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Lokouten        Chapitre 7       

 

Chapitre 7
Racisme interstellaire

 

 

«Encore une conspiration? s'exclama Steve Jason, plus las que vraiment en colère. Décidément on ne peut pas faire un pas sur le chemin de la connaissance sans mettre le pied sur une merde.

-Haha, Steve, calme-toi, au fond c'est très bien que ce soit comme ça» répondit Ulrike Meinster, une des ingénieurs de la KRG, avec qui Steve était en train de partager son déjeuner, au centre Shédroup Ling de Palomas, Californie.

Ce centre était installé sur un ancien ranch, dans un superbe coin de désert à quelques centaines de kilomètres de San Francisco, avec d'autres laboratoires et centres spirituels aux alentours. Le lieu commençait à être connu sous le nom de «psychical valley», comme autrefois il y avait eu la «silicon valley» (en anglais, on a un jeu de mots entre «psychical» et «silicon»). La cafétéria où Steve et Ulrike partageaient leur table était un petit bâtiment dont le plan aurait évoqué une grappe de raisin: de multiples petites salles rondes pour dix personnes au plus, reliées par des circulations sinueuses et éclairées par des fenêtres basses. Malgré le soleil écrasant du désert, il y régnait une fraîcheur agréable, même sans climatisation mécanique. Le campus lui-même était construit en bâtiments bas, blancs, à grands auvents en forme de conque pour protéger du soleil. Des réserves d'eau sur le toit, protégées par des volets mobiles, permettaient de capter la fraîcheur de la nuit, et de la restituer le jour. Un forage permettait d'irriguer des massifs de laurier rose et de nombreux peupliers, dont le vert tendre tranchait agréablement sur l'ocre des collines désertiques alentour. D'autres bâtiments similaires se devinaient un peu plus loin, appartenant à des organisations amies. Nichés parmi les peupliers, d'agréables maisonnettes hébergeaient les étudiants et les professeurs. Elles étaient presque toutes entourées de fleurs, et leurs toitures étaient des capteurs solaires intégrés dans un vaste système de chauffage collectif. Ce dernier était fort bienvenu l'hiver, qui dans le désert est parfois très froid. L'ensemble du campus formait une sorte d'oasis de verdure et de spiritualité, aligné dans une petite vallée entre deux replis rocheux rougeâtres. Les alentours offraient de superbes excursions dans un paysage minéral quasiment vierge de toute trace humaine.

 

Effectivement, aussi étonnant que cela puisse paraître, une forme de racisme s'en prenait aux paisibles Dumriens. Ce n'était pas à proprement parler une conspiration organisée comme celle que Steve avait découverte seize ans plus tôt; mais un certain consensus s'était établi entre les «penseurs» extrémistes et tous ceux qui, de la vedette médiatique au pilier de bar du coin, se sentaient menacés par la réussite des Dumriens, ou humiliés par leur gentillesse. Ce sentiment honteux avait démarré de manière certes minoritaire et diffuse, mais il avait réussi à s'affirmer publiquement suite à des prises de positions de leaders populistes. Ainsi, cette inavouable vérole de l'esprit avait insidieusement pris un statut de «courant d'opinion qui peut légitimement s'exprimer». Le gros risque était que ce sentiment ne contamine la majorité de la population (encore peu au fait des procédés de manipulation de l'opinion) et n'empêche par la suite l'humanité de profiter des apports de Dumria

«Tu trouves ça bien, toi? Ces gusses sont encore en train d'empoisonner le monde, avec leurs idées puantes et leur tristesse!

-Si si je te dis, c'est très bien. Pendant qu'ils font leur racisme anti-extraterrestres, ils ne pensent plus à le faire contre les autres humains. Regarde, ils ont même des sections en Afrique, ils ont des NEEEGRES dans leur bande! Et même des sections chez les ARRHABES! Tu te rends compte, quel progrès fantastique, leur conspiration s'adresse à TOUS LES HUMAINS! Les extraterrestres, eux, qu'est-ce que tu veux que ça leur fasse, que ces idiots ne les aiment pas. Ils sont bien tranquilles, à des milliers d'années-lumière. Rien ne peut les atteindre.

-Pas sûr qu'ils ne soient pas troublés par certaines perfidies, comme au temps de la conspiration, qui avait presque réussi à lever une guerre parmi eux, uniquement avec des procédés de manipulation mentale. Pas sûr non plus qu'ils n'aient pas envie de se venger d'une façon ou d'une autre. Avec leur science de la psychologie, ils pourraient nous faire beaucoup de mal, si ils le voulaient, et on ne se rendrait même pas compte que ça viendrait d'eux. De toutes façons il est clair que les valeurs morales et l'expertise psychologique que nous propose Dumria peuvent nous être fort utiles. Le racisme ne peut qu'éveiller la défiance envers cette expertise, et les attaquer eux revient en fait à s'en prendre à l'humanité elle-même. C'est à chaque fois pareil avec le fachisme.

-Rappelles-toi, Steve, que dans un des grands films de propagande anti-extraterrestre du 20eme siècle, «Independance day», on voit les Etats-Unis se réconcilier avec l'Irak, leur bête noire de l'époque. A la limite les Dumriens sont assez rusés pour compter sur cet effet pour aider la Terre à s'unir en un seul peuple et abandonner toute guerre.

-Tu crois? Des êtres aussi doux?

-Eh sûr je le crois. C'est pas parce qu'on est doux qu'on est nouille. Et les Dumriens ont largement prouvé qu'ils ne sont pas des nouilles.»

 

Un des incidents qui déclencha les premières prises de position racistes en public fut l'affaire de la banque dumrienne, qu'ils avaient créée avec l'argent reçu pour leurs dons en science et en technologie (chapitre 2). Argent qui bien entendu ne pouvait être utilisé que sur Terre, puisque les Dumriens en ignorent superbement l'usage chez eux. D'où l'idée d'une banque aidant les buts spirituels et sociaux avancés. Ils eurent vite fait de faire la fortune des entreprises citoyennes qu'ils soutenaient, ainsi que de leurs nombreux clients désireux de s'enrichir sans cautionner d'activités polluantes ou anti-sociales. Ce succès fit évidemment des jaloux, au point que certains opposants parlèrent de tout bonnement confisquer la banque. Cette opposition fit bien rigoler les Dumriens: ils n'avaient strictement rien à gagner ni à perdre dans l'histoire, et ce qu'ils faisaient sur Terre n'était que dans le seul but d'aider les Terriens.

Il apparut plus que jamais à cette occasion ce trait fondamental de la personnalité dumrienne: Pour eux, tout est un jeu, la vie est un immense jeu. Non pas un divertissement superficiel pour oublier les véritables enjeux de la vie, mais au contraire pour les explorer, les tester, les mettre en situation. Un jeu romantique, un théâtre courtois, souvent drôle, toujours émouvant, sur tous les thèmes de la vie. Ils avaient même appelé la transition spirituelle «Le Jeu du Grand Saut». Par contre, il s'agissait toujours de jeux coopératifs, où tout le monde gagne, où tout le monde s'amuse. Le but de ces jeux était uniquement de prendre plaisir à vivre les situations, de les mettre en actes «comme si». Il ne s'agissait jamais d'affirmer quelque supériorité sur un adversaire vaincu. Pour cette raison les théâtres dumriens n'avaient que peu de spectateurs, et seuls quelques grands acteurs déplaçaient des foules. Ainsi le jeu de la banque n'avait pour seul but que de jouer à l'économie avec les Terriens, tout en les aidant dans ce domaine où ils étaient considérablement en retard.

Par contre, il va sans dire que dans un tel état d'esprit, tricher était exclu, et même complètement inapproprié dans la mentalité dumrienne, une offense grave contre la vie, une chose que de toute façon personne n'avait intérêt à faire. Cela est compréhensible: dans un jeu de concurrence, tricher peut être un moyen pour gagner. Cela profite au joueur, d'où la tentation de le faire. Mais dans un jeu coopératif, tricher fait rater le jeu, lui retire son intérêt. Le tricheur s'exclut lui-même de la situation, il ne peut plus la vivre, et ainsi il est le premier lésé, même si sa tricherie passe inaperçue. Cet échec se répercute aussi sur les autres joueurs, dont le vécu est spolié. Dans l'esprit dumrien, le mot «tricheur» désignait une personne aussi totalement retranchée de la vie que chez nous «nazi» ou «taré».

Or les dumriens s'aperçurent très vite que sur Terre le jeu de la finance est essentiellement un impitoyable jeu de pouvoir et de triche. Ils n'en parlèrent pas, mais tous les analystes s'accordent pour dire que leur action avait tout fait pour casser les reins d'entreprises et de banques trop rétrogrades, et qu'elle y avait parfois réussi. Les membres du groupe de jeu financier Dumrien ne s'expliquèrent jamais sur leur ahurissante habileté en bourse; ils anticipaient même des mouvements que personne n'avait vu venir. Les terriens qui travaillaient à leur banque dirent qu'ils recevaient tous leurs ordres directement de Dumria, et les maîtres spirituels terriens qui aidaient les Dumriens dirent qu'ils ne se mêlaient surtout pas de ça, qu'ils n'étaient même pas au courant, se contentant de remarquer que si les Dumriens avaient très peu de mauvais karma, alors il ne fallait pas s'étonner qu'ils réussissent dans toutes leurs entreprises.

 

Une autre «justification» très commode de ce racisme anti-Dumrien fut leur incroyable sexualité. C'était tellement facile. Avec les réseaux Internet des deux planètes connectés en un gigantesque Hypernet galactique, il était vain d'espérer cacher que les Dumriens faisaient couramment l'amour avec tout le monde, compagnon stable, rencontre passagère, inconnus, de l'autre sexe ou du même sexe, en public ou en privé. Pour des corps et des psychismes Dumriens, ces attitudes ne posaient aucune sorte de problème. Aussi les Dumriens n'avaient aucune raison d'interdire ni même de déconseiller toutes ces pratiques, et plein de raisons d'en profiter, ce qu'ils ne se gênaient pas de faire... plus de vingt fois par jour! Ils prenaient même des pauses pour cela, dans les usines et les laboratoires! Mais ce fut vraiment difficile à avaler pour certains, sur Terre. Aussi tout ce que notre planète comptait encore de zizis coincés et de bigots cinglés se mobilisa. Même les appels à la tolérance des grands chefs religieux ne purent rien y faire.

Bien entendu, se développa parallèlement à ce délire le délire réciproque (note 29), qui se mit à réclamer pour la Terre la même liberté que sur Dumria! Couac couac couacouincouacouac!

Mais très «curieusement », personne n'avait réclamé la liberté de faire comme les Centauriens totalement asexués. Les Centauriens, bien qu'assez humanoïdes, avaient un système reproducteur très curieux, assez similaire aux thalles des fougères ou des champignons, ou aux rhizomes de certaines plantes. Les individus, tous du même sexe, n'avaient qu'un utérus pour tout organe reproducteur. Au fond de cet utérus, un organe cumulant les fonctions d'ovaire et d'amnios produisait de temps à autres un foetus par bourgeonnement de tissus, sans ovule ni spermatozoïde, comme une plante qui produit un stolon. Le foetus se développait alors, son cordon ombilical directement relié à la circulation générale du parent, sans placenta! Ainsi même un centaurien solitaire pouvait avoir des enfants, dits «spontanés», vers l'age de cent ans, sur les deux cent cinquante ans dont ils jouissaient en moyenne. Ainsi même un individu unique pouvait perpétuer l'espèce. Mais les Centauriens produisaient aussi des virus, par les sécrétions nasales, qui emportaient chacun un de leurs quatre cent vingt huit chromosomes. Ces virus s'échangeaient très facilement lors de leur vie sociale très affectueuse, comme la grippe chez nous. Mais au lieu de provoquer des maladies, ces virus étaient recueillis par des organes similaires aux amygdales humaines. De là ils étaient pris en charge par des cellules sanguines spéciales, jusqu'à l'utérus, où ils pouvaient transférer leurs gènes aux bourgeons et produire alors des grossesses dites «sociales». Ces enfants avaient les chromosomes du parent «de chair», mais un de ces chromosomes, parfois plusieurs, était échangé avec celui du «fécondeur», le plus souvent inconnu. Cet incroyable système reproducteur permettait à plusieurs lignées de cellules différentes de cohabiter dans le même individu, faisant des Centauriens des êtres à la génétique complexe, résultant en un brassage des gènes bien plus rapide qu'avec la reproduction sexuée. Ce système conférait même aux Centauriens une incroyable résilience aux maladies génétiques, au point de les rendre très résistants même à la radioactivité: les mutations délétères disparaissaient en quelques générations. Ainsi ces êtres arrivaient à une reproduction efficace, mais sans aucune forme d'activité sexuelle. Cela ne les empêchait pas du tout d'avoir une vie sentimentale intense et très riche, qui structurait des communautés très unies, sortes de mariages collectifs dont très peu souhaitaient s'échapper. Mais nos soi-disant «libertaires» ne semblaient même pas avoir conscience de l'existence de Centaurus, car l'amitié et l'amour ne les intéressaient absolument pas, seul comptait pour eux le sexe génital pur, uniquement ce qui se passe sous la ceinture. Leur seule idée était d'assouvir leurs fantasmes de partenaires interchangeables, à consommer et à jeter, juste pour les sensations physiques. Et Dumria était ainsi un excellent prétexte. Mais un prétexte seulement, car les partenaires à consommer et à jeter étaient précisément à l'opposé de l'esprit de Dumria, comme on le verra plus loin.

Il se répandit même l'idée que les extraterrestres étaient supérieurs en sexualité, et les terriens coincés et «bourgeois». Là aussi c'était une généralisation très abusive. Ainsi les habitants de Chardza mettaient souvent en avant la fidélité conjugale, et la chasteté y était une valeur assez bien représentée, dans les monastères ou dans certains milieux particuliers. Chardza comptait même plusieurs petits états entièrement théocratiques, dirigés par d'immenses monastères de dizaines de milliers de nonnes. Mais Chardza était, comme la plupart des mondes, une civilisation très diversifiée, et on y trouvait aussi des cultures où l'homosexualité jouissait d'un statut social visible et estimé. Ainsi nos chevaliers du génital déifièrent les érastocrates chardziens, mais ils ne remarquèrent même pas les communautés de nonnes!

Il se trouva même des gusses pour faire l'éloge de l'épouvantable Ouarkatan, assimilée à la liberté absolue, au bonheur idéal! Mais même là l'extraordinaire débauche que l'on y voyait était l'apanage quasi exclusif de la caste impériale dégénérée, le reste de la population vivant une vie de famille très terrienne, avec sa fidélité et ses «accidents». De toute façons ce lamentable exemple fit beaucoup pour faire enfin comprendre que la «liberté» égocentrique est aussi dangereuse que la dictature au nom de l'ordre...

 

Les commentaires sur leur sexualité ne firent pas du tout rire les Dumriens. Ils se contentèrent d'affirmer à qui voulait l'entendre que «Les psychismes étant différents, les Terriens ne peuvent ni critiquer, ni imiter les Dumriens» et que «ceux qui utilisent autrui pour leur plaisir égocentrique sont des pervers, et ceux qui enragent de voir autrui prendre du plaisir en sont des pires».

 

De montrer leur sensibilité aux critiques dans ce domaine fut certainement une gaffe de la part des exosociologues Dumriens. Mais on leur pardonnera volontiers de n'avoir pas pu seulement imaginer que la perversité se délecte précisément de l'humiliation qu'elle produit. Ainsi leur clarification, loin de calmer le jeu, ne fit qu'empirer les choses. Et, une fois ces premières attaques lancées en public, alors s'enhardirent tous les lâches qui n'avaient pas osé exprimer leur rancoeur face au bonheur des dumriens, tous les nuls qui n'avaient pas su accepter cette remise en cause radicale des névroses terriennes les plus profondément ancrées: le conflit, l'argent, la propriété, le pouvoir... Alors les Dumriens furent qualifiés «d'anarchistes» de «hippies paresseux», de «babacoules» de «sauvages inorganisés» de «bohémiens», qui allaient «pervertir la jeunesse», «saper les valeurs morales terriennes», et j'en passe, tout le monde connaît la rengaine fachiste, chaque lecteur pourra à loisir inventer des dizaines de slogans de ce style, et les proposer au Guiness Book des records.

Dans la foulée, le physique des Dumriens fut, on s'en doute, un inépuisable prétexte de critiques. A partir de leurs surprenantes caractéristiques «reptiliennes», le discours raciste enchaîna tous ses délires selon ses procédés immuables: les Dumriens étaient des serpents, des êtres froids et sans sentiments, des «aliens», voire des démons cornus (allusions aux écailles sur la tête, qui évoquaient parfois des bourgeons de cornes) incitant à l'anarchie et à tous les vices sexuels. Le fait qu'ils étaient très majoritairement gauchers, et leurs acides aminés droits, à l'inverse de ceux des humains, fut même interprété comme un symbolisme satanique: les Dumriens représentaient l'inverse des valeurs terriennes, le reflet négatif du monde divin, l'antéchrist, j'en passe et des meilleures...

 

La gifle des exosociologues Dumriens vint sans crier gare, et d'une manière que personne n'attendait. Ils montèrent une incroyable conspiration de carnaval, sur le thème des Dumriens racistes contre la Terre, avec des tribuns rageurs et très écailleux évoquant le «rat poilu dégoûtant» qui était à l'origine des mammifères terriens, à cause de la «répugnante habitude» qu'avaient leurs petits de lécher les sécrétions sébacées sous le ventre de leur mère (ce qui était à l'origine de l'allaitement). D'autres se demandaient pourquoi les terriens portaient des serpillières sur la tête, allusion aux cheveux, qui devaient ramasser une quantité incroyable de poussière et de saleté. Il apparut même très vite qu'ils singeaient outrageusement les principaux leaders racistes terriens, au point qu'ils étaient faciles à reconnaître. Mais les idiots de notre planète tombèrent tous dans le panneau comme un seul homme, prenant toute l'histoire au premier degré, et focalisant toute leur rage sur cette «conspiration dumrienne». Et on entendit parler de provocation, appelant à la guerre interstellaire, et même des responsables de l'ONU s'y firent prendre, mettant l'affaire à l'ordre du jour du Conseil de Sécurité! Il fallut leur expliquer discrètement, avant que ce gigantesque canular n'arrive à ridiculiser l'ONU. Heureusement la majorité des Terriens, pas dupes, venait rire avec les Dumriens, et l'on vit même sur Terre des comiques débuter une carrière tonitruante en jouant les faux tribuns racistes: on se rappellera de cet homme outrageusement barbu et poilu, et de la célèbre «Mamma» qui montait sur scène en allaitant ses deux bébés jumeaux, pendus chacun à une de ses deux immenses mamelles: même les faux racistes Dumriens ne purent s'empêcher de pouffer de rire en direct, en découvrant ce tableau Rabelaisien! On alla même jusqu'à créer le très ordonné parti politique «Front Terrien», où vinrent adhérer nombre de nostalgiques des uniformes noirs, qui avaient vaillamment avalé l'hameçon, la ligne et même la canne jusqu'au moulinet. La plupart des animateurs de télévision, après un cafouillage initial, renchérirent de nouvelles alarmantes et d'accusations invraisemblables. Leur jeu favori fut d'inviter les «penseurs» racistes, pour leur faire des descriptions alarmantes de Dumria, puis les regarder s'époumoner et grimacer, tout en lançant de temps à autres un peu d'huile sur le feu. C'est ainsi que petit à petit les exosociologues dumriens partagèrent leur science du jeu avec les Terriens...

Au moment précis de cette histoire, la supercherie venait de s'éventer, et ses victimes, folles de rage, commençaient à lancer des procès, notamment contre les fondateurs du «Front Terrien», au grand délice des avocats qui les voyaient arriver en se frottant les mains: la rigolade n'était pas finie!

 

Le domaine spirituel posa lui aussi des problèmes de racisme. On a vu dans les romans précédents («Les planètes manquantes» et «Dumria») que l'idée de la future transition spirituelle de la Terre avait provoqué une vive réaction des éléments les plus populistes et fachistes de l'humanité, et même une «conspiration anti-suicide» très organisée. Quand le véritable contact s'était établi avec les Dumriens, ces derniers étaient très demandeurs d'aide spirituelle, et ils obtinrent ce qu'ils avaient demandé. Par contre leur choix parmi les diverses religions et sectes ne fit pas que des heureux. Ils demandèrent certes à recevoir les enseignements de toutes les grandes religions, mais l'immense majorité des Dumriens choisit très clairement de ne pratiquer que celles qui proposaient des pratiques Yogiques et tantriques: Taoïsme, Hindouisme et Bouddhisme. Toutefois Christianisme, Judaïsme et Islam ne furent pas complètement exclus: en 2102 ils étaient tous en train d'inclure des pratiques tantriques, notamment le Grand Continuum du Christ en Gloire, qui avait rassemblé des millions d'adeptes en quelques années. Et l'on voyait des pratiques de concentration ou d'oraison datant du Moyen Age ressortir de certains monastères français ou grecs, une renaissance du Soufisme, et floraison de pratiques issues de l'ésotérisme hébreu, qui s'avérait étonnamment riche en pratiques Yogiques...

Toutefois cela était fort loin d'être compris par tous les adeptes de ces religions, et les bigots, fanatiques et dogmatiques de tout poil hurlèrent que les Dumriens «n'avaient rien compris» ou qu'ils étaient en train de «dévoyer la religion». Cela posa parfois des problèmes graves, avec la réactivation de groupes fanatiques, allant même jusqu'à une guerre. Il est clair là aussi que le choc culturel mettait à nu toutes les contradictions de la spiritualité terrienne, coincée entre un désir sincère de progrès libérateur et la «justification spirituelle» des traditions étriquées et des dictatures.

Mais les plus virulents dans cette veine furent les sectes, furieux qu'ils étaient d'avoir envoyé des millions de messages sans que personne sur Dumria ne prête jamais la moindre attention à eux. Ils hurlaient à la conspiration, et là ils avaient raison: avant même l'annonce officielle de la découverte, un des premiers messages de Shédroup Ling vers Dumria avait été la liste de toutes les sectes...

 

Sur Terre, les intellectuels remarquèrent vite que quand les Dumriens parlaient de choses positives avec la Terre, ils le faisaient au nom des habitants de toute leur planète, ou au nom du groupe concerné. Mais quand il s'agissait de problèmes, ou de répondre à des attaques, c'étaient toujours les exosociologues dumriens qui apparaissaient à l'écran... Les Terriens, eux, faisaient à peu près le contraire: les critiques venaient de groupes de pression particuliers, et les encouragements des exosociologues terriens, de l'ONU ou de groupes positifs.

Parfois les politiques devaient intervenir, et ils durent ainsi apprendre à parler d'une seule voix. Et ceux qui confondaient doux avec stupide furent vite détrompés. Les pouvoirs terriens en vinrent même à éviter de critiquer ouvertement Dumria. Les attaques malveillantes étaient en général traitées par une petite équipe de sociologues, psychologues et exosociologues dumriens, les «humanologues» dirigée par Ezran, un personnage assez hors du commun, même pour Dumria. Ezran était issu d'un essai, lors de la mise au point de la seconde version de cerveau. L'intelligence y avait été poussée au détriment de la sensibilité artistique, et pour cette raison ce dosage n'avait pas été retenu. Mais Ezran était un monstre d'intelligence et de finesse non-Aristotélicienne, avec un QI ANA (note 30) de plus de 280, rompu à toutes les disciplines théâtrales et psychologiques de Dumria, récemment formé au débat Bouddhiste et au Zen. De surcroît, il était incroyablement beau, comme un ange blond de quinze ans, et son éternel sourire fit battre les coeurs de millions de terriennes, sûres au moins d'en rester à du purement romantique!

Mais ce qui terrifia vite les adversaires d'Ezran fut son humour ravageur, exposé avec un aplomb et un pince-sans-rire parfaits, et toujours juste assez subtil pour rester à la portée des spectateurs.

Quand Ezran avait à débattre avec un terrien honnête et sincère, quelle que soit son orientation, il le faisait toujours avec une extrême bienveillance, ce qui lui valut un grand nombre d'amis dans tous les milieux. Quand il avait affaire à une personne sincère, mais peu habile, il se montrait alors un as de la maïeutique (note 31), et ses partenaires de débat en parlaient alors comme d'une expérience inoubliable, où ils «comprenaient tout» et «allaient au delà d'eux-mêmes»... Par contre, une séance de débat entre Ezran et un raciste ou autre malveillant se terminait toujours en quelques minutes, par une mise à nu complète de tous les rouages psychologiques de l'attaquant, avec Ezran souriant toujours, désarmant de gentillesse. Certains, après de telles déculottées en direct devant les peuples des deux planètes, n'osaient même plus jamais reparaître en public, et tous les gens aux motivations douteuses se mirent à avoir peur de la caméra comme si elle était un canon braqué sur eux, ou à s'esquiver quand le sourire angélique apparaissait sur l'écran.

Rapidement les rieurs vinrent de plus en plus assister à ces débats, et, au delà du futile racisme, se répandit un nouveau paradigme, encore inconscient, beaucoup moins bruyant, mais de plus en plus puissant: la dispute n'était pas entre les deux planètes, mais entre d'un côté les gens intelligents et aimables des deux mondes, et de l'autre les idiots. Et il se trouvait que ces derniers ne se recrutaient que sur Terre: l'immense majorité des Dumriens, surtout ceux avec l'ancienne version de cerveau, au pire ne s'intéressaient pas à la Terre, se contentant de continuer leur vie de plaisirs, ou d'étudier anecdotiquement quelques bases de la nouvelle spiritualité.

 

Tout de même ce problème de racisme prit une ampleur telle que l'on en vint à craindre que les relations entre les deux planètes ne finissent par en souffrir. Les responsables de l'ONU chargés des relations avec Dumria s'en alarmèrent; il fut constitué une commission de sociologues sous l'égide de l'ONU. Cette commission anima aussi un des plus grands forums publics jamais vus sur Internet. Bon nombre d'idées ou d'éclaircissements vinrent d'ailleurs de ce forum plutôt que des spécialistes. Ce forum était modéré, mais selon une seule règle, dite de «Un-Un» (One-one): Chaque idée n'est exprimée que une seule fois, mais toutes le sont au moins une fois. Aucune intervention ne devait répéter ce qui avait déjà été dit. Au lieu de cela, on demandait aux intervenants de s'exprimer par courts paragraphes exprimant chacun une idée élémentaire. Si quelqu'un devait mentionner une idée déjà exprimée, on lui demandait de citer le paragraphe correspondant par un lien hypertexte spécial, qui intégrait directement le paragraphe visé dans le nouveau texte. Ainsi, au lieu d'une immense collection de millions de messages hétéroclites nécessitant des années d'analyse, le contenu total des débats n'excédait pas celui d'un bon livre bien dense. Mais tous les points possibles y étaient traités, et toutes les idées originales y étaient exprimées au moins une fois. Pour chaque idée-paragraphe original, le nombre des citations (approbatrices ou critiques) apparaissait dans la marge, permettant d'évaluer le poids de chaque idée dans l'opinion. Il apparaissait également, face à un paragraphe cité, un symbole exprimant si la personne citant ce paragraphe était en accord, en opposition, en synergie, en relation Yin-Yang, etc. Ce système, contrairement aux systèmes de vote démocratique, mettait sur un pied d'égalité les grands courants d'opinion et les idées originales ou novatrices, vinssent-elles d'un enfant ou d'un clochard.

Sans rentrer dans les détails, au moment de ce récit la vue principale était que les Dumriens disposaient d'une maîtrise psychologique que seuls partageaient, sur Terre, ceux qui avaient suivi une pratique spirituelle sérieuse, que ce soit une psychanalyse complète ou une technique d'introspection plus Orientale. Les manques psychologiques de la majorité terrienne non psycho-éduquée avaient forcé les terriens à adopter, depuis des temps immémoriaux, des comportements et des structures sociales névrotiques, telles que le pouvoir, l'argent, la possession, la violence... qui avaient certes permis un fonctionnement des sociétés terriennes, mais en sacrifiant plus ou moins le bonheur individuel. Dumria, qui était psycho-éduquée avant même la préhistoire, avait pu développer une civilisation sans ces palliatifs. Aux yeux des terriens non psycho-éduqués, cette société apparaissait comme «sans structures», déroutante et «anarchique». Mais en réalité la société Dumrienne était une organisation complexe, subtile et très évoluée, capable de préserver toute la personnalité individuelle de chacun, mais sans rien perdre en efficacité sociale.

L'exemple le plus cité de névrose terrienne persistante fut celui de l'esclavage, totalement injuste mais qui avait permis à l'Antiquité Terrienne ses magnifiques réalisations. Seulement avec l'époque moderne, l'esclavage avait été remplacé par un système en principe plus équitable, le salariat, où l'employé était rémunéré pour le travail fourni à l'employeur. Mais ce succès apparent cachait mal le fait que, sans rémunération, l'égocentrisme ou la paresse de l'employé reprenaient le dessus, et aucun travail ne se faisait plus. L'employé n'avait pas la vraie motivation de faire le travail, et les problèmes psychologiques de la paresse, de l'apathie ou de l'égoïsme n'étaient pas résolus (et pas davantage du côté des employeurs, qui peuvent être des exploiteurs). Ainsi toutes les incitations ou obligations à travailler, de l'esclavage au salariat, n'étaient que des palliatifs, une immense mise en scène sociale destinée à se cacher à tous le véritable problème: nous sommes trop égocentriques pour volontairement nous occuper des autres. Et, comme solution, on n'avait fait que remplacer le fouet brutal de l'antiquité par une incroyable sujétion socioéconomique, moins bruyante mais toute aussi aliénante.

D'autres exemples étaient aussi cités. Ainsi le pouvoir des gouvernements avait pu créer des sociétés organisées et prospères, de l'âge du bronze à l'âge de l'espace. Mais il avait aussi été très souvent détourné de ce rôle par des dictateurs égocentriques. Manipuler, posséder, humilier: la haine était toujours là, et les complexes institutions démocratiques de l'ONU, de l'Union Européenne, de l'Union Africaine, devaient lutter en permanence contre toutes sortes de tentatives pour les manoeuvrer et les utiliser à des fins égoïstes ou anti-sociales. La haine, les clans, la guerre et la violence étaient également toujours là, ainsi que la nécessité de protéger les biens des pays et des gens contre toutes les formes d'avidité et d'accaparement. Le résultat de tout cela était que la vie sur Terre, ses lois et ses règles complexes, ses institutions civilisées, restait une lutte constante contre les résultats très prévisibles des défauts psychologiques les plus primitifs: haine, égoïsme, avidité... Palliatif, tout n'était que palliatif, et le prix de souffrance à payer sur Terre était en finale bien plus lourd que l'apparent mauvais rendement de l'économie Dumrienne. Et encore il ne s'agissait là que des institutions terriennes défendables: Bien trop souvent ces coutumes et ces institutions n'avaient rien fait de mieux que d'être au service de formes de pouvoir personnel sur les autres, au service de l'exploitation de l'homme par l'homme, ou l'expression d'idéologies anti-vie, anti-bonheur: la police attaquant et assujettissant les honnêtes gens... Si Dumria n'avait pas de gouvernement ni de police, il n'y avait pas non plus de délinquance, ni d'escroquerie, ni surtout de cette répugnante prostitution dont la découverte les avait si profondément choqués. Si Dumria n'avait pas de gouvernement, c'est que l'équilibre psychologique minimum des Dumriens leur permettait d'agir vraiment en adultes, de savoir et de décider par eux-mêmes ce qu'ils avaient à faire, sans besoin d'être commandés par un gouvernement ni contrôlés par une police. En gros ils travaillaient moins que les Terriens, mais avec enthousiasme pour ce qu'ils faisaient: les résultats étaient au fond bien meilleurs.

 

D'autres, pour comprendre la société Dumrienne, empruntaient leurs comparaisons aux systèmes informatiques et robotiques. Au lieu d'un ordinateur central très complexe (le gouvernement) et de robots qui exécutent ses ordres sans comprendre et au risque de faire des erreurs absurdes (les citoyens obéissants aux règles), les Dumriens étaient comparables à des robots individuels intelligents et adaptatifs, capable de comprendre et d'adapter leur tâche, chacun à son niveau, et d'arriver à un comportement d'ensemble organisé et cohérent, sans besoin de poste central. Le résultat d'un tel système n'est jamais l'optimum, mais il s'en approche toujours suffisamment pour donner en pratique un bien meilleur résultat qu'un système centralisé qui persiste dans ses erreurs. Par exemple, les Dumriens avaient commencé à construire des centrales nucléaires, comme sur Terre, avec pour idée d'en installer des milliers. Mais ils abandonnèrent tout à peine la troisième terminée, quand ils comprirent qu'ils ne pourraient jamais se débarrasser des si dangereux déchets nucléaires. Ainsi les dégâts avaient été infiniment moindres que sur Terre, les Dumriens n'ayant à surveiller qu'une dizaine d'installations arrêtées et neutralisées, dont aucune n'avait explosé. Leur système avait donc été bien plus efficace que le système centralisé terrien, accaparé par des idéologues stupides et sourds, qui s'étaient enferrés dans l'erreur nucléaire malgré les avis des scientifiques et les protestations des citoyens, au point de générer une effroyable crise génétique. Sans parler de la surveillance des déchets, un véritable trou noir financier qui avait déjà mené plusieurs pays terriens à la ruine, alors que les dumriens n'avaient besoin que d'inspecter quelques installations en parfait état technique. Enfin le système dumrien était toujours humainement soutenable, ses acteurs étant toujours les mieux placés pour apprécier avantages et inconvénients de leurs décisions!

 

D'autres théoriciens invoquaient les fourmilières et les ruches, dont les individus, bien que d'intelligence très modeste, savent chacun ce qu'ils ont à faire, et sont donc capables de faire fonctionner leur communauté sans avoir besoin d'aucun pouvoir central (même pas celui de la «reine», qui n'est qu'une machine à pondre). De fait, cette structure de pouvoir central est vraiment spécifique à l'homme, si l'on excepte l'antique notion du «mâle dominant» inutile, qui en est l'origine chez certains mammifères.

 

Des néo-communistes et des anarchistes vêtus de noir eurent vite fait d'en conclure qu'il suffisait de supprimer toutes ces institutions et ces lois, inutiles ou perverses, pour revenir à un fonctionnement sain dès que les besoins fondamentaux seraient satisfaits pour tous. Il s'en trouva même pour dire que Dumria était l'état final du communisme réalisé, et que les groupes de travail Dumriens étaient des soviets. Ils provoquèrent des réactions vives et variées, et cette fois même les Dumriens répondirent, alors que jusque là ils s'étaient soigneusement abstenus de se mêler à ce débat.

Ezran, en compagnie de plusieurs grands penseurs Dumriens, fit en direct une intervention brève, mais qui devait faire date:

«Si vous tentez d'imiter la liberté Dumrienne seulement en supprimant vos lois et vos institutions, vous ne ferez que vous plonger dans le chaos. Le chaos des mécanismes psychologiques incontrôlés et des égoïsmes contradictoires. C'est ce qui s'est passé dans vos mouvements sociaux tels que les Hippies ou le Communisme.

«La seule façon efficace de nous imiter est de résoudre vos problèmes psychologiques, de devenir des êtres adultes et psycho-éduqués. Vous ne manquez pas de méthodes pour cela, que ce soit dans votre psychologie moderne ou dans tous vos enseignements spirituels anciens, dont nous ne pouvons que confirmer la valeur. Vous pouvez vérifier, sur les nombreuses planètes manquantes, mais aussi sur votre propre planète, que les civilisations dépourvues de haine ou d'avidité ont pu ainsi se passer d'institutions anti-bonheur. Regardez par exemple votre belle civilisation crétoise, où l'on n'a pas trouvé de casernes, ni de verrous aux ateliers d'orfèvrerie, mais qui peignait de magnifiques scènes de nature et d'oiseaux, à une époque où Rome et Athènes n'étaient encore que des villages de paysans incultes.

«Là est la seule façon de vivre en simplicité, sans lois: être capable de choisir soi-même ce qu'il est heureux ou malheureux de faire. Alors nous choisissons de faire ce qui est heureux, sans que personne n'ait à nous commander ni à nous réprimer.

«Là est la seule façon de vivre en liberté, sans maître ni contrat: avoir envie de faire quelque chose de beau et utile de nos vies. Alors nous travaillons avec enthousiasme à ce but, sans besoin de fouet ni de salaire.

«Là est la seule façon de vivre dans l'abondance, sans inégalités: que le bonheur des autres compte autant que le nôtre, à nos propres yeux. Alors chacun a tout ce dont il a besoin.

«Beaucoup d'entre vous pensent que nous sommes paresseux parce que nous ne travaillons que quand nous en avons envie. C'est une incompréhension totale. En fait nous travaillons bien plus que certains de vos fonctionnaires, et ce que vous appelez le chômage est une chose totalement inconnue et absurde chez nous. Il en est ainsi parce que nous avons des buts qui nous tiennent à coeur, des projets qui nous enthousiasment, des problèmes que nous désirons voir résolus.

«Il en est ainsi parce que la vie est une chose magnifique, il y a tant de beauté et de plaisirs, tant d'aventures et de découvertes à partager ensemble. La vie n'a pas d'autre but qu'elle même; la conscience n'a pas d'autre but que la joie et le bonheur. La vie est un immense jeu, et c'est pour cela que nous y jouons même quand nous travaillons dans nos champs ou dans nos ateliers, parce que ça aussi fait partie du jeu.

«Quand on a compris cela, alors on commence par éliminer nos problèmes psychologiques, qui sont le premier et le seul vrai obstacle sur la route du bonheur. Et si on le fait dans ce but, alors ça va très vite. Eluder nos problèmes psychologiques, refuser de les voir, faire comme si ils n'étaient pas des problèmes, c'est tricher avec nous-mêmes. Personne n'y gagne, et surtout pas nous.

«Quand on a compris cela, alors on a envie de s'activer pour défendre et embellir la vie, par l'art, par la fête, par la science, par l'amour, par l'industrie, par le jeu, qui sont tous la même chose, et nous n'avons même pas de mots pour les différentier dans nos langues dumriennes: c'est toujours «faire». La vie est une richesse, et c'est pour cela que nous avons envie de travailler, de partager. Sans salaire ni maître pour nous diriger. C'est un jeu parmi les autres jeux.

«Nous serions mêmes capables d'une discipline militaire, si cela était juste pour défendre une cause. Même vos maîtres spirituels les plus exigeants ne tarissent pas d'éloge sur la discipline de nos nouveaux moines. C'est leur jeu, et ils le jouent sans tricher.

«Certains pensent que nous sommes trop libres. Mais notre seule liberté est la vraie liberté: faire effectivement ce que nous avons décidé de faire, sans que nos conditionnements psychologiques ou nos névroses ne nous fassent faire autre chose. Pour le reste, nous sommes exactement comme vous: nous n'avons dans nos stocks que ce que nous avons produit avec notre travail, et nous éprouvons exactement le même besoin que vous de nous reposer à la maison, en famille, après une journée à l'usine.

«Contrairement à ce que certains d'entre vous craignent, il n'y a rien de pernicieux dans notre monde. Nous vivons, simplement. Sans artifices. Mais si notre exemple, mal compris, en venait à créer des troubles sur votre planète, une sorte de pseudo-révolution apportant violence et chaos, alors sachez bien que ce n'est pas du tout ce que nous souhaitons. Si cela arrivait, nous sommes prêts même à couper la liaison Internet et à disparaître de vos vies.

«Vous devez évoluer à votre rythme, et commencer par le commencement: connaître votre esprit et le purifier de ses tendances anti-bonheur. Seulement après vos lois et vos institutions palliatives vous apparaîtront inutiles, vous les oublierez sans même avoir besoin de les supprimer. Nous mêmes, nous n'avons pas pu faire l'économie de cette étape de purification psychologique, nous l'avons simplement franchie plus tôt que vous dans notre histoire, avant même l'hominisation, il y a plus de cinq millions d'années.

«Nous devons enfin vous faire nos plus humbles excuses: c'est la première fois que nous rencontrons des «extradumriens». Nous n'avons pas du tout l'expérience de cette situation, et nous ne savons pas forcément ce qui est bon ou pas de faire.»

Ezran n'avait pas du tout parlé en chef ni en commandant; pourtant dès ce moment le débat prit une toute autre tournure: comment comprendre la société et la mentalité Dumrienne, et comment on pouvait s'en inspirer pour guérir les sociétés terriennes.

On comprit aussi pourquoi les Dumriens avaient traduit leur mot «tricheur» par le mot terrien «fachiste». Pour un Terrien, les deux mots ne désignaient pas du tout la même chose: le fachisme mène à la souffrance par des privations de liberté, alors que la triche tente au contraire de gagner une liberté d'agir. Mais, pour un Dumrien, tricher, gagner une fausse liberté, se «libérer» des lois de la vie, mène tout autant à la souffrance, car alors le jeu de la vie est faussé, ce qui mène à des situations chaotiques et douloureuses. On comprit enfin que les deux concepts, le fachisme autoritaire et la liberté abusive, loin d'être opposés, n'étaient que l'inversion Yin et Yang de la même erreur, qui menait exactement aux mêmes souffrances et aux mêmes limitations de la vraie liberté.

 

Ces discussions prirent tant le devant que, quelques semaines plus tard, au moment de ce récit, les grands leaders racistes continuaient à s'égosiller sur leurs sites Internet sans que personne ne songe plus à les faire taire: seuls quelques fidèles obtus les écoutaient encore.

Lokouten        Chapitre 7       

 

 

 

 

 

 

Scénario, dessins, couleurs, réalisation: Richard Trigaux (Sauf indication contraire).

 

 

 

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