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Les plančtes manquantes        Chapitre 2       

 

 

Chapitre 2

Le 22 mai 2081, l'après-midi.

Deuxième conférence: Amédée Owamba, exobiologiste, Union Africaine.

La découverte de la vie sur d'autres planètes.

 

Le congrès était encore plus animé que le matin. Amédée, vêtu d'un costume africain coloré, semblait quelque peu intimidé pour commencer sa conférence, mais tout le monde savait qu'il était parmi les meilleurs spécialistes des nouvelles découvertes sur la vie. Ainsi chacun commença à l'encourager gentiment, ce qui ne fit qu'ajouter à sa confusion.

«Bonjour, bonjour, chers contributeurs, chers représentants, bonjour.

- Bouffe pas le micro!» cria quelqu'un avec un fort accent africain.

Cette plaisanterie dissipa toute timidité et fit rire tout le monde, Amédée le premier. Cessant de s'agripper à son ordinateur de poche, il commença:

«Hem hem, comme vous le savez tous, le télescope quantique a permis des découvertes merveilleuses, que je dois vous rappeler maintenant.

«Le télescope quantique a permis de découvrir beaucoup de planètes, et même beaucoup plus que nous n'avions jamais espéré en découvrir. On a examiné des millions de systèmes solaires, et ce n'est qu'une infime partie de ce qui est à notre portée aujourd'hui.

«Nous avons trouvé toutes sortes de systèmes solaires. Beaucoup d'entre eux ressemblaient au nôtre, certains étaient très différents.

«Vous savez qu'il existe divers types d'étoiles, selon l'époque où elles se sont formées. Il y a les étoiles anciennes, formées au début de notre galaxie, quand il y avait peu ou pas d'autres étoiles pour créer les éléments métalliques et pierreux. Ainsi ces étoiles démunies en éléments métalliques et pierreux n'ont pas pu former de grosses planètes rocheuses, elles n'ont que des petites planètes, qui peuvent à peine retenir l'eau et l'air. Elles n'ont même souvent que des ceintures d'astéroïdes. Pire, ces étoiles sont vieilles, et les vieilles étoiles sont des étoiles naines, dont la lumière rouge ne permet pas aisément la photosynthèse. Mais nous avons trouvé quelques planètes avec de la vie autour de telles étoiles, et ces planètes sont très intéressantes, car nous pouvons voir là le résultat d'une très longue évolution.

«Il y a des étoiles d'âge moyen, telle que notre Soleil, avec davantage d'éléments pierreux ou métalliques. Elles présentent souvent des systèmes planétaires comme le nôtre, et elles fournissent la plus grande partie des planètes habitées. Mais il peut se produire qu'une planète géante, telle que Jupiter, se soit formée à la bonne distance pour abriter la vie. Dans un tel cas, la vie ne peut pas y apparaître, mais nous avons trouvé quelques exemples de telles super-planètes avec des lunes où la vie est apparue.

«Il y a également des étoiles plus récentes, disons moins d'un milliard d'années, qui se sont formées à partir d'une matière interstellaire beaucoup plus riche en éléments pierreux ou métalliques. De telles étoiles ont souvent un ou deux planètes colossales, qui ont interdit l'apparition de planètes rocheuses moyennes comme la Terre. Ce sont de telles planètes qui ont été découvertes d'abord dans les années 1990. La vie a peu de chances d'apparaître dans de tels systèmes, mais nous avons trouvés des cas bizarres.

«Nous nous sommes rapidement rendus compte que la vie est un phénomène très commun, qui apparaît dès que des conditions favorables sont réunies, généralement quelques dizaines de millions d'années après la naissance d'une étoile. Peut être une étoile sur cinq éclaire t-elle une planète avec au moins des bactéries, et une sur 50 des animaux évolués et des plantes. Nous avons aussi trouvé quelques planètes où le processus avait commencé mais s'était arrêté pour différentes raisons: énorme impact de météorite, changement d'orbite de la planète (cela arrive parfois) ou simplement le refroidissement de la planète, quand la chaleur du soleil n'est pas assez forte pour maintenir la bonne température. La perte de l'atmosphère est également une cause très commune, comme cela s'est produit sur Mars.

«Mais nous avons aussi trouvé quelques cas étranges de vie abritée dans des endroits très inattendus, comme sur Europe, la lune de Jupiter, où la vie prend comme source d'énergie des émanations volcaniques dans les profondeurs obscures de l'océan d'Europe. Mais il semble que seulement la lumière solaire avec des longueurs d'onde assez énergétiques peut mener à une vie évoluée, avec des plantes et des animaux capables de mouvement.

«Nous avons trouvé des planètes avec seulement des bactéries ou des formes de vie très petites, quelques planètes couvertes de forêts où vivaient des animaux, et même quelques cas intermédiaires de planètes désertes, mais avec une vie florissante dans leurs océans. Cette vie n'avait simplement pas encore colonisé la terre ferme.

«Nous avons essayé de reconstituer l'évolution de la vie sur quelques planètes. Il semble que quand des conditions propices sont rassemblées, la vie peut évoluer de bactéries primitives à des organismes complexes comme sur Terre, mais c'est un processus plutôt long, avec différentes étapes exigeant parfois des milliards d'années. Il semble que avancer d'une étape dans l'évolution est un processus statistique, avec certaines étapes franchies très rapidement, et d'autres étapes qui peuvent demander des milliards d'années. Sur Terre, l'apparition des bactéries a été rapide, et nous avons trouvé quelques planètes très jeunes (100, voire seulement 10 millions d'années) avec des bactéries. L'apparition d'organismes multicellulaires est beaucoup plus longue, il a fallu plus de trois milliards d'années sur Terre, et nous avons trouvé quelques étoiles beaucoup plus anciennes où cette étape n'était pas franchie en dépit de conditions très favorables.

«La première étape semble être l'apparition de vésicules, très petites gouttelettes d'eau entourées d'une membrane huileuse, qui leur permet de retenir des substances organiques variées. Cette membrane huileuse est l'ancêtre de nos membranes cellulaires actuelles. Ceci n'est pas la vie, mais nous l'avons trouvé même dans quelques astéroïdes, et ce sont de telles structures qui ont été observées dans la météorite d'Orgueil. L'étape suivante est l'apparition de réactions chimiques catalytiques dans ces vésicules. Les substances catalytiques favorisent la formation de la membrane et d'autres organes, et il peut apparaître des situations où ces substances catalytiques s'aident mutuellement à se former. De tels systèmes auto-formateurs parviennent alors à maintenir leur structure de manière bien plus efficace. C'est à moitié la vie, car la reproduction de telles entités peut savoir lieu quand les gouttelettes deviennent trop grosses, et se brisent mécaniquement en plusieurs, devenant ainsi capables de coloniser de grandes étendues. Il y a déjà quelques enzymes capables de transformer les matières premières brutes en matériaux structuraux. Les vésicules exemptes des bonnes substances disparaissent, alors que les vésicules bien équipées peuvent survivre et même proliférer, dans un processus de sélection déjà Darwinien. Ce genre de demi-vie semble très commun, et nous avons pu en obtenir des vues très rapprochées, avec des télescopes super-grossissants, en regardant vers des planètes proches.

«Mais aller plus loin dans l'évolution exige plus de temps, et des conditions plus précises et plus stables. Souvent l'expérience de vie s'arrête, parce que de telles conditions disparaissent. Ou le processus n'évolue pas davantage, car les conditions sont trop extrêmes. Sur Terre il semble que cette étape a exigé la moitié d'un milliard d'années, et nous avons trouvé des durées s'étendant de 100 millions d'années à 2 milliards.

«L'étape suivante est l'apparition de structures codant des données sur la constitution chimique de la cellule. A cette étape, nous pouvons parler de cellules, au lieu de vésicules, et c'est vraiment la vie. A propos de systèmes codant des données, nous pensons immédiatement à notre ADN. Il est difficile de faire des comparaisons ici, car nous ne pouvons pas observer ce que peuvent être de telles structures, qui peuvent être très semblables à notre ADN, mais qui peuvent également être très différentes. Nous avons trouvé au moins un cas étrange, où des bactéries devaient se réunir à plusieurs pour se reproduire. Mais nous avons trouvé ceci seulement à l'étape des bactéries. Il est probable que l'évolution converge vers des systèmes où tous les gènes nécessaires sont présents dans chaque organisme individuel, mais nous ne pouvons pas faire de biochimie avec un télescope quantique et il n'y a aucune preuve que ces systèmes génétiques ressemblent à notre ADN.

«L'étape suivante est la plus longue, et sur Terre cela a pris plus de trois milliards d'années. Nous n'avons jamais trouvé de planète plus jeune que deux milliards d'années engagée dans cette étape, et nous en avons trouvé beaucoup où apparemment toutes les conditions pour cela étaient présentes depuis plus de cinq milliards d'années, mais où cette étape n'est pas encore engagée.

«Cette plus longue étape est l'apparition d'organismes composés de plusieurs cellules: des organismes pluricellulaires. C'est pour la vie un incroyable défi. Pensez que l'ADN (ou quoi que ce soit qui joue son rôle) d'une bactérie individuelle contient seulement les données pour cette cellule. Pour un organisme pluricellulaire, il doit également contenir les données pour tous les types de cellules, et également pour la structure globale de l'organisme, ses systèmes de communication, l'organisation de la croissance dans le temps et dans l'espace, les stratégies d'alimentation, de reproduction... et beaucoup d'autres choses qui ne sont absolument pas présentes dans le génome d'une simple bactérie. Ainsi le génome du plus petit organisme multicellulaire est-il bien plus grand que celui d'une bactérie.

«L'apparition d'organismes multicellulaires nécessite en fait plusieurs sous-étapes. D'abord peuvent apparaître des moyens, par exemple, pour les cellules de se coller ensemble. Ceci est courant chez nos levures et champignons primitifs, qui vont même plus loin: ces cellules sont capables d'échanger des messages chimiques déclenchant des réponses automatiques, qui rendent possible un comportement collectif organisé. La seconde sous-étape est franchie quand apparaissent des cellules spécialisées, des cellules de différentes sortes. Une cellule individuelle peut choisir de quelle sorte elle sera, selon des messages chimiques, et conduire à des structures spécialisées et des formes organiques. C'est le cas des champignons évolués, et qui explique pourquoi ils peuvent pousser si vite. Bien entendu pour cela il faut plusieurs jeux de gènes, un pour chaque type de cellule, qui doivent être activés séparément pour donner chaque type de cellule. Cette activation d'un jeu de gènes peut se faire de manière réversible, ou irréversible. Le second système est moins flexible, mais lui seulement offre suffisamment de stabilité pour que la troisième étape puisse se mettre en place. De véritables organismes multicellulaires avec une structure corporelle ne peuvent exister que quand il apparaît une représentation de cette structure corporelle dans la structure des gènes. Sur Terre c'est le système des gènes HOX, qui est universel, et qui est probablement apparu il y a 600 millions d'années, dans les profondeurs de l'océan terrestre. Le premier système HOX, découvert dans les années 1990, est une chaîne de gènes, chacun codant pour un segment du corps, dans le sens de la longueur.

«Il est même probable que la structure de l'information de l'ADN permette plus ou moins de flexibilité. Une structure de données rigide pour le génome peut être un obstacle dans le futur, voire mener à un cul-de-sac évolutif. Une structure de données plus flexible permet plus de changements. C'est la raison profonde pour laquelle les mammifères ont supplanté les dinosaures: la représentation des données codant leur cerveau dans leur génome était plus susceptible d'évolution que celle des dinosaures. Ainsi on comprend que chaque progrès de la vie est irréversible, car c'est un choix qui interdit tous les autres choix. Retourner en arrière est impossible, et un mauvais choix menant à une impasse ne peut être corrigé, sauf si une cause extérieure fait disparaître les organismes mal orientés, et favorise d'autres opportunités. Ceci est arrivé sur Terre avec les dinosaures, et semble aussi s'être produit sur d'autres planètes, pour autant que l'on puisse reconstituer leur évolution.

«Beaucoup d'autres étapes sont également nécessaires pour mener à des animaux évolués: organes complexes, sang, système nerveux, muscles, etc... Mais elles peuvent être accomplies en beaucoup moins de temps. Elles sont même obligatoires, une fois réalisée l'étape principale de l'organisation pluricellulaire. Sur Terre passer des organismes pluricellulaires les plus primitifs vers les mammifères les plus évolués a demandé seulement un demi milliard d'années, et des durées similaires ont été trouvées sur les autres planètes.

«Quelques autres étapes sont également nécessaires pour l'apparition d'une vie évoluée. Une étape importante est la photosynthèse, la capacité d'utiliser l'énergie solaire, beaucoup plus abondante et efficace que les émanations sulfureuses des volcans. Seule cette étape permet à la vie de coloniser toute la surface disponible, au lieu de rester confinée seulement dans quelques petites oasis autour des sources volcaniques. Cette étape est également une étape importante pour des animaux, car ils peuvent alors utiliser l'oxygène, la seule source d'énergie qui rende possible des muscles efficaces, le mouvement et le système nerveux.

«Cette étape de la photosynthèse n'entre pas dans le schéma d'évolution évoqué ci-dessus, et elle peut être franchie avant (comme sur Terre) ou après l'étape des organismes multicellulaires. Mais elle est cependant nécessaire pour obtenir des animaux évolués avec un cerveau.

«Comme vous le savez tous, nous n'avons jamais découvert de forme de vie vraiment intelligente, comparable à l'humanité. Les plus évolués que nous ayons trouvé sont des animaux ayant des sortes de mains ou des capacités de raisonnement, comme sur Terre avec les singes, il y a quelques millions d'années. Une telle vie est susceptible d'évoluer vers l'intelligence comme le fit l'humanité, en seulement quelques millions d'années.

«Au début nous avons pensé que nous étions simplement malchanceux dans notre recherche. Mais comme les données s'accumulaient, nous avons dû admettre le fait: l'humanité est fort probablement seule dans toute cette partie de la galaxie, et peut-être dans toute la galaxie. En tout cas les chances de trouver nos semblables dans cette galaxie deviennent de plus en plus faibles, et nos premiers échantillons dans les galaxies voisines ne sont pas encourageants. Un tel état de fait explique naturellement l'échec complet de la recherche d'émissions radio par des extraterrestres, comme le projet SETI historique. Mais pouvoir affirmer définitivement qu'il n'y a aucune autre civilisation dans notre galaxie demandera encore des années de vérification laborieuse de toutes les planètes.

«Naturellement, ce fut une déception. Et même une grosse, pour certains d'entre nous. Certains furent démobilisés, et il en résultat moins d'argent pour l'exobiologie. Cela semblait conforter toutes les théories pessimistes sur l'évolution de la vie et de l'intelligence, qui affirment que la vie intelligente est un cas très rare, ou qu'elle ne peut que s'auto-détruire une fois apparue. Nous, sur Terre, avons nous-mêmes échappé d'un cheveu à la destruction par l'effet de serre, les décharge des chlatrates océaniques, l'industrie nucléaire, la dispersion de gènes artificiels, les POPs, le déboisement, et nous avons à supporter aujourd'hui beaucoup de dangers et de destructions irréversibles du 20ème siècle barbare. Il y a même eu, à la suite de notre découverte, un genre de crise morale mondiale, avec un retour des idéologies fachistes: racisme, crado-punk, égocentrisme antisocial, puritanisme/pornographie, et la suite.

«Nous avons tout de même continué nos recherches.

«Un facteur important, qui n'apparaît pas dans la formule de Drake, est que l'apparition d'une civilisation stable sur une longue durée demande du temps. Il y a beaucoup de temps dans le cosmos, mais il y a aussi beaucoup de causes pour stopper une expérience de vie sur une planète.

Tout d'abord, certaines étoiles ont une durée de vie très courte. Si nous avions Sirius comme étoile, nous la verrions actuellement commencer à mourir et à grossir, et la Terre serait en train de devenir un enfer brûlant. Les étoiles plus brillantes ont une vie encore plus courte, et on ne peut s'attendre à n'y trouver que des bactéries. Les demi-naines comme notre Soleil, ou des étoile plus petites encore, ont des durées de vie de dix à soixante milliards d'années ou plus. Là seulement on peut s'attendre à trouver de la vie évoluée. Mais les petites étoiles ont une lumière rougeâtre qui rend la photosynthèse plus difficile. Sans oxygène, la vie y reste bloquée au stade des bactéries, au mieux d'organismes multicellulaires primitifs. Seulement les étoiles demi-naines permettent vraiment la vie évoluée et la civilisation, et elles ne sont que 10 à 15 pour cent de la population totale des étoiles.

«Certains systèmes solaires peuvent être instables, de par la présence d'une étoile compagnon rapprochée, ou de grosses planètes. Il peut alors arriver que l'orbite d'une planète soit progressivement déplacée, voire que la planète soit soudainement éjectée de son orbite. Dans ce cas, la vie disparaît. Plus rarement, au contraire, des conditions favorables apparaissent, et on a trouvé quelques cas de ce genre.

«La planète elle-même peut jouer des tours. Trop petite, et elle perd son atmosphère, comme sur Mars. Trop près du soleil, et l'effet de serre s'emballe, comme sur Vénus. Trop grosse, et l'atmosphère est trop épaisse, interdisant l'auto-régulation de l'effet de serre qui a lieu sur Terre. Les grands volcans peuvent aussi faire des leurs, en changeant le climat ou en détruisant un unique lieu propice à la vie.

«Les glaciations peuvent aussi être une cause de disparition de la vie. A la base, les glaciations sont dues aux instabilités de l'orbite de la planète, elles-mêmes causées par les grosses planètes comme Jupiter, et atténuées par la présence de gros satellites comme la Lune. Dans certains systèmes, ces instabilités sont trop fortes, en particulier chez les étoiles doubles rapprochées, qui hébergent rarement la vie. Les planètes avec une grosse Lune sont aussi nettement avantagées, et elles hébergent plus souvent la vie. Mais les glaciations sont souvent augmentées ou atténuées par les conditions géographiques sur la planète elle-même. Sur Terre les âges glaciaires récents ont produit des changements dans les courants de l'Atlantique Nord, et dans l'écoulement des fleuves de l'Amérique du Nord, qui ont multiplié par deux ou trois les effets des instabilités de l'orbite terrestre. Notre civilisation actuelle pourrait s'accommoder d'un âge glaciaire, mais pas d'un volcan géant qui provoquerait un hiver de dix ans. L'humanité ne pourrait même pas survivre aux incroyables changements climatiques qui ont eu lieu il y a 600 millions d'années, quand les continents étaient rassemblés le long de l'équateur, laissant la place libre pour deux immenses océans polaires. Cette situation a permis à la Terre de geler entièrement à -50°C en quelques années, seulement pour, quelques milliers d'années plus tard, dégeler soudainement à +50°C. Heureusement, la vie à cette époque n'existait que au fond des océans, et elle survécut. Si une telle chose arrivait aujourd'hui, seuls les vers y résisteraient.

«Les rencontres spatiales sont aussi une cause très courante de disparition de la vie. nous pensons immédiatement à la météorite qui a détruit les dinosaures il y a 64 millions d'années, ou à la mortelle chaîne de météorites qui, voilà 250 millions d'années, bombarda la Terre d'une dizaine de cratères de 200km en quelques minutes, détruisant la plupart des formes de vie à cette époque. L'évolution de la vie sur Terre est ponctuée de telles catastrophes, qui chaque fois ont juste manqué d'éliminer la vie. Il est très probable que sur beaucoup d'autres planètes ce ne fut pas manqué.

«Les étoiles voisines peuvent être aussi très dangereuses. Une supernova explosant au voisinage de la Terre pourrait la stériliser avec la chaleur et les radiations nucléaires. Une rencontre rapprochée avec une autre étoile pourrait éjecter la Terre de son orbite. Ainsi certains endroits dans une galaxie sont très hostiles à la vie. Au centre d'un amas globulaire dense, la plupart des planètes sont éjectées et se promènent librement dans l'espace obscur. La vie ne peut exister ici que au stade des bactéries habitant des sources volcaniques. Au centre d'une galaxie, il y a quantité de supernovae, de radiations nucléaires, de jets de particules relativistes, des rencontres d'étoiles et même des collisions d'étoiles, sans parler des trous noirs géants en orbite instable, qui détruisent tout sur leur passage, dans leur danse sauvage autour du centre de la galaxie. Loin de cet enfer, les faubourgs galactiques, avec leurs immenses populations de vieilles étoiles dispersées, sont des lieux bien plus tranquilles, et de fait c'est là que nous avons trouvé le plus de planètes habitées et évoluées.

«L'effet des catastrophes stellaires ou planétaires doit être pris en compte dans l'estimation du nombre d'étoiles avec une vie évoluée, et on trouve clairement une diminution du nombre d'étoiles quand le niveau d'évolution augmente, expliquant qu'il y a beaucoup plus d'étoiles avec des bactéries qu'avec des animaux. Mais cette diminution dépend du lieu dans la galaxie, et elle permet tout de même l'apparition de beaucoup de civilisations dans les endroits les plus propices, et même dans notre voisinage.

«Ainsi, malgré tous ces pièges et obstacles, on devrait trouver dans notre galaxie des milliers, voire des millions de planètes ayant atteint le stade de la civilisation. Mais il nous faut maintenant compter avec la capacité de ces civilisations de durer dans le temps. Si elles durent longtemps, on devrait en trouver des dizaines de millions. Si elles ne durent que quelques milliers d'années, comme nous, alors elles ne peuvent être qu'une poignée à un moment donné. Mais la capacité d'une civilisation à durer dans le temps est une affaire de psychologie et de philosophie. Beaucoup de penseurs pessimistes ont péremptoirement affirmé que toute civilisation comme la nôtre ne peut que s'auto-détruire, par l'égocentrisme, la violence, le manque de conscience de l'environnement, et que donc on ne peut en trouver aucune. Par contre les penseurs optimistes remarquent que l'intelligence et le bon coeur peuvent triompher de tous ces dangers, et que donc, passé un certain degré de sagesse, une civilisation devient éternelle, a moins qu'une cause naturelle n'y mette fin. Dans ce cas les civilisations devraient être des millions, et on ne pourrait manquer de les découvrir. Ainsi, les observations semblent confirmer la vision pessimiste, quoiqu'il soit impossible d'en donner une estimation réaliste.

«Afin de clore le débat, nous avons recherché des restes de telles planètes ruinées. Si les civilisations s'auto-détruisaient réellement, alors de tels restes devraient être des centaines de millions dans notre galaxie, et on devrait pouvoir les trouver facilement, sur des étoiles proches.

«Nous avons recherché des étoiles assez vieilles, avec des planètes bien placées. Planètes qui avaient été exclues de nos premières observations, car sans vie. Mais nous en avons examiné un assez grand échantillon. Et nous avons trouvé les ruines d'une civilisation apparemment auto-détruite. Une planète brûlée par l'effet de serre, toute érosion arrêtée, enveloppée d'un lourd nuage d'acide sulfurique, où nous avons observé des ruines de bâtiments énormes, de la taille de montagnes, datant de plus de 400 millions d'années, ainsi que des ruines plus petites sur une autre planète stérile de ce système, montrant que cette civilisation avait connu un âge de l'espace comme le nôtre. Bien qu'il ne soit même pas sûr que cette civilisation se soit auto-détruite, cette découverte a été considérée par les pessimistes comme la preuve que TOUTES les civilisations s'antodétruisent automatiquement, ce qui provoqua une flambée encore plus forte de troubles sociaux, les plus graves depuis les guerres écologiques de la première moitié du siècle. Mais également une autre vue plus réaliste s'éleva: On n'avait trouvé que UNE SEULE planète morte, alors que des milliers étaient attendues d'après la vision pessimiste. Mieux, on avait ainsi la preuve qu'il est possible qu'une autre civilisation technologique de type humain puisse apparaître, et peut-être exister encore quelque part. Mais se posait alors la question de savoir pourquoi seulement deux dans une galaxie où les planètes avec des animaux se comptaient par millions. Une seule chose était sûre, c'est qu'elles ne disparaissent pas par autodestruction. Ce point était résolu pour les scientifiques, mais les troubles sociaux et régressions politiques ne se sont pas arrêtés pour autant.

«Conscients de ce mystère, mais sans du tout savoir où rechercher la solution, nous avons cependant continué notre étude statistique des diverses formes de vie que nous avions rencontrées.

«Les concepts statistiques exposés ci-dessus à propos du temps requis pour réaliser effectivement une étape donnée de l'évolution, ces concepts ont été systématiquement exploités. Nous construisîmes avec des ordinateurs divers diagrammes, suivant les différentes voies d'évolution que la vie pouvait suivre. Nous avions assez de données d'observation pour fixer une durée statistique à chaque étape. Ainsi nous fûmes bientôt capables d'établir un seul diagramme montrant la probabilité d'avoir telle ou telle étape d'évolution, en fonction du temps, sur environ dix milliards d'années.

«Et alors nous avons essayé d'extrapoler le diagramme jusqu'à l'apparition de l'intelligence. Nous n'avions aucune donnée statistique directe sur le temps nécessaire pour passer d'une vie animale évoluée (par exemple les mammifères) vers une vie intelligente (par exemple les humains). La seule valeur que nous avions, la Terre, était très courte, environ trente millions d'années. Nous étions peut-être extrêmement chanceux, ce temps étant habituellement bien plus long.

«Pour avoir une idée de cela, nous avons mesuré le temps écoulé depuis l'apparition des animaux évolués jusqu'au présent, dans un grand échantillon de planètes. Ce temps était court, statistiquement. Ainsi nous pouvions affirmer assez sûrement que le temps requis pour passer des animaux évolués à des créatures intelligentes était relativement court, de dix à cent millions d'années, rien dans la durée de vie d'une étoile. Nous avons même découvert qu'en fait ce processus était déjà engagé sur la moitié des planètes habitées par des animaux, et même bien avancé dans certains cas, ce qui rendait très sûre la brièveté de cette étape.

«Et nous avons actualisé notre diagramme global avec cette nouvelle valeur mesurée.

«Le diagramme statistique était éloquent: les civilisations devaient être des centaines de milliers dans une galaxie comme la nôtre. Et nous n'en connaissions que deux.

«Mais en plus ce diagramme apparaissait clairement comme tronqué, comme vous pouvez le voir sur l'image.

«Alors que la courbe globale monte de manière constante avec le cours de l'évolution, elle s'aplatit soudain au moment où la civilisation devrait se développer.

«Comme si quelque chose faisait disparaître les civilisations sans trace, à peine créées.

«Comme vous le savez, cette nouvelle a quelque peu calmé les troubles sociaux. On était maintenant sûr que l'absence d'autres civilisations dans l'espace ne venait pas de leurs faibles chances d'apparaître, ni de leur autodestruction (même si entre temps nous avons trouvé quelques autres civilisations ruinées, la probabilité d'auto-destruction est en fait plutôt faible) mais à un événement important les empêchant de durer dans le temps. Nous avons dû clairement admettre qu'elles DISPARAISSENT SANS TRACES à peine créées, en un temps si court que c'est comme un éclair: même sous un fort orage, nous avons de la chance d'en apercevoir un le temps d'un clignement de paupière. C'était la seule façon d'expliquer le diagramme tronqué et la quasi-absence de ruines.

«Là est le mystère.

«J'ai ma petite idée à ce sujet, mais je ne la donnerai que plus tard, quand j'aurai rassemblé assez de preuves.

«Mais il y a du nouveau à ce sujet, cette année. Certains scientifiques le savent déjà, et il est maintenant temps de l'annoncer au public. Mais il y a eu en plus une découverte très récente et encore plus étrange, et cela seulement très peu de nous savent. Cela pourrait expliquer tout le mystère.

«Merci de votre attention.

«Amusez-vous bien ce soir!»

 

Même cette dernière plaisanterie ne fit pas cesser le profond silence dans la salle.

Tout le monde était intrigué, même si ce discours était déjà connu. Il y avait un énorme mystère, qu'ils appelaient le problème des planètes manquantes: tout simplement, les civilisations évoluées disparaissent sans traces. Et la tension sociale à propos de l'absence de civilisations extraterrestres s'était récemment changée en une grande interrogation: où sont parties les planètes disparues?

 

Steve Jason sentit tous les regards sur lui. Demain ce serait son tour de monter sur la tribune pour expliquer les découvertes récentes. Mais il y avait quelque chose d'encore plus mystérieux, et il se fraya un chemin dans la foule pour pouvoir trouver une place au restaurant près de son ami Jean Delcourt.

 

Il le trouva, discutant avec Sangyé Tcheugyal, Liu Wang les écoutant. Jean et Tcheugyal arrêtèrent poliment leur discussion pour accueillir Steve. Mais Steve nota le livre électronique disparaissant dans les plis de la longue robe de Tcheugyal.

«Bonjour, Steve, fit Jean. J'ai pensé qu'il serait utile de montrer certains de nos résultats à Tcheugyal. Il peut nous aider à résoudre le mystère, car il est très instruit dans le domaine du haut ésotérisme et des Tantras. Il peut interpréter certaines choses que nous avons découvertes.»

L'étonnement de Steve fut grand. Il savait parfaitement que le déclin général des croyances religieuses traditionnelles au 20ème siècle s'était lentement mais sûrement inversé au cours du 21ème, avec l'étude de divers enseignements ésotériques et psychologiques profonds des pays orientaux, qui avaient même aidé à régénérer les traditions occidentales affaiblies.

Il savait également parfaitement qu'il y avait une tolérance officielle croissance envers les domaines de la spiritualité et même du pouvoir de l'esprit sur la matière. Même si il n'y avait toujours pas de reconnaissance académique.

Il savait également que les maîtres tibétains détenaient des connaissances étranges et avancées de ces domaines. Sangyé Tcheugyal était un professeur et un chercheur à l'université de Zambou Shédroup Ling à Lhassa, et un maître de méditation dans la monastère voisin de Sera, et il avait même fondé son propre centre de retraite près de l'observatoire submillimétrique dans les montagnes de l'Amnyé Machen. Il n'y avait qu'une seule route menant aux deux, et les retraitants passant là ne pouvaient pas manquer l'impressionnante vision des immenses et gracieuses paraboles scintillant dans la neige, tandis que les scientifiques et les techniciens ne pouvaient ignorer l'entrée de la route interdite, encadrée par les statues des quatre gardiens féroces, qui conduisait vers la vallée cachée du centre de retraite, nichée parmi des montagnes aux formes arrondies.

Mais pour un physicien comme Steve, l'étude de la spiritualité n'était pas sa préoccupation habituelle, et aucun maître tibétain n'avait jamais essayé de le faire changer d'avis. Même si de plus en plus de scientifiques de différents domaines s'engageaient dans diverses voies et recherches spirituelles, il restait beaucoup de scientifiques comme lui pensant que la science et l'ésotérisme sont deux domaines séparés, et s'impliquant seulement dans le premier. Aussi de voir un des plus grands scientifiques demandant un conseil spirituel dans son propre domaine physique intriguait passablement Steve. Il sentit soudain que quelque chose était sur le point de se produire. Mais il ne pouvait que se demander quoi.

«Nous ferions bien d'aller au restaurant avant qu'il se ferme» répondit simplement Tcheugyal avec un sourire aimable. Peut-être était-ce cela la sagesse tibétaine, pensa Steve, ce qu'ils appellent: Non-action. Faire seulement ce qui est nécessaire dans la situation.

 

 

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