a qu'un seul moyen: demander des enseignements, demander à pratiquer, demander à aider les autres! Tu sais, comparé au 20ème siècle barbare, notre monde est meilleur, mais il est encore très loin d'être parfait! Tcheugyal a beaucoup de travail avec ses étudiants.

- D'accord, Liu, je viendrai.

- Ho, merci Steve!»

Ils ne pensèrent même pas qu'ils devraient demander des passeports et d'autres choses de ce genre, car les tensions entre la Chine et les Etats-Unis n'étaient plus que des souvenirs. Sauf que maintenant le gouvernement des Etats-Unis commençait à s'inquiéter de cette nouvelle fuite des cerveaux, à l'envers: de plus en plus de bons scientifiques fuyaient leur patrie pour les petits pays les plus inattendus qu'ils pouvaient trouver... Mais ils ne pouvaient rien faire d'autre que d'accepter le fait: la science appartient à l'humanité toute entière.

 

Le déjeuner de midi fut un peu languissant, car il n'y avait aucune nouvelles de Tcheugyal, et on ne savait toujours pas quand il ferait son annonce, si il devait vraiment la faire un jour. Les invités commençaient à s'inquiéter, car le lendemain ils devaient partir. La conférence finirait-elle ainsi en queue de poisson?

 

Steve passa la majeure partie de la journée dans son livre électronique, pour ne trouver naturellement aucun nouvel élément indiquant quelque découverte inattendue qui aurait précipité la fin de Centaurus. Cette recherche avait été demandée par les directeurs de la conférence, mais pour Steve cette question était réglée, puisque le processus de «disparition», quel qu'il soit, non seulement avait été clairement prévu par les Centauriens, mais en plus ils avaient travaillé pour le préparer positivement pendant des siècles et des générations, qu'ils l'avaient espéré et acclamé. Les dernières décades arrivant trouvèrent les Centauriens se consacrer seulement à cela, et abandonnant les projets de colonisation de l'espace, gardant en activité seulement quelques usines sur leur lune. Les dernières années ils rapatrièrent définitivement tout le personnel de l'espace.

 

Liu et d'autres membres de l'équipe eurent à faire des recherches similaires dans d'autres domaines, mais la soirée les trouva convergeant tous vers les mêmes conclusions. Aucune trace de troubles sociaux, au contraire toute mention de tels problèmes disparaissait quand le processus se déployait, comme dans une société parfaite. Aucune trace d'intervention d'extra-Centauriens, de phénomènes astronomiques inattendus ni rien de ce genre.

Il y eut une petite réunion juste avant le dîner, pour les membres de l'équipe. Avec toujours pas de Tcheugyal. Mais John Dexter affirma qu'il était toujours en contact, annonçant son intervention «pour le lendemain ou jamais».

A la fin tout le monde était fatigué et quelque peu découragé, et cette journée finit ainsi, sans rien de nouveau.

 

 

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