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Les plančtes manquantes        Chapitre 1       

 

 

Chapitre 1

le 22 Mai 2081 au matin.

Première conférence: Erzeran Kandahar, physicienne, Iran.

La physique du télescope quantique.

 

 

«Un, deux, trois, un, deux, trois... Oups, le micro est branché.»

Le vaste hall de conférence était plein à craquer, bourdonnant comme un essaim, avec, assis aux premiers rangs, les représentants des Nations Unies et de plusieurs gouvernements, des scientifiques renommés et des maîtres spirituels, puis les journalistes des réseaux d'information et des médias scientifiques. D'autres réunions avaient lieu simultanément dans le monde entier, avec des écrans géants dans des amphithéâtres, pour donner une représentation aussi vivante que possible de la réalité, avec même le bruit de la salle.

Erzeran était tout à fait à l'aise. Elle monta sur scène, et répondit modestement aux acclamations. Tout le monde attendait l'annonce trois jours plus tard, mais il fallait d'abord retracer l'odyssée du télescope quantique, et cette étrange affaire des planètes manquantes.

 

«Bonjour, Bonjour.

«Chers collègues et peuples du monde entier. C'est une annonce historique qui va être faite. Mais mon rôle ici n'est que de rappeler comment cette découverte historique a été rendue possible, le saut technologique qui l'a permise.

«Bien que tout le monde connaisse les bases de la mécanique quantique aujourd'hui, il est utile de les rappeler. Le début du 20ème siècle a été témoin de la découverte des atomes et de leurs particules constitutives. Habitués depuis des temps immémoriaux à penser en termes d'objets matériels, solides et «concrets», les scientifiques de cette époque ont imaginé les particules subatomiques comme étant des «boules de matière» ayant une forme, un volume plein, une surface. Mais en 1930, quelques théoriciens, connus sous le nom de l'Ecole de Copenhague, ont réfuté cette conception naïve: les particules sont des objets abstraits, qui ne peuvent pas être localisés, qui n'ont aucune forme, aucune surface, etc... Une particule peut apparaître et disparaître, peut se trouver simultanément dans plusieurs endroits, ou exercer une influence à une distance arbitrairement élevée, comme l'a démontré l'expérience d'Aspect, en 1981.

«Mais cette compréhension était encore imparfaite, empêchant la plupart des gens de se représenter ce que sont vraiment les particules. Il restait l'idée que les particules étaient «quelque chose de matériel», et donc il était très difficile pour la plupart des gens de comprendre comment elles pouvaient disparaître, voyager instantanément ou se manifester dans plusieurs endroits à la fois. Cette dernière barrière a été surmontée par Richard Trigaux, en l'an 2000, qui a expliqué dans son livre «Epistémologie Générale» que les particules ne sont que des objets mathématiques, et rien d'autre. Ainsi elles obéissent à des lois mathématiques, qui sont vraies partout en même temps, quelle que soit la distance, comme on l'a observé dans l'expérience d'Aspect. Elles se manifestent ou non selon la valeur vraie ou fausse de relations logiques, sans besoin de quoi que ce soit de mystérieux derrière, qui «expliquerait ce qu'est vraiment la matière». Ainsi les résultats étranges de la mécanique quantique sont en fait tout à fait ordinaires. Seuls les préjugés qui nous viennent de notre expérience quotidienne nous font trouver extraordinaire ou «inexplicable» que la matière puisse apparaître ou disparaître, ou que les particules puissent exister dans plusieurs endroits simultanément. Et ce qui nous donne le sentiment que notre monde est «concret» vient seulement du fait que nos organes sensoriels sont également faits de ces mêmes objets mathématiques, ce qui leur permet de nous donner des informations sur d'autres particules avec lesquelles ils interagissent: nous touchons, voyons, sentons, etc... et avons la sensation d'exister concrètement, bien que nos corps soient eux aussi faits seulement d'équations, de rien. Cette découverte fut le début d'une compréhension complètement nouvelle de la métaphysique et de la relation entre la conscience et la matière.

«Déjà à cette époque Richard Trigaux, après beaucoup d'autres, avait un certain pressentiment comme quoi les notions de lieu et de distance pouvaient être abolies sous certaines conditions. Il a décrit dans son livre un système de caissons d'isolation quantique: Nous plaçons une navette dans un tel caisson, où elle est complètement isolée du monde extérieur. Ainsi elle perd toute définition mathématique de lieu. La navette pourrait alors réapparaître dans un autre caisson, qui pourrait être situé aussi loin que nous le voulons, voire même sur une autre planète. Sur Terre, un tel moyen de transport pourrait rendre complètement obsolètes le train, l'avion, et même le Planetrans.

«Nous n'avons pas vraiment réalisée une expérience aussi fascinante, en tout cas pas avec des objets de la vie quotidienne. Mais les physiciens quantiques travaillant dans ce domaine ont pu réaliser un processus légèrement différent: des photons, c'est à dire des particules de lumière, ont pu être détectés à des distances arbitrairement élevées. Plus précisément nous pouvons détecter des photons à une distance très élevée, en utilisant un matériau fluorescent très banal, enfermé dans un tel caisson d'isolation quantique.

«Les photons lointains ne sont pas absorbés, mais ils stimulent l'émission des photons dans un écran fluorescent, comme dans un laser. Mais à la différence du laser, les photons stimulants n'ont pas besoin de passer juste à côté, ils peuvent être situés aussi loin que l'on veut. Donc il n'y a aucune transmission d'énergie de l'objet lointain au télescope, et les photons lointains ne sont modifiés en aucune façon. Il y a juste une transmission de leurs propriétés mathématiques: les photons émis par l'écran ont la même direction et phase que ceux dans l'objet lointain. Nous n'avons qu'à placer un objectif devant l'écran pour obtenir des images, et nous pourrions même regarder avec les yeux si il était possible de rentrer dans la chambre de l'écran.

«Bien que le processus de base soit tout à fait simple, il a été extrêmement difficile de construire une première machine qui fonctionne. Les études ont commencé environ en 2050, et mes collègues de Téhéran et moi n'avons réussi qu'il y a 16 ans, où nous avons pu faire les premières observations. La difficulté principale venait du fait que le matériau fluorescent de l'écran doit être placé à une température extrêmement basse, un dixième de million de degrés au-dessus du zéro absolu. On se doute qu'il est très difficile de maintenir un vaste caisson à une température aussi basse, un caisson d'isolation quantique avec des parois intérieures supraconductrices et parfaitement lisses, comme un miroir, tout en se protégeant contre le champ magnétique de la Terre avec une précision quantique, ainsi que de la radioactivité cosmique ou du sol, le tout (Un ensemble de plus de 1000 tonnes, sans compter les 2400 tonnes d'aimant supraconducteur pour la correction Zeeman) protégé contre des vibrations et les tremblements de terre. Une autre difficulté était, afin que le matériau fluorescent puisse émettre de la lumière, qu'il soit excité, puis ré-excité à la demande, tout en le maintenant à très basse température. Le premier modèle devait être excité avec un flash de lumière pourpre, puis refroidi pour pouvoir faire une image, puis excité à nouveau, en un cycle de plus de 34 heures. Seules certaines molécules avec des propriétés quantiques spéciales permettaient une ré-excitation continue à la température exigée, et donc un fonctionnement continu.

«La distance à laquelle les photons sont vraiment détectés ne peut pas être fixée à volonté. Il y a une question d'effet Doppler, quand l'objet lointain se déplace par rapport à la Terre, à des vitesses variant de zéro à 250km/s dans notre galaxie. La fréquence de la lumière est en quelque sorte décalée, et nous devons compenser ceci en entourant l'écran d'un puissant aimant supraconducteur. Ce champ magnétique décale la fréquence où l'écran est sensible (c'est l'effet Zeeman), afin de compenser l'effet Doppler. Ce fut aussi extrêmement difficile, car le champ magnétique doit être constant dans un grand volume, avec une précision quantique. Quand nous appliquons une certaine correction Zeeman, le dispositif devient sensible à la lumière ayant l'effet Doppler correspondant, quelle que soit sa distance. Mieux, quand nous commençons à recevoir de la lumière, il est possible d'appliquer une contre-réaction à la correction Zeeman, et ainsi de se caler sur l'objet observé même si il se déplace, comme dans un système d'autofocus. Ceci compense également le déplacement de la Terre elle-même. Nous ne maîtrisons pas vraiment la distance où on observe les photons, mais il est très rare que plusieurs objets aient exactement la même vitesse sur la même ligne de visée. Nous pouvons maintenant obtenir une précision extraordinaire d'un demi-mètre sur un objet n'importe où dans notre galaxie, même si il se déplace à 200km/s! Les choses se passent comme si l'écran était un hublot ouvrant à mille années-lumières de là, et montrant les objets comme si ils n'étaient qu'à quelques mètres! Nous pouvons même avoir des vues stéréo d'objets de la taille du mètre, en regardant l'écran avec deux objectifs.

«Un inconvénient est que l'écran réagit seulement aux photons d'une longueur d'onde donnée, ce qui explique pourquoi les images que vous allez voir sont toutes en une seule couleur. Nous pourrions faire des vues en couleurs en utilisant plusieurs vues du même endroit, chacune faites avec un télescope ayant un matériau d'écran différent, mais c'est difficile et les recherches fondamentales se font toujours en une seule couleur.

«Mais une des propriétés les plus incroyables du télescope quantique est que, n'atant pas basé sur les lois classiques de la propagation de la lumière, il est insensible aux obstacles interposés sur la ligne d'observation! Nous pouvons observer ainsi a travers la roche, a travers la Terre entière, et même regarder le coeur des planètes et des étoiles! Un de nos premières observations a été de relever une véritable carte tridimensionnelle de la température de la Terre entière, juste sous notre télescope! Ceci a naturellement permis des découvertes incroyables dans le domaine de la géologie, y compris des structures à l'échelle du mètre dans le noyau de la Terre et d'autres planètes. Mais naturellement en regardant dans une étoile, nous ne faisons que saturer l'écran et aucune information ne peut être obtenue comme cela. Par contre l'utilisation de matériaux d'écran sensibles à la lumière infrarouge nous a permis de voir dans l'obscurité des cavernes de planètes lointaines, et ceci a été la clé de la découverte récente dont nous allons parler.

«Nous avons monté le premier dispositif complet dans les montagnes du Khorasan, près de Bodjnurd, au Nord-est de l'Iran. Il était profondément enterré dans une salle souterraine, et protégé contre les tremblements de terre, les vibrations, la radioactivité, etc... Le jour où était prévue la première observation spatiale fut très émouvant: toute l'équipe, ainsi que les habitants de l'endroit, avons tous prié ensemble pour que ça marche.

«Et ça a parfaitement marché, après quelques réglages.

«Et ce fut merveilleux.

«C'était comme pour un aveugle de découvrir la vision.

«Nous avons naturellement exploré de très près tout le système solaire.

«Mais rapidement nous nous sommes échappés dans l'espace profond, vers la galaxie.

«Nous savions déjà, depuis les années 1990, que beaucoup d'étoiles ont aussi des planètes. Certaines avaient même déjà été vues avec des télescopes optiques à interférences conventionnels, basés dans les points de Lagrange de la Lune, ou par des radiotélescopes. Mais aucun détail n'en était connu, elles restaient juste des points sur les images.

«Et nous avons découvert les planètes, leur surface, leurs paysages, leurs lunes, et même les comètes et les astéroïdes. Le premier modèle de télescope quantique n'était pas assez puissant pour donner des images précises de leurs surfaces, mais bientôt d'autres projets ont fleuri partout dans le monde. Il avait été très difficile de concevoir la technologie, mais une fois cela fait, il fut relativement facile de la répandre. Seulement trois ans après un second télescope quantique était construit aux Etats-Unis, et maintenant beaucoup opèrent partout dans le monde: cinq au Moyen-Orient, 12 aux Etats-Unis, 8 en Amérique du Sud, 10 dans l'Union Européenne, 7 en Afrique, 9 en Chine, et quelques autres dans le monde.

«Certains ont été conçus pour observer des objets très petits, tels que des micro-organismes; d'autres ont été conçus avec un champ magnétique très puissant pour atteindre des vitesses de plus de 10 000km/s, soit la vitesse des galaxies voisines. Mais le pouvoir grossissant de ces machines est limité par divers phénomènes, particulièrement le scintillement de la lumière avec les ondes de gravitation, qu'il est difficile d'éliminer, et qui brouille les images, tout à fait comme les perturbations atmosphériques dans les anciens télescopes optiques basés au sol. Mais nous pouvons maintenant voir des continents sur des planètes dans la galaxie d'Andromède.

«La puissance de ces nouveaux télescopes est stupéfiante. Regarder dans un tel télescope donne vraiment l'impression d'être dans un vaisseau spatial, regardant par un hublot: il n'y a aucun besoin d'agrandir l'image ni d'utiliser un grand miroir. Même l'écran n'a pas besoin d'être très grand, sauf si nous voulons observer de la lumière faible. En plaçant le «hublot» près ou loin de l'objet observé, nous pouvons en voir des détails ou obtenir une vue globale de grands objets. Ainsi un critère très pratique pour évaluer la puissance d'un télescope quantique est la précision du placement du «hublot» sur l'objet observé: un mètre maintenant, à une distance de milliers d'années-lumière! Quelques fractions de millimètres, sur des systèmes solaires proches! Ce qui permet de lire le titre d'un livre, ou d'identifier quelqu'un, à l'autre bout de notre galaxie! La deuxième mesure de puissance que l'on peut faire, est le nombre d'images que nous pouvons enregistrer dans un temps donné. Le tout premier modèle prenait seulement une image toutes les 34 heures, mais les derniers modèles peuvent maintenant faire des instantanés plus de cent fois par seconde, dans différents endroits, ou filmer le mouvement d'un animal. Mais ceci pose un problème énorme: comment archiver et étudier tant d'images? En fait le programme de télescope quantique n'avance qu'avec notre capacité à enregistrer et analyser tant de données, et la plupart du temps seules des vues choisies d'autres planètes sont disponibles. Nous n'avons fait qu'un minuscule sondage dans un ensemble quasi-infini d'observations possibles.

«Naturellement, les télescopes quantiques ont permis tant de découvertes en astrophysique et en astronomie que nous ne pouvons pas encore évaluer toutes les conséquences. Les découvertes principales sont les premières étapes de la vie d'une étoile, en perçant les nuages qui cachent sa naissance. Il est également remarquable que nous avons maintenant une vue précise de la formation des planètes, à partir d'un disque d'accrétion. Plus incroyable, nous avons pu obtenir des vues rapprochées de la surface des étoiles à neutrons, et même des images de trous noirs! Mais pas de leur intérieur, car nous sommes encore liés par la courbure de l'espace.

Le télescope quantique est une découverte encore plus importante que le télescope optique en 1610!

«Mais bien sûr la découverte la plus formidable fut la vie sur d'autres planètes. La vie partout, la vie sous des aspects extraordinaires. Mais même cette découverte pâlit en comparaison de ce qui a été trouvé il y a quelques semaines, et que Jean Delcourt expliquera dans trois jours maintenant.

«Merci de votre attention.»

Applaudissements, et excitation parmi les auditeurs.

Jean Delcourt était assis aux premiers rangs, avec son ami Steve Jason et Liu Wang. Il reçut très modestement les acclamations à son adresse.

Sangyé Tcheugyal était arrivé pendant le discours d'Erzeran. C'était un homme grand et impressionnant, complètement chauve et plutôt athlétique, portant une robe longue sombre traditionnelle. Il ne serra pas la main de Steve, quand Liu le présenta, mais il s'inclina les mains jointes sur la poitrine, suivant ses propres coutumes. Steve n'osa lui poser aucune question.

 

 

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